Last posts on bethsabée2024-03-28T14:28:22+01:00All Rights Reserved blogSpirithttps://www.hautetfort.com/https://www.hautetfort.com/explore/posts/tag/bethsabée/atom.xmlAlainhttp://www.httpsilartetaitconte.com/about.htmlRembrandt et Bethsabéetag:www.httpsilartetaitconte.com,2024-01-13:64758642024-01-13T07:52:39+01:002024-01-13T07:52:39+01:00 Rembrandt – Bethsabée au bain, 1654, Louvre ...
<p> </p><p style="text-align: center;"><img id="media-6497627" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://www.httpsilartetaitconte.com/media/02/00/521882254.jpg" alt="Rembrandt, Bethsabée, Hollande, " width="603" height="605" /></p><p style="text-align: center;"><span style="font-family: Garamond, serif; color: #0070c0; background: white; font-size: 14pt;">Rembrandt – Bethsabée au bain, 1654, Louvre</span></p><p style="text-align: center;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt; color: #000000;"><span style="background: white;">« On ne peut voir un Rembrandt sans croire en Dieu », écrit Vincent Van Gogh à son frère Théo</span><span style="background: white;">. </span></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; color: #000000; background: white; font-size: 14pt;">Historienne de l’art et conférencière des Musées Nationaux, Marie-Laure Ruiz-Maugis est fascinée depuis longtemps par la grande toile « Bethsabée au bain tenant la lettre de David » que l’on découvre au Louvre dans la salle unique destinée aux œuvres de Rembrandt. Après avoir participé en 2005 à un documentaire télévisé sur « Les héroïnes de la Bible dans la peinture », elle a attendu la restauration récente de la toile pour écrire ce petit essai <span style="background: white;">« </span>Rembrandt et Bethsabée <span style="background: white;">»</span>, interprétation personnelle sur le tableau de Rembrandt dans l’histoire de l’art : </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; color: #000000; background: white; font-size: 14pt;">https://editionsmacenta.fr/</span></p><p align="center"> </p><p style="text-align: center;"><img id="media-6497626" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://www.httpsilartetaitconte.com/media/00/01/1824546239.jpg" alt="Rembrandt, Bethsabée, Hollande, " width="511" height="726" /></p><p style="text-align: center;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt; color: #000000;">Cette « Bethsabée » est le plus grand nu du maître,<span style="background: white;"> l’un des plus importants peintres du siècle d’or néerlandais.</span> Il y a quelques années, en entrant dans la salle du Louvre, j’étais resté impressionné lorsque j’avais vu cette femme nue, enceinte, grandeur nature, pour la première fois. La scène du tableau, peinte en 1654, était tirée de la Bible à laquelle Rembrandt avait consacré près d’un tiers de son œuvre. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt; color: #000000;">Bethsabée sort du bain. Une servante, agenouillée devant elle, lui essuie les pieds. Bethsabée, épouse d’un soldat nommé Urie, est très songeuse : la lettre qu’elle tient dans sa main droite provient du roi David. Celui-ci l'invite à son palais après l'avoir observée durant son bain. La douce lumière qui la recouvre souligne son indécision et sa réflexion sur cette invitation qu'elle va finir par accepter et qui aura ensuite de graves répercussions sur son soldat de mari qui mourra au combat. David la prendra pour épouse et elle perdra l’enfant qu’elle attendait. Plus tard, son mariage avec David donnera naissance au futur roi d’Israël, Salomon.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; color: #000000; font-size: 14pt;"> </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt; color: #000000;"><span style="background: white;">Rembrandt a bien vieilli lorsqu’il peint « Bethsabée au bain » à l’âge de 48 ans. Sa première femme Saskia est décédée depuis plusieurs années après avoir mis au monde quatre enfants dont trois sont morts en bas âge. </span>Je me souviens de la Saskia qui était son modèle préféré. Gracieuse, il l’habillait, la dénudait : elle devenait Danaé, Artémis, Flore. Jeune mariée, un jour de ripaille, il la fit poser petite et mince sur ses genoux en levant un verre de vin à notre santé.