Last posts on 80s2024-03-29T16:47:22+01:00All Rights Reserved blogSpirithttps://www.hautetfort.com/https://www.hautetfort.com/explore/posts/tag/80s/atom.xmlEdouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlDésillusionstag:nightswimming.hautetfort.com,2013-11-04:52129942013-11-04T23:36:00+01:002013-11-04T23:36:00+01:00 On attend tellement du cinéma, on espère tant trouver de quoi nous...
<p style="text-align: center;"><img id="media-4314565" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/01/1232482884.jpg" alt="guerin,espagne,documentaire,80s,90s,2000s" /></p><p style="text-align: justify;">On attend tellement du cinéma, on espère tant trouver de quoi nous nourrir même lorsque l'on fait le choix de film le plus incertain, le plus hasardeux et le plus téméraire au regard de nos goûts habituels, que l'attente est parfois mal récompensée, la chute brutale et la désillusion radicale. Ainsi, ayant été hypnotisé, un soir déjà lointain, lors de la diffusion télévisée de ce grand documentaire qu'est <em>En construccion</em> (2000), je suis parti plein d'entrain, l'été dernier, à la découverte du cinéma de son auteur, l'Espagnol José Luis Guerin. L'illusion n'a pas perduré.</p><p style="text-align: justify;"><em>Los Motivos de Berta</em> (1983) est la chronique de quelques jours dans la vie d'une petite campagnarde, passée au prisme de son imaginaire. Sous la forte influence, assumée, du Victor Erice de <em>L'Esprit de la ruche</em>, un récit étrange tente de se mettre en place, tout en longs plans ciselés en noir et blanc. Mais il a tôt fait de se déliter et le mystère qui l'accompagne, au lieu de s'épaissir, finit par s'éventer et disparaître au-delà des champs de Castille, rêvés ou bien réels, dans le sillage d'une Arielle Dombasle chevauchant, en robe blanche et perruque.</p><p style="text-align: justify;"><em>Innisfree</em> (1990) est une relecture de <em>L'Homme tranquille</em> de John Ford, un documentaire-hommage réalisé sur les terres irlandaises de son tournage en 1951. Alternant rares extraits et prises de vue sur place, l'œuvre a la (non-)forme de la déambulation. Elle n'offre pas plus de progression émotionnelle qu'elle ne dévoile de but particulier. Malgré un découpage plutôt vif, les séquences-blocs semblent ne jamais vouloir se clore. Des scènes de pub flirtent avec l'insupportable, des enfants de l'école racontent les scènes du film, des reconstitutions sont esquissées... A chaque instant, l'articulation entre les deux films, espacés de quarante années, manque cruellement.</p><p style="text-align: justify;"><em>Tren de sombras</em> / <em>Le Spectre de Thuit</em> (1997) est l'auscultation, à la <em>Blow up</em>, d'une série d'images. Présentées comme des reliques des années vingt, bobines à usage familial appartenant à un riche amateur de l'époque, quelque chose nous dit qu'elles tiennent de l'aimable supercherie. Guerin les donne d'abord à voir telles quelles, avant de s'en approcher au plus près, de les grossir, de les ralentir. Sur le papier passionnant, le projet s'abîme dans une réalisation tâtonnante, répétitive et imprécise dans la mise à jour des rapports qu'elle est supposée dégager. Conscient de cette opacité, Guerin finit par reconstituer et montrer le contrechamp de ces images, montrer le filmeur : tout cela est donc bien laborieux. Cherchant, en parallèle, le spectre du passé dans le présent, le cinéaste en passe de surcroît par de longs tunnels de plans sur une nature indéchiffrable qui achèvent en nous l'espoir qui subsistait malgré tout, lorsque nous contemplions un beau visage de jeune fille.</p><p style="text-align: justify;"><em>Dans la ville de Sylvia</em> (2007) est un film à la teneur en fiction plus prononcée. Il est coupé par trois cartons annonçant autant de nuits (alors que la quasi-totalité du récit se passe de jour), bornes qui n'ont pas d'intérêt particulier. Entre elles, un récit ou plutôt son esquisse, avec ce que cela comporte d'inachevé et d'insatisfaisant. Cette esquisse a, cette fois-ci, il est vrai, le mérite d'épouser parfaitement l'idée originelle. Car Guerin filme ici comme son personnage principal, à longueur de journée, dessine, en reprenant son geste, en l'ajustant, et en laissant même le vent tourner les pages/les plans. Guerin filme aussi comme le jeune homme regarde, captant à distance des bribes de conversations, observant de loin comment peuvent se composer des formes, tentant de saisir un peu de la beauté intérieure de chaque jolie femme croisée en terrasse ou dans les rues. Eloge de la ville, de la marche, de l'observation, de la présence des femmes, le film est léger comme une plume, volatil comme une goutte de parfum.</p><p style="text-align: justify;">José Luis Guerin m'a laissé là, dubitatif et presque endolori par la vision de ces œuvres dans lesquelles plusieurs séquences semblent conclusives mais recèlent finalement de nouvelles et timides relances pour aboutir à cette impression de longueur excessive et sans enjeu apparent, cette impression que les quatre-vingt-dix minutes annoncées généralement se sont transformées en trois heures.</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.html24 portraits d'Alain Cavaliertag:nightswimming.hautetfort.com,2013-01-28:49711942013-01-28T23:12:57+01:002013-01-28T23:12:57+01:00 Réalisées en 1987 (la première) et en 1991 (la seconde), ces deux séries qui...