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt; color: #000000;"><span style="background: white;">La notoriété de l’artiste attire de nombreux élèves qui viennent se former dans son atelier où il règne en maître. Dans les Provinces-Unies, à cette époque, le marché de l’art est libre. Rembrandt fixe des prix très élevés et s’enrichit. Ambitieux et dépensier, il est rapidement accablé de dettes. Il a déjà peint plusieurs autres « Bethsabée » avant d’entreprendre celle de 1654</span> d’après un modèle vivant : on reconnaît aisément le visage de sa nouvelle compagne, Hendrickje Stoffels. Poursuivi par ses créanciers, l’artiste va entreprendre une nouvelle manière de peindre, vision instinctive de son art qui va donner des chefs-d’œuvre dont la « Bethsabée » du Louvre.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia, palatino, serif; color: #000000; font-size: 14pt;"> </span></p><p style="background: white; text-align: justify;"><span style="color: #000000; font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Contrairement aux nombreuses représentations de Bethsabée chez d’autres peintres, comme « Bethsabée à la fontaine » de Rubens mettant en valeur les appâts du corps féminin, chez Rembrandt, l’impression générale de la toile est bien différente. Bethsabée est plongée dans une méditation profonde empreinte de tristesse et de résignation, hantée par l’image de l’adultère qu’elle s’apprête à commettre. Le charme du tableau réside dans le mouvement de la tête présentant une douce inclinaison et dans l’expression du regard qui se perd douloureusement dans le vide. L’intensité dramatique semble être la recherche essentielle de l’artiste à laquelle le puissant clair-obscur participe. Cet effet est encore renforcé par la chemise blanche dont elle s’est dévêtue : la matière picturale se superpose en d’innombrables couches retravaillées dans l’épaisseur avec le manche du pinceau qui accrochent la lumière pour mettre en valeur la beauté du corps de Hendrickje. </span></p><p style="background: white; text-align: justify;"><span style="color: #000000; font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Malgré les signes de relâchement naissant de la chair, malgré quelques imperfections du ventre et des cuisses, le corps de la femme est illuminé par un rayonnement intérieur d’une grâce touchante que, en tant que spectateurs, nous ressentons profondément. Elle est vivante. La récente restauration du tableau a dévoilé étonnement des traces de jarretières sur les jambes de Bethsabée…</span></p><p style="background: white; text-align: justify;"><span style="color: #000000; font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Au passage, je remarque que le visage des deux femmes est plongé dans la même méditation. Le geste de la servante rappelle celui de la Madeleine lavant les pieds du Christ.<span style="background: white;"> </span></span></p><p style="background: white; text-align: justify;"><span style="color: #000000; font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;"> </span></p><p style="background: white; text-align: justify;"><span style="color: #000000; font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">La fin de vie de Rembrandt approche. Il est <span style="background: white;">usé par les épreuves du temps. Ses dernières œuvres révèlent le souci d’exprimer des qualités morales et spirituelles. La même année 1654, il va peindre une deuxième fois sa compagne dans une toile magnifique libérée du poids de l’histoire : « Femme se baignant dans une rivière ». Hendrickje entre dans l’eau la chemise relevée jusqu’en haut des cuisses, un léger sourire coquin sur les lèvres. </span></span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-6497624" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://www.httpsilartetaitconte.com/media/02/00/3669564226.jpg" alt="Rembrandt, Bethsabée, Hollande, " width="530" height="700" /></p><p align="center"><span style="font-family: Garamond, serif; color: #0070c0; background: white; font-size: 12pt;">Rembrandt – Femme se baignant dans une rivière, 1654, National Gallery, Londres</span></p><p align="center"> </p><p style="background: white; text-align: justify;"><span style="color: #000000; background: white; font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Peu de temps avant sa mort en 1669, le vieil artiste va animer une dernière fois la matière picturale de l’une de ses plus belles toiles d’une exaltation d’or et de rouge : « La fiancée juive ». </span></p><p style="margin: 0cm; text-align: center; background: white; vertical-align: baseline;" align="center"> </p><p style="text-align: center;"><img id="media-6497625" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://www.httpsilartetaitconte.com/media/00/02/3676920338.jpg" alt="Rembrandt, Bethsabée, Hollande, " width="572" height="417" /></p><p align="center"><span style="font-family: Garamond, serif; color: #0070c0; background: white; font-size: 14pt;">Rembrandt – La fiancée juive, 1666, Rijksmuseum, Amsterdam</span></p><p align="center"> </p><p style="background: white; text-align: justify;"><span style="color: #000000; font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">Je viens de parcourir un petit livre, très bien écrit et illustré. Il s’agit du troisième livre des Éditions Macenta que je critique. J’apprécie toujours la qualité de leurs ouvrages sur le monde des arts. J’ai aimé les annexes du livre fournissant de nombreux renseignements sur la restauration récente de la « Bethsabée » et sur la richesse économique, scientifique et intellectuelle de cette hollande foisonnante du 17<sup>e</sup> siècle. Un seul petit regret pour les lecteurs : il n’est pas fait assez mention des plus grands peintres de l’histoire mondiale de la peinture qui, avec Rembrandt, vont s’épanouir dans ce siècle d’or néerlandais. Vermeer, Hals, Steen, Ter Borch, De Hooch accompagneront un bouquet de peintres exceptionnels aux talents variés qui feront de cette période hollandaise la plus brillante picturalement en Europe. </span></p><p style="background: white; text-align: justify;"><span style="color: #000000; font-family: georgia, palatino, serif; font-size: 14pt;">L’auteure termine son livre par une question : pourquoi ce tableau me bouleverse-t-il autant ?</span></p><p style="background: white; margin: 6pt 0cm 12pt; text-align: justify;"><span style="color: #202122;"> </span></p>
Le Corbeau 78http://corboland78.hautetfort.com/about.htmlBethsabée au baintag:corboland78.hautetfort.com,2013-12-24:52537572013-12-24T07:00:00+01:002013-12-24T07:00:00+01:00 Lorsque la lettre est arrivée par porteur, elle a d’abord pensé qu’il...
<p>Lorsque la lettre est arrivée par porteur, elle a d’abord pensé qu’il s’agissait d’une erreur d’adresse mais devant l’insistance du messager elle a dû s’incliner. Rentrée dans sa chambre, Bethsabée s’est empressée de lire la missive, curieuse autant qu’étonnée. Qui donc pouvait bien lui écrire ? Elle qui vivait seule, pour ainsi dire ignorée de tous, une ombre invisible dans la ville, résignée à son sort.</p><p>La signature, c’est ce qu’elle a regardé en premier évidemment. D’une belle écriture, ferme mais souple pourtant, la main avait écrit « David ». Elle n’en revenait pas et dans sa hâte affolée, elle relut au moins cinq fois la lettre avant de pouvoir se persuader que ce David était bien « le » David auquel elle avait immédiatement pensé. Le sceau au bas de la missive, le porteur en riche tenue, les termes employés et les faits auxquels il faisait allusion étaient sans équivoque. Le roi David, second roi d’Israël, lui donnait rendez-vous ce soir. Le roi David ! L’air lui manquait, son esprit s’embrouillait.