<p>Réalisées en 1987 (la première) et en 1991 (la seconde), ces deux séries qui n'en font qu'une se placent donc pour Alain Cavalier entre <em>Thérèse</em> (1986) et <em>Libera me</em> (1993). L'inscription de ces <strong><em>24 portraits</em></strong> dans l'évolution stylistique du cinéaste, leur importance dans son processus de réflexion sur la fiction et le documentaire, sur le rapport au personnage, au récit et à la technique, sont donc limpides.</p><p>L'un des tout premiers plans du premier film de la série montre les mains de "la matelassière" (les portraits sont titrés ainsi par le métier qu'exerce chacune des femmes rencontrées par Cavalier) et il est emblématique. Le cinéaste affectionne en effet ces cadrages sur des parties du corps ou bien sur des objets vus de près, posés sur des tables, des fonds unis qui épurent. Et de manière aussi simple qu'il filme, il parle sur ces images-là pour situer. Pour nommer précisément, aussi. Il a choisi de ne filmer que des femmes, souvent âgées et travaillant "à l'ancienne". L'une de ses motivations est d'enregistrer leur présence, de laisser une trace.</p><p>Ces femmes, il les filme à l'ouvrage, expliquant ou leur demandant d'expliquer leurs gestes. Et face à elles, il fait, lui aussi, son métier, il montre que, cinéaste, c'en est un. On remarque, au fil des portraits, la tentation, de moins en moins contenue, de Cavalier d'entrer dans le cadre et d'y faire entrer ses deux accompagnateurs (son et image). Mais même dans la première série, où il ne donne pas à voir de reflets de lui et son équipe restreinte, il rend compte de la fabrication par la voix et les choix de montage. Il peut très bien, par exemple, demander à son opérateur un fondu au noir ou un panoramique (ce qui ne va pas sans quelques hésitations ou erreurs). Il peut demander le clap. Il peut "diriger", en demandant qu'une tête se redresse, qu'une phrase soit redite, qu'une musique soit jouée dans la pièce ou qu'un objet soit montré.</p><p>Deux métiers sont donc face à face, rendant encore plus passionnante la présentation. L'un enrichit l'autre : à un moment, Alain Cavalier se demande à voix haute ce qu'il va pouvoir tirer de ces portraits pour réaliser ses films suivants et, en même temps, il espère que l'expérience a plu à ces femmes filmées. Sans attacher moins d'attention à elles, il parle de plus en plus de lui et de son passé.</p><p><em>24 portraits</em>, ce n'est donc pas "Nos beaux métiers d'autrefois". Ce sont des mains et des visages de femmes (Cavalier avoue d'ailleurs que le visage est sa préoccupation première), filmés alternativement. Et par-dessus, se déroule leur parole. Cavalier les fait parler pendant le travail et passe sans cesse des questions sur ce sujet à celles plus personnelles. Ces dernières arrivent comme à l'improviste (sans jamais paraître irrespectueuses) et portent sur les enfants, les maris ou la solitude. Elles sont simples mais peuvent ouvrir des vannes.</p><p> </p><p><strong>24 PORTRAITS D'ALAIN CAVALIER</strong> (France, 24 x 13 min, 1987 & 1991) <strong>***<span style="color: #999999;">*</span></strong></p><p style="text-align: center;"><img id="media-3945391" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/3018397019.jpg" alt="cavalier,documentaire,france,80s,90s" /></p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlA bout de coursetag:nightswimming.hautetfort.com,2012-12-13:49261972012-12-13T23:36:00+01:002012-12-13T23:36:00+01:00 Pré senté au 23e Festival International du Film d'Histoire de Pessac...
<p style="text-align: center;"><img id="media-3881359" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/01/2294339081.jpg" alt="lumet,etats-unis,80s" /></p><p style="text-align: right;"><span><span>Pré</span>senté au 23e <a href="http://www.cinema-histoire-pessac.com/">Festival International du Film d'Histoire de Pessac</a></span></p><p> </p><p style="text-align: justify;">Une chronique familiale faite de joies et de peines, partant d'un fond politique et brassant émois adolescents, amours impossibles, résistances face à l'émancipation, difficulté de la séparation, éloge de la différence, le tout dans un crescendo émotionnel : voilà un programme pas forcément engageant, sentant la convention tire-larmes à plein nez. Pourtant, à chaque instant, <em><strong>A bout de course</strong></em> est miraculeux.</p><p style="text-align: justify;">Danny Pope ressemble à un adolescent ordinaire : il fréquente le collège, joue au base-ball, se déplace à vélo, vit avec son petit frère espiègle et ses parents. Sauf que ceux-ci ont perpétré, alors que Danny n'avait que deux ans, un attentat contre un laboratoire produisant du napalm utilisé au Vietnam. Cette famille est donc en fuite, recherchée depuis quinze ans par le FBI. La normalité n'est qu'apparente. Leur vie c'est la cavale, les noms d'emprunt, les départs précipités à la moindre alerte, les sauts d'une ville à l'autre.