</p><p>Maintenant elle se rappelait très bien de la scène. Il y a dix jours exactement, la canicule commençait à assommer bêtes et gens, n’en pouvant plus elle s’était rendue vers le fleuve ou ce qu’il en restait en cette saison et elle s’était baignée nue, se croyant cachée par les roseaux d’éventuels regards indiscrets. Rafraîchie, comme elle se préparait à retourner chez elle, un éclat lumineux attira son regard, scrutant l’origine de l’éclair, elle distingua sur l’autre rive et venant du palais royal, un homme planté sur une terrasse, la main en visière, regardant attentivement dans sa direction. Même à cette distance, l’équivoque n’était guère possible, il s’agissait bien du monarque, elle le reconnaissait parfaitement, sa stature, son torse musculeux, son visage qui ornait les pièces de monnaie, aucun doute n’était envisageable. Et si elle pouvait le voir, lui aussi en faisait tout autant et il en prenait un plaisir évident si l’on en jugeait au pli incongru de sa tunique. Rouge comme une tomate, Bethsabée s’était enfuie en courant.</p><p>Mais depuis, elle repensait à ces instants chaque jour et presque chaque minute. Et voici que le miracle se produisait. Ayant appelé sa servante au plus vite, elle se fit couler un bain et tandis que la vieille lui récurait les doigts de pieds avant de lui faire un épilage brésilien, très en vogue depuis le retour au pays d’un grand voyageur ayant parcouru le monde, elle relisait encore et encore cette lettre désormais bien chiffonnée, se laissant aller à la rêverie. </p><p> </p><p><img id="media-4376342" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://corboland78.hautetfort.com/media/01/01/2333507412.jpg" alt="rembrandt, david, bethsabée," /> </p><p> </p><p> </p><p> </p><p> </p><p> </p><p> </p><p> </p><p> </p><p> </p><p> </p><p> </p><p> </p><p> </p><p> </p><p>Rembrandt <em>Bethsabée au bain</em> (1654) – Huile sur toile 142cm x 142cm – Musée du Louvre</p><p>En décembre 2013, le Louvre entame une <a href="http://www.lemonde.fr/culture/article/2013/12/19/la-toilette-de-bethsabee_4337671_3246.html"><span style="color: #ff0000;">restauration du tableau</span></a>.</p>
lipcarehttp://a-t-l-a-s.hautetfort.com/about.htmlL'ennuitag:a-t-l-a-s.hautetfort.com,2006-07-18:5697442006-07-18T10:55:00+02:002006-07-18T10:55:00+02:00 «Le message de [Carpaccio] est simple: ce sont les femmes qui sont le plus...
<img src="http://a-t-l-a-s.hautetfort.com/images/thumb_2845341466.08.MZZZZZZZ.jpg" alt="medium_2845341466.08.MZZZZZZZ.jpg" L'ennui, avec la peinture, c'est qu'on peut rêver sur elle, mais qu'elle, elle ne rêve pas. «La peinture me fait faire ce qu'elle veut» disait Picasso. Ce qui signifie: grande disponibilité du peintre et VOLONTE de la peinture. Si on oublie ça, on s'égare et c'est ce qui est arrivé à Edouard Dor dans un essai qui vient de paraître, «L'ennui des deux vénitiennes (sur un tableau de Carpaccio)». C'est une étude, puis une divagation, sur une peinture, de Carpaccio donc, datée de 1495, et déjà très souvent commentée: «Deux dames vénitiennes». Ce n'est pas un texte de spécialiste, mais d'amateur éclairé et sensible. Il analyse finement la peinture à partir des éléments visibles, personnages, animaux, objets, mouvements et regards. Sans oublier aucun détail, croit-il. Sans négliger aucune hypothèse, sauf la bonne. Et c'est ainsi qu'il en arrive, à la fin du livre à des phrases comme: <i>«Le message de [Carpaccio] est simple: ce sont les femmes qui sont le plus aptes à nous indiquer les pistes pour tenter de lutter contre l'aliénation de l'être, contre l'absurdité de notre vie.»</i> ou <i>«Pas de larmes, pas de sang, pas de gestes dramatiques, pas même de tristesse: il ne s'agit que de l'être et de son inéluctable et incompréhensible disparition…»</i> La méconnaissance des lois et de la «volonté» de la peinture fourvoie Dor dans un contre-sens radical. En effet, nous allons découvrir que les «Deux dames vénitiennes» racontent une histoire pleine de larmes, de sang et de drames! <img src="http://a-t-l-a-s.hautetfort.com/images/deux-dames.jpg" <b>Le panneau vide</b> L'étude des «Deux dames vénitiennes» a passablement progressé en un siècle (depuis John Ruskin), en particulier grâce à une découverte faite en 1963, lorsque le panneau supérieur du polyptyque de Carpaccio a été «retrouvé» au musée John Paul Getty de Malibu sous la forme d'un tableau qu'on pensait autonome, intitulé «Chasse sur la lagune». (voir ci-dessous). Cette peinture avait longtemps intrigué à cause d'un détail troublant: une fleur de lys, semblant surgir de la lagune, en bas à gauche du tableau, à peine visible ici. Lorsqu'on a superposé les deux panneaux en 1999 au Palazzo Grassi, le lys revenu de Malibu retrouvait pour la première fois depuis des siècles son vase resté à Venise. <div style="text-align: center"><img src="http://a-t-l-a-s.hautetfort.com/images/lagune.jpg"</div> Il semble aujourd'hui avéré que le panneau des «Deux dames vénitiennes» faisait partie d'un polyptyque profane, peut-être un meuble décoré, constitué d'au moins quatre parties articulées. Les deux dames devaient se trouver à droite, avec, au-dessus, la peinture de Malibu, alors qu'à gauche il devait y avoir leur pendant symétrique dont on aurait perdu toute trace. Dor propose en esquisse une reconstitution possible des quatres panneaux qui composaient l'œuvre de Carpaccio à l'origine. Cette proposition repose sur son analse des éléments visibles et sur l'idée que les deux dames, dont on ne saurait ni qui elles sont ni ce qu'elle font là, s'ennuient. Je passe sur les détails de sa démonstration, très agréable à lire; sa conclusion est que Carpaccio aurait tenté une première: peindre l'ennui. Non pas un banal désœuvrement, ni tout à fait le spleen (il fait une comparaison avec une compositon «similaire» de Caillebotte) ni le blues (il fait de même avec un Hopper), mais un ennui anodin, terrible, mortel: ces dames s'emmerdent. Dans son esquisse, Edouard Dor, emporté par sa rêverie sur l'ennui supposé de ces dames, suggère donc que les panneaux de gauche aient pu être quasiment vide: <img src="http://a-t-l-a-s.hautetfort.com/images/esquisse-dor.jpg" <b>Il manque quelque chose</b> Face à cette esquisse, un spécialiste pourrait peut-être démontrer qu'une telle composition était impossible en 1490 ou 95, mais surtout, n'importe quel peintre «sentira» que ça ne tient pas. Il manque quelque chose dans la partie gauche. D'un point de vue «esthétique», la proposition est plausible, bien sûr, surtout avec un œil «dix-neuvièmisé»: rêverie, tension, psychologie. Dor fait de Carpaccio une espèce de proto-romantique, empêtré dans ce qu'il appelle avec délice la «pesanteur existentielle». Mais Carpaccio, l'aurait-il voulu, n'aurait pas pu peindre ça comme ça, et l'aurait-il pu, la peinture n'aurait pas <i>voulu</i>. La peinture n'a rien à voir avec l'esthétique, avec la psychologie, avec la «pesanteur existentielle». Que manque-t-il alors dans cette parte gauche? «Quelques animaux, voire quelques objets ou de petits meubles», comme le suggère Dor? Je propose spontanément, ingénument: une femme, nue. Dor relève joliment que les deux femmes assises incarnent le cycle de la vie: une jeune fille, pure (collier de perle), habillée de jaune, et une femme âgée, penchée, un peu matrone fatiguée, habillée de rouge (soleil couchant). Il manque donc bel et bien quelque chose. Les «âges de la vie» sont toujours représentés en trois figures: matin, midi, soir. Entre la jeune fille et la matrone, comment ne pas voir qu'il manque une femme à son midi, représentée dans la splendeur de sa