</p><p style="text-align: justify;">L'action se situe au milieu des années quatre-vingt. Le passé tient essentiellement dans une scène, peut-être la seule qui soit maladroite, la seule qui apparaisse comme une concession (à la faveur de la lecture d'un journal, Danny explique les raisons de leur fuite à son frère). Ailleurs, ce passé reste sous-jacent, la trace n'émergeant qu'au gré de quelques événements. Fort heureusement, aucun flashback ne vient l'illustrer. Au milieu du film, un passage organisant la confrontation entre le père, la mère et un ancien partenaire activiste peut laisser croire que la lourdeur explicative, le poids du thème vont finir par l'emporter. Mais la fin de la séquence arrive avec un mouvement de caméra menant à l'escalier jouxtant la pièce où (se) débattait la mère : Danny était en fait là, écoutant, sans un mot, sans un geste. Cette simple ponctuation repousse aussitôt l'ombre du didactisme, enrichit la scène et même, la retourne, la justifie.</p><p style="text-align: justify;">La mise en scène de Lumet semble toucher à la perfection, en termes d'échelle et de tempo. Le cinéaste sait bien que le partage d'une émotion ne nécessite pas de rester coller aux yeux embués des personnages, que tout est affaire de dosage et de variations. Dans de nombreuses séquences, on note le plaisir du plan long et éloigné avant le retour à la proximité. Ainsi, les séquences de flirt entre Danny et sa copine Lorna, dans les bois ou au bord de l'eau, offrent de magnifiques instants grâce aux passages du loin au proche qu'elles proposent. La très belle tenue d'autres séquences difficiles, telles celles de classe et d'audition, est également dûe à cet équilibre de la mise en scène.</p><p style="text-align: justify;">Le tempo, quant à lui, reste globalement le même tout du long, Lumet refusant les accélérations artificielles et les coups au cœur factices. Cela n'empêche ni les courses ni les angoisses mais on en reste au rythme de la chronique.</p><p style="text-align: justify;">Et on épouse le point de vue des enfants, essentiellement, bien sûr, celui de Danny. De cette hauteur et à cette distance, le tableau sur la famille apparaît d'une justesse incroyable, au point que l'on peine à trouver dans le cinéma américain qui lui est plus ou moins contemporain une réussite sur ce plan aussi incontestable. Sans doute l'une des forces du film est de dérouler la chronique ordinaire d'une famille qui ne l'est pas du tout (et pour déclencher le ressort dramatique à partir de ce particularisme, il faut un élément tout aussi exceptionnel : ce sera la révélation du talent musical de Danny). Mais l'adolescent a des problèmes d'adolescent, le couple est secoué par les tensions habituelles de couple, le grand père a une réaction de grand père... Exemple parmi d'autres, le petit frère de dix ans paraît vraiment les avoir. Il en a exactement le comportement, les postures, les réflexions, Lumet sachant lui donner le temps et l'espace qu'il lui faut, sans tricherie. La pose, l'affectation n'ont pas cours et ne laissent pas s'approcher trop près les éventuelles réminiscences d'autres jeunesses en marge et en révolte. Dans le rôle de Danny, River Phoenix ne s'encombre pas du fantôme de James Dean. A l'image d'un film pleinement dans son époque mais aussi un peu à côté, il joue merveilleusement de sa présence-absence au monde.</p><p style="text-align: justify;">Mise en scène attentive, écriture fine et interprétation hors pair concourent à créer des séquences d'intimité familiale d'un naturel stupéfiant et d'une intensité rare. La description au ras du quotidien de la fuite rend les liens évidents, jusque sur le plan physique, comme le montrent ces gestes de tendresse semblant attrapés au vol, semblant presque échapper aux personnages. Dans une scène, un personnage n'est pas dur ou aimant, sympathique ou désagréable, et nous n'avons pas, de l'une à l'autre, un mouvement de balancier indiquant successivement les états émotionnels à épouser. Il n'y a qu'à voir la façon dont le cinéaste use des variations pour les trois moments forts qui jalonnent le dernier tiers : un aveu accompagné en champs-contrechamps de plus en plus rapprochés, des retrouvailles fille-père en face-à-face très serré, un adieu d'amoureux en long plan cadrant les profils. Et que dire du final, dans lequel l'intransigeance paternelle ne peut être que brisée et renversée d'un coup ? Cette cassure qui bouleverse, tant elle surprend malgré le fait qu'elle était espérée.</p><p style="text-align: justify;">Par tous revu à la hausse lors d'une reprise en 2009, vingt ans après un premier accueil plutôt discret, <em>A bout de course</em> est l'un des plus beaux films du cinéma américain des années quatre-vingt et sans doute le meilleur de son auteur.</p><p> </p><p><span style="font-size: xx-large;"><strong>****</strong></span></p><p><img id="media-3881372" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/1798800601.jpg" alt="lumet,etats-unis,80s" /><strong>Á BOUT DE COURSE</strong> (<em>Running on empty</em>)</p><p>de Sidney Lumet</p><p>(Etats-Unis / 116 min / 1988)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlA l'abordage de... Mon curé chez les nudistestag:nightswimming.hautetfort.com,2012-07-29:47915582012-07-29T21:45:45+02:002012-07-29T21:45:45+02:00 Un chef d'œuvre, affronté ICI .
<p>Un chef d'œuvre, affronté <a href="http://eightdayzaweek.blogspot.fr/2012/07/mon-cure-chez-les-nudistes.html">ICI</a>.</p><p style="text-align: center;"><img id="media-3684196" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/02/3921388938.jpg" alt="moncurechezlesnudistes.jpg" /></p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlRetour de La Rochelle (1/12) : 4 films avec Anouk Aiméetag:nightswimming.hautetfort.com,2012-07-15:47807142012-07-15T22:48:00+02:002012-07-15T22:48:00+02:00 Cette note est la première d'une série de douze, consacrée aux films vus au...
<p style="text-align: justify;">Cette note est la première d'une série de douze, consacrée aux films vus au 40e <a href="http://www.festival-larochelle.org/">Festival de La Rochelle</a>. Honneur aux dames, pour commencer : quatre titres choisis au fil de l'hommage rendu, en sa présence, à Anouk Aimée.</p><p style="text-align: center;">*****</p><p style="text-align: center;"><img id="media-3668135" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/01/3582858856.jpg" alt="de broca,demy,bellocchio,loridan ivens,france,italie,etats-unis,comédie,60s,80s,2000s" /></p><p style="text-align: center;"><img id="media-3668175" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/187232437.jpeg" alt="de broca,demy,bellocchio,loridan ivens,france,italie,etats-unis,comédie,60s,80s,2000s" /></p><p style="text-align: center;"><img id="media-3668199" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/02/707384036.jpg" alt="de broca,demy,bellocchio,loridan ivens,france,italie,etats-unis,comédie,60s,80s,2000s" /></p><p style="text-align: center;"><img id="media-3668201" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/02/1859597489.jpg" alt="de broca,demy,bellocchio,loridan ivens,france,italie,etats-unis,comédie,60s,80s,2000s" /></p><p style="text-align: justify;"><strong>Le farceur</strong></p><p style="text-align: justify;">C'est du théâtre de boulevard tourné à la sauce Nouvelle Vague. De la mécanique habillée d'une liberté de ton rendue soudainement possible au cinéma. Mais ce grand écart, cette œuvre comique a du mal à le tenir, bien qu'elle se révèle trépidante et plutôt élégamment mise en image par son auteur, Philippe de Broca. La différence entre les scènes d'extérieurs et celles d'intérieurs, par exemple, saute aux yeux. L'intérieur, là où se joue l'essentiel, c'est une maison défraîchie, tortueuse et poussiéreuse. Une surprenante famille, aux mœurs particulièrement libres, l'occupe. Trois hommes la dominent, un oncle et ses deux neveux. Autour d'eux, gravitent deux jeunes enfants de peu d'importance et surtout deux femmes : la première est mariée à l'un des frères, la seconde est amoureuse de l'autre. Toutes les deux sont malmenées par un humour graveleux.</p><p style="text-align: justify;">En effet, <em>Le farceur</em> est un vaudeville ouvertement sexuel et volontiers vulgaire. On y trouve trucs théâtraux, mimiques appuyées et cabotinage à tous les étages. Les dialogues sont non seulement omniprésents, mais ils sont de plus chargés, à chaque phrase, de bons mots, ce qui les rend parfaitement épuisants à entendre. Ce surpoids poético-comique encombre tous les échanges, y compris le principal, amoureux, qui devient totalement vain. Je dois dire que, face à Anouk Aimée, Jean-Pierre Cassel, tête d'affiche, m'a paru peu supportable par sa façon de surjouer la légèreté et le charme. Les scènes obligées auxquelles il se livre, danse ou ivresse, m'ont laissé de marbre.</p><p style="text-align: justify;">Le film s'améliore lorsqu'il se fait plus cassant, quand la satire est plus directe. Tel est le cas avec les interventions de l'entrepreneur, le mari d'Anouk Aimée bientôt cocu. Pète-sec et peu concerné par les activités de sa femme, il se détend tout à coup dès qu'il la quitte et se retrouve avec son majordome. Dans le rôle, François Maistre est très drôle. Pour le reste, et bien qu'il se termine de manière assez déroutante dans la demi-teinte, <em>Le farceur</em> étale trop son aspiration au bonheur pour me convaincre.</p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><strong>Model shop</strong></p><p style="text-align: justify;">De manière générale, on ne peut pas dire que Jacques Demy fut un cinéaste se laissant aller à la facilité. Juste après le succès des <em>Demoiselles de Rochefort</em>, il sauta par dessus l'Atlantique pour tourner <em>Model shop</em> aux Etats-Unis et se frotter à la société de Los Angeles.</p><p style="text-align: justify;">Le choix d'un récit minimaliste fait que l'intrigue tient à rien (par moments, le film semble annoncer tout un pan du cinéma américain indépendant et sous-dramatisé). Un homme sur le point de se séparer de sa copine recherche 100 dollars pour payer une traite et garder sa voiture. Il passe une journée à rendre visite à ses amis et rencontre Lola, une Française, dont il tombe amoureux (oui, c'est bien la <em>Lola</em>/Anouk de Nantes que l'on retrouve sept ans plus tard).</p><p style="text-align: justify;">La façon dont Demy s'imprègne du lieu et de l'époque force le respect. Du moins lorsqu'il joue sur une note basse, car dès qu'il marque plus nettement les choses, il se rapproche dangereusement du cliché (il en va ainsi de l'annonce du départ pour le Vietnam, du conflit avec les parents, éclatant à l'occasion d'un coup de fil etc.).</p><p style="text-align: justify;">Le film, plein de temps morts et recouvert progressivement d'un large voile de tristesse, déroute en laissant l'impression que Demy joue en quelque sorte sur le terrain d'Antonioni (qui foulera bientôt, lui aussi, ce sol américain pour <em>Zabriskie Point</em>). Malheureusement, le geste décoratif l'emporte sur l'architectural et, se tenant loin du caractère tranchant du cinéma de l'Italien (période années 60), la tentative, malgré de belles intuitions, donne un résultat un peu mou. La description calme et douloureuse d'un amour mort-né déchire moins qu'elle assoupit.