sensualité, disponible, offerte, nue évidemment. – Les deux chaussures à semelles surcompensées, abandonnées au pied de l'enfant qui passe sous la balustrade sont à elle, bien sûr. C'est moi qui fantasme? qui projette? La peinture fait faire au peintre ce qu'<i>elle</i> veut. Je me propose, pour mon plaisir et votre instruction, d'en faire la démonstation en retrouvant le véritable sujet des «Deux dames vénitiennes», en expliquant le chemin qui m'a fait parvenir à le découvrir (à partir de l'observation de la peinture et de la description d'Edouard dor, qui se révéle très utile, quoique inachevée), puis de fournir, gracieusement, une preuve à l'appui de ma thèse, grâce à la contribution non d'un historien, mais d'un peintre. (C'est d'ailleurs tellement évident que je veux bien être pendu si ça n'a pas été découvert avant moi, merci de m'éclairer à ce sujet –Dor n'en mentionne rien en tout cas.) <b>Tout est là</b> Vieille histoire, lettre volée, Dor donne lui-même tous les éléments pour découvrir la vérité, sauf la vérité. Il ne peut ni ne veut la voir, aveuglé par sa propre «pesanteur existentielle». Il donne avec précision un catalogue complet des éléments visibles de la peinture, que je transcris ici: «deux femmes, deux chiens, deux oiseaux «qui marchent» (la paonne et la perruche), deux oiseaux qui «volent» (les tourtrelles), deux végétaux [(le myrte et le lys)], deux vases, deux chaussures abandonnées. […] le jeune garçon, le fruit et la lettre.» Il note au passage le caractère «féminin» des éléments qui vont par deux, puis l'unicité et la mobilité des éléments «masculins». Il note également que la découverte du panneau de Malibu permet de situer la scène dans un paysage plus large, où l'on voit, comme le titre l'indique, une scène de chasse (au canard?) dans la lagune, et qui nous rend une capitale fleur de lys. Dor résume les principaux symboles. Colombes: amour du couple, paonne: immortalité, perruche: fidélité, chiens: mort et fidélité, le lys: pureté (et c'est la fleur que l'ange Gabriel apporte à Marie dans la plupart des Annonciations), le myrte: il est consacré à Aphrodite, le fruit, si c'est une pomme: tentation, si c'est une orange: ardeur du couple, si c'est une grenade: fertilité, en tout les cas, le fruit est posé sur la balustrade, c'est-à-dire dans une position précaire. Que fait-il de tous ces éléments? Il décide, par un coup de baguette magique qu'il s'agit de leurres, de poudre aux yeux! qu'il faut masquer, aux prudes yeux de l'Eglise, le véritable sujet de la peinture: l'ennui mortel! <b>Une nouvelle</b> Tous les éléments du tableau, animaux, plantes, chaussures signifient l'amour, le sexe, le couple, la fertilité. Et tout ça serait de la poudre aux yeux. Pourquoi Dor en arrive-t-il à cette hypothèse? parce qu'il observe que les deux dames ont l'air absentes, dans le vague, pas concernées, qu'elle font carrément des têtes d'enterrement. La question, le mystère du tableau, est alors la suivante: s'il y a une nouvelle (la lettre, le petit messager) et une histoire de cœur (oiseaux, myrte), et même peut-être un enfant à naître (lys, fruit), s'il y a donc annonce d'un «heureux événement», qui cela concerne-t-il? et pourquoi les dames qu'on voit, et que ça pourrait concerner, tirent-elles cette tête? Mon hypothèse: elles ne s'ennuient pas, elle SONT ennuyées. La plus jeune tient un mouchoir enroulé autour du pouce: complication. La plus âgée a les mains prises par deux chiens: un lévrier qui tire sur sa laisse (enroulée autour du pouce ici encore) et un petit bouvier qui lui donne la patte et fait le beau: conflit. La bonne nouvelle pourrait-elle être fâcheuse? Et si c'est le cas, pour qui? pour la plus jeune, en haut du tableau? peu probable, le collier de perle qu'elle porte autour du cou signifie qu'elle est vierge. Pour la plus âgée, en bas? peut-être; le petit chien accroupi devant elle pourrait aussi évoquer