</p><p style="text-align: justify;">Je regrette de n'avoir pas plus aimé ce film. Certains semblent le porter dans leur cœur, à côté d'autres Demy (n'est-ce pas <a href="http://drorlof.over-blog.com/article-26493796.html">Docteur</a> ?). En 68/69, <em>Les Cahiers du Cinéma</em> lui avaient offert une couverture et dans <em>Positif</em>, revue qui ne fut demyphile que par intermittences, Bernard Cohn lui consacra un très beau texte titré "Le visage de la mort".</p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><strong>Le saut dans le vide</strong></p><p style="text-align: justify;">De la folie dans le giron familial : le terrain est connu de Marco Bellocchio. Anouk Aimée est Marta, une femme vivant dans un grand appartement romain sous la protection de son frère magistrat, Mauro (Michel Piccoli), et aidée par une femme de ménage. Y passant toutes ses journées sans en sortir jamais, ou presque, elle est sujette à de brusques sautes d'humeur et passe pour folle auprès de son entourage et de ses voisins.</p><p style="text-align: justify;">La belle idée sur laquelle repose ce <em>Saut dans le vide</em> est que l'on ne va pas assister à la chute de Marta, que l'on pensait prévoir, mais à celle de Mauro. En collant à ces deux personnages, Bellocchio filme deux mouvements inter-dépendants et inverses. La folie se transmet ici comme dans un système de vases communicants. Ce système, précisément, c'est l'appartement, et la folie circule d'une pièce à l'autre, profite des ouvertures, passe par les portes. Ce décor est le personnage principal du film. Bellocchio nous gratifie bien de quelques échappées extérieures mais toujours il nous ramène dans cet endroit. Très attentif aux visages, il se plait pourtant à s'en éloigner régulièrement pour mieux coincer les corps dans les multiples cadres que fournissent meubles, murs, portes et fenêtres. Pour autant, ce dispositif n'est pas rigide mais modulé, ce lieu n'est pas inerte mais mouvant. Arpenté en tous sens, l'appartement vit et ses pièces paraissent toutes communiquer entre elles. Du coup, nos repères vacillent.</p><p style="text-align: justify;">De plus, les dialogues virent vers l'absurde, la réalité des choses devient de moins en moins assurée et le temps se creuse lui aussi. A intervalles réguliers, une troupe d'enfants envahit le lieu : rêve, hallucination ou réminiscence du passé familial ? <em>Le saut dans le vide</em> dialogue par moments avec <em>Le locataire</em> de Polanski, même si il est plus froid, moins grotesque.</p><p style="text-align: justify;">Piccoli est glaçant, laissant se fissurer la façade de respectabilité qu'il arbore. Rarement personnage aura autant frayer avec la mort, l'imaginant pour ses proches, ne vivant plus qu'avec cette idée. Et plus Mauro s'engage vers les ténèbres, plus Marta avance vers la ville, le fleuve, la mer, la lumière.</p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><strong>La petite prairie aux bouleaux</strong></p><p style="text-align: justify;">Film relativement récent, <em>La petite prairie aux bouleaux</em> est méconnu, souvent oublié, me semble-t-il, lorsqu'il s'agit d'évoquer la Shoah au cinéma. Sa forme relativement simple joue peut-être contre lui. Il n'est pas parfait, souffre de quelques longueurs et bute par moments, quand il s'engage sur la voie de la gravité extrême (reconnaissons qu'il est certes difficile, si on tient à en passer par là, d'éviter solennité et didactisme).<br /><br />Anouk Aimée interprète une femme revenant à Auschwitz-Birkenau pour la première fois, soixante ans après y avoir été déportée, en 1943, à l'âge de 15 ans (cela arriva à Marceline Loridan Ivens, qui s'appuie ici, en partie, sur sa propre expérience). L'actrice s'en sort de manière remarquable mais elle ne peut éviter un certain blocage à deux ou trois reprises. Quelque chose est freiné quand elle se met à parler seule (ou plutôt au spectateur), une fois qu'elle s'est glissée dans le camp, que ses souvenirs remonte alors qu'elle s'arrête dans son ancien baraquement ou dans les latrines. Là, entre la femme qui témoigne et l'actrice qui joue, une distance ne s'efface pas.</p><p style="text-align: justify;">Ce bémol avancé, je peux dire que le film m'a passionné, et cela pas forcément là où je l'attendais. Tout d'abord dans la fiction, tout à fait assumée. Un personnage "médiateur" de photographe allemand, petit fils de SS de surcroît a été inventé. Et contre toute attente, il "fonctionne" avec celui de la vieille dame juive. Celle-ci, comme toutes ses amies rencontrées au début à l'occasion d'une surprenante séquence de retrouvailles, se caractérise par son ton parfois cassant et son humour, grinçant et toujours lié à la catastrophe.<br /><br />Le récit est joliment agencé, ménageant des ellipses tout en semblant ressasser, à l'image de son héroïne qui, après y avoir mis les pieds pour la seconde fois, ne peut plus quitter Birkenau et ses environs. Mais l'aspect le plus passionnant est encore ailleurs : ce film signe la fin d'un cycle. Il arrive au moment où se pose, pour les historiens notamment, la question : "Que faire d'Auschwitz aujourd'hui ?" Cette question, la cinéaste ne la pose pas bêtement, frontalement. Sur ses images, apparaît un camp presque vide (les silhouettes de "touristes" sont quasi-absentes) et traversé ça et là par des pointes d'onirisme. Non, la question est posée à travers celle d'une mémoire singulière, individuelle et qui se perd dans ses propres méandres puisque le personnage semble parfois à deux doigts de "perdre la boule". Ce qui est montré ici, aussi, c'est la force de l'occultation ou tout simplement l'impossibilité de la mémoire : les anciens déportés, qui, bientôt, auront tous disparu, ne s'accordent pas eux-mêmes sur certains points, certaines scènes qu'ils ont pourtant vécu ensemble.</p><p style="text-align: justify;">Il faut voir <em>La petite prairie aux bouleaux</em> pour la borne historique qu'il marque, croisant intelligemment documentaire et fiction, histoire personnelle et universelle.</p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: xx-large;"><strong>*<span style="color: #999999;">***</span></strong>/<strong>**<span style="color: #999999;">**</span></strong>/<strong>***<span style="color: #999999;">*</span></strong>/<strong>***<span style="color: #999999;">*</span></strong></span></p><p><img id="media-3668178" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0px;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/2360689089.jpg" alt="de broca,demy,bellocchio,loridan ivens,france,italie,etats-unis,comédie,60s,80s,2000s" /><img id="media-3668180" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0px;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/02/3567680318.jpg" alt="de broca,demy,bellocchio,loridan ivens,france,italie,etats-unis,comédie,60s,80s,2000s" /><img id="media-3668186" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0px;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/02/2273996680.jpg" alt="de broca,demy,bellocchio,loridan ivens,france,italie,etats-unis,comédie,60s,80s,2000s" /><img id="media-3668205" style="margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0px; float: left;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/00/154125610.jpg" alt="de broca,demy,bellocchio,loridan ivens,france,italie,etats-unis,comédie,60s,80s,2000s" /><strong>LE FARCEUR</strong> de Philippe de Broca (France / 90 min / 1961)</p><p style="text-align: justify;"><strong>MODEL SHOP</strong> de Jacques Demy (Etats-Unis / 85 min / 1969)</p><p style="text-align: justify;"><strong>LE SAUT DANS LE VIDE</strong> (<em>Salto nel vuoto</em>) de Marco Bellocchio (Italie - France - Allemagne / 120 min / 1980)</p><p style="text-align: justify;"><strong>LA PETITE PRAIRIE AUX BOULEAUX</strong> de Marceline Loridan Ivens (France - Allemagne - Pologne / 90 min / 2003)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.html(Encore) Quatre films de Gérard Couranttag:nightswimming.hautetfort.com,2011-12-15:39151862011-12-15T22:02:00+01:002011-12-15T22:02:00+01:00 * *** / * *** / ** ** / *** * Troisième...
<p style="text-align: center;"><img id="media-3343159" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/604903113.jpg" alt="courant,france,documentaire,70s,80s,2000s,2010s" /></p><p style="text-align: center;"><img id="media-3343160" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/01/456504160.jpg" alt="courant,france,documentaire,70s,80s,2000s,2010s" /></p><p style="text-align: center;"><img id="media-3343163" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/00/900215333.jpg" alt="courant,france,documentaire,70s,80s,2000s,2010s" /></p><p style="text-align: center;"><img id="media-3343164" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/01/842060737.jpg" alt="courant,france,documentaire,70s,80s,2000s,2010s" /></p><p><span style="font-size: xx-large;"><strong>*<span style="color: #999999;">***</span></strong>/<strong>*<span style="color: #999999;">***</span></strong>/<strong>**<span style="color: #999999;">**</span></strong>/<strong>***<span style="color: #999999;">*</span></strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span><span style="color: #000000;">Troisième voyage dans la filmographie de Gérard Courant (le premier</span> <a href="http://nightswimming.hautetfort.com/archive/2011/02/25/quatre-films-de-gerard-courant.html">ici</a></span><span style="color: #000000;">, le deuxième <a href="http://nightswimming.hautetfort.com/archive/2011/05/25/quatre-autres-films-de-gerard-courant.html">là</a></span><span style="color: #000000;">), toujours grâce à son aimable concours.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Les deux films les plus anciens de ce lot procurent un sentiment comparable, celui d'assister à une expérience limite bouleversant notre rapport au récit cinématographique et posant une quantité de questions sur la nature même de cet art, l'aspect "ouvert à tous vents" (à toutes les interprétations) caractérisant ces propositions pouvant parfois décourager.