un petit enfant, la laisse entortilée suggère une situation inextricable. La situation est «embarrassante», les regards sont graves, la balustrade forme une enceinte (noté par Dor). Il y a anguille sous roche. Tous les éléments indiquent un «heureux événement» mais des circonstances funestes. <b>Le sujet (cinq siècles plus tard)</b> Une histoire d'amour qui finit mal, ou en tout cas qui pourrait mal finir. Malgré la fleur de lys, ce n'est pas une Annonciation (Carpaccio n'a vraisembablement pas été assez fou pour peindre une Annonciation fâcheuse!). Que reste-il alors? En fouillant parmi les images disponibles pour un peintre du XVème siècle, je ne vois que deux possibilités: Bethsabée ou Danaé. Ces sujets sont très courants au XVIème siècle, mais ont préoccupé les commentateurs depuis bien plus longtemps. A la fin du XIIIème siècle paraît un petit traité d’un cabaliste espagnol, Joseph Gikatila (1248-1325), consacré à David et Bethsabée et qui propose une réflexion sur le mariage terrestre et le mariage des âmes. Rappel en deux lignes: Danaé est séduite par Zeus, le fils qui naîtra de cette union, Persée, tuera accidentellement son grand-père Acrisios. Bethsabée est séduite par David qui l'a vue se baigner depuis une terrasse son palais (alors qu'elle est mariée à Urie), l'enfant qui naîtra de cette union interdite mourra à l'âge de sept jours. Voilà bien deux histoire d'enfant à naître et de fâcheuses conséquences. L'épisode de l'histoire de Bethsabée qui a le plus souvent été peint est celui où elle reçoit une lettre de David la convoquant à son palais. La présence de la lettre dans la peinture de Carpaccio, mais aussi de la scène de chasse, qui peut être une évocation du champ de bataille sur lequel mourra Urie, envoyé en première lignes des combats par David pour s'en débarrasser, fait pencher la balance en faveur de Bethsabée plutôt que de Danaé. Tout est en place: le messager qui apporte la lettre, la lettre, les chaussures que Bethsabée vient d'enlever pour se baigner, les amies/suivantes/sœurs qui l'accompagnent et qui expriment dans leurs attitudes le conflit dans lequel se trouve Bethsabée, prise entre la fidélité à son mari et à son roi, les objets et fruits qui ne parlent que d'amour, terrestre ou éternel, fertile ou dangereux. <b>Pourquoi c'est invisible</b> D'après les études sur la peinture de Carpaccio compilées et citées pas Dor, aucune ne semble mentionner l'hypothèse Bethsabée. On peut se demander pourquoi. D'abord, la «lettre volée»: c'est si évident que personne ne voit. Ensuite le goût du mystère: un panneau manquant détient sûrement un secret plutôt qu'une évidence. L'expression des «dames», finalement: il est possible que Carpaccio ait effectivement osé une première, en ne les représentant pas dans la joie et l'excitation de voir leur maîtresse/amie/sœur choisie par le roi David, mais dans l'appréhension de ce qui pourrait en découler. Voilà ce qui a pu faire croire au détachement, au désintérêt, au mortel ennui, dont on est si loin dans cette histoire «pleine de larmes, de sang et de drames», mais aussi pleine de promesse inouïes puisque le second enfant de David et de Bethsabée s'appelera Salomon. <b>La preuve</b> La preuve, la voici. C'est une peinture de 1,97 m par 1,62 m, une huile sur bois datant de 1562, signée Jan Metsys (Jan Massys). Elle se trouve au Louvre, Aile Richelieu - Deuxième étage - Section 11. Son titre: David et Bethsabée. Ici, pas de lettre, David est venu en personne. Une des amies/suivantes/sœurs qui accompagnent Bethsabée à son bain nous regarde: nous savons ce qu'elle sait. La terrasse et sa balustrade qui donne, dans un paysage lointain, sur le monde «affairé» des hommes, le petit garçon, le levrier et sa laisse, le petit bouvier, les grenades, la paonne, les vases, le doigt pointé, tout raconte cette même histoire. <img src="http://a-t-l-a-s.hautetfort.com/images/metsys.jpg"