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">A travers </span><em><span style="color: #000000;"><strong>Je meurs de soif, j'étouffe, je ne puis crier</strong></span></em><span style="color: #000000;">, Gérard Courant semble se (nous) poser la question suivante : A partir de quand une image animée devient du cinéma ? Pour tenter d'y répondre, il part à peu près du même point que pour ses <a href="http://www.gerardcourant.com/index.php?t=cinematon"><em>Cinématons</em></a>. </span><span style="color: #000000;">Il convoque cinq modèles (Marie-Noëlle Kaufmann, Gina Lola Benzima, Tessa Volkine, F.J. Ossang et Philippe Garrel) et les laisse improviser ou simplement prendre la pose dans divers endroits, seuls ou en groupe.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">L'unité rythmique de la série de séquences obtenues ne semble trouvée qu'à l'aide de la bande son, exclusivement de nature musicale. C'est elle qui donne le mieux le sentiment de la possibilité d'un récit et d'un sens. La musique, entendue sur de très longues plages, est de trois sortes : classique, électronique et punk. Le film démontre toute l'importance qu'elle peut avoir dès qu'elle est plaquée sur des images, toutes les variations qu'elle peut apporter. Plus elle est contemporaine, plus elle tire vers le réel, le document (comme ici lors d'un concert du groupe de F.J. Ossang). A cette actualité et ce côté brut s'oppose le lyrisme de l'opéra. Une distance se crée et ce recul permet l'installation d'un récit d'une part et de l'intemporalité d'autre part. Accompagnant une prise de vue, un portrait en mouvement, la musique apporte un surcroît d’émotion. Ici, elle magnifie en premier lieu les plans consacrés à Marie-Noëlle Kaufmann, figure des plus cinégéniques. Ne rien faire d’autre qu'être là, bouger à peine, mais avec l’assurance de capter le regard…</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Comme beaucoup de travaux de Gérard Courant, celui-ci nous renvoie à l’histoire ancienne du cinéma, au muet accompagné de musique, et au temps des mythes Garbo, Dietrich ou Monroe, dont les visages apparaissent plusieurs fois sur l’écran. Toutefois, les liens existant entre les images assemblées restent obscurs et, à mon goût personnel, trop lâches.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Le questionnement se prolonge devant </span><span style="color: #000000;"><em><strong>She’s a very nice lady</strong></em></span><span style="color: #000000;">, autre défi narratif. Avant une plus grande ouverture dans son dernier mouvement, ce film "<em>improvisé par Gérard Courant</em>", selon son générique, repose essentiellement sur trois sources d’images : des plans nocturnes de circulation automobile, des portraits filmés de deux femmes (et d’un enfant), toujours dans le style </span><span style="color: #000000;"><em>Cinématon</em></span><span style="color: #000000;">, et des images de Gene Tierney dans le très beau </span><span style="color: #000000;"><em>Péché mortel</em></span><span style="color: #000000;"> de John Stahl (1945), diffusées sur un écran de télévision, enregistrées et retravaillées par des ralentis, des recadrages ou des teintures. Le montage fait alterner ces différentes vues, au rythme de la musique dont le rôle est de déterminer en fait la durée des séquences qui, sans elle, ne pourraient être distinguées les unes des autres. Le spectre musical va de Brian Eno à Richard Wagner. Les morceaux utilisés sont répétitifs et, parfois, répétés. Les images peuvent l’être aussi et comme la captation de celles de Gene Tierney génère un effet stroboscopique, l’hypnose n’est pas loin.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">L’idée de récit, elle, s’éloigne encore, malgré la proposition faite par le cinéaste sur la jaquette de son DVD. Courant y raconte une histoire précise, mais qui pourrait tout aussi bien ne pas être prise en considération et être remplacée dans la tête du spectateur du film par une autre. Si celui-ci tient à le faire… Pour ma part, j’ai abandonné rapidement la recherche d’un fil conducteur. Il me restait alors à observer ces instantanés, ces altérations d’images, ces jeux de lumières sur ces visages, et à m’interroger sur le cinéma... Y a-t-il une équivalence entre la star de la fiction et le simple modèle ? Ce qui émane de leur présence à l’écran est-il du même ordre ? Leurs images, mises côte-à-côte, dialoguent-elles ensemble ? Se produit-il un écho à partir du cinéma classique hollywoodien ? Qu’est-ce qui se crée dès qu’une caméra tourne ?</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Et encore : Comment garder un moment de cinéma et le faire sien ? Derrière cette question-là se niche sans doute ce qui fait de </span><span style="color: #000000;"><em>She’s a very nice lady</em></span><span style="color: #000000;"> un film très personnel : la recherche d’une conservation. Celle des plans d’un film (d’une actrice) aimé(e) ou celle des traces de la présence des proches. Le sentiment nostalgique qui découle de cet essai cinématographique vient de là.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Devant ces deux films, trouver sa place n’est pas évident. On peut hésiter longtemps entre l’abandon à la pure sensation et la réflexion permanente. L’équilibre est difficile à tenir sur 90 minutes, l’esprit a tendance à divaguer et à fatiguer, et je pense qu’il vaut mieux faire son choix clairement, dès le départ, pour profiter pleinement de l’expérience, ce que je n’ai pas su (ou pu) faire. Cette veine expérimentale de l’œuvre de Gérard Courant n’est apparemment pas celle à laquelle je suis le plus sensible.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Avec </span><span style="color: #000000;"><em><strong>Carnet de Nice</strong></em></span><span style="color: #000000;">, nous nous trouvons dans un registre voisin, toujours assez expérimental mais plus direct, moins réflexif. Nous sommes dans la série des <em>Carnets filmés</em>, là où Gérard Courant donne naissance à l’équivalent d’un journal intime rendant compte de ses voyages. Ici, le prétexte est un séjour niçois durant le temps d’un weekend de novembre 2010.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Débutant avec l’arrivée en train du cinéaste, le film nous montre la promenade des Anglais de manière tout à fait originale : les images enregistrées au rythme du marcheur défilent à l’écran en accéléré. Cette compression produit un drôle d’effet visuel et sonore. Bien qu’encore très longue, la séquence acquiert ainsi une durée supportable, mais c’est surtout la puissance sonore que l’on retient. Le son direct compressé donne un brouhaha assourdissant dès que le moindre <em>roller</em> double le cinéaste-arpenteur. De plus, nous sommes pris en tenaille par les bruits de la circulation sur la voie principale et celui de la mer, régulier et monotone. L’idée est toute simple mais traduit parfaitement la sensation que procure ce genre de ville côtière.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Après la balade, Gérard Courant filme des bribes des <a href="http://regardindependant.hautetfort.com/"><em>Rencontres Cinéma et Vidéo de Nice</em></a>, festival dont il est l’invité, ainsi que l’envers du décor de quelques </span><span style="color: #000000;"><em>Cinématons</em></span><span style="color: #000000;"> tournés à l’occasion. Sa mise en scène de la présentation en public de ses propres œuvres, effectuée par l’un de ses meilleurs connaisseurs, Vincent Roussel, est très astucieuse. Il superpose aux images de l’intervenant en train de parler de son cinéma celles du </span><span style="color: #000000;"><em>Cinématon</em></span><span style="color: #000000;"> que ce dernier avait tourné précédemment. Dans ce </span><span style="color: #000000;"><em>Cinématon</em></span><span style="color: #000000;">, Vincent Roussel présente à la caméra divers objets culturels bien choisis (livres, DVD) et donc, en même temps, par transparence, il présente sur scène l’œuvre de Gérard Courant, qui, par ce collage, présente à son tour Vincent Roussel...</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">La dernière partie de </span><span style="color: #000000;"><em>Carnet de Nice</em></span><span style="color: #000000;"> est essentiellement consacrée à une autre promenade au bord de la mer. On y voit comme en direct les prises de vue se faire selon l’instinct du cinéaste. Il marche et il filme, il cherche des idées de cadrage, en trouve parfois, pas toujours. Il faut accepter cette règle du jeu, ne pas avoir peur de passer par des moments d’ennui. Dans cette série de plans, on voit les ratures et les traits qui se précisent. Gérard Courant filme les flots inlassablement, tente de jouer sur les échelles de plans, du lointain au détail grossi, sur la lumière et les reflets, et obtient quelques belles images touchant à l’abstraction. Avec ce long final, on s’aperçoit que la mer ne nous a jamais vraiment quitté et qu’elle ne nous a guère laissé de répit au cours de ce séjour à Nice.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Le quatrième film de cette livraison appartient lui aussi à une série, intitulée <em>Mes villes d’habitation</em>, dont il constitue le troisième volet. </span><span style="color: #000000;"><em><strong>A travers l’univers</strong></em></span><span style="color: #000000;"> est consacré à Saint-Marcellin, ville de l’Isère de 8 000 habitants dans laquelle Gérard Courant a passé une partie de son enfance dans les années cinquante. Le principe est ici de filmer une à une toutes les rues et les places du lieu. Chaque vue est précédée d’un plan sur la plaque nominative et dure une vingtaine de secondes. Pendant 1h18 sont donc listées les 127 rues et les 17 places d’une ville que la majorité d’entre nous n’a jamais traversé ni même, probablement, jamais entendu parler. A priori, ce programme est des plus austères et fait plutôt fuir... A posteriori, l’expérience est particulièrement vivifiante...</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Commençons par la question récurrente : Est-ce un film, est-ce du cinéma ? Réponse : Oui. 144 fois oui. Pour chaque prise de vue, Gérard Courant s’impose une fixité du cadre. Le choix de l’endroit où il pose sa caméra pour filmer la voie est donc, déjà, primordial. Ensuite, cette fixité renforce la conscience des limites physiques de l’image et, par extension, du hors-champ. Celui-ci à tout autant d’importance que le champ, que ce soit sur le plan visuel (les entrées et les sorties) ou, surtout, sonore (tous les bruits dont on ne voit pas l’origine, les bribes de conversation de passants invisibles, les pleurs ou les cris d’enfants...).</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">La durée de chaque vue est la même. Enfin... sensiblement la même, car il m’a semblé qu’elle pouvait varier de quelques secondes. En effet, Courant choisit avec précautions l’endroit de ses coupes, dans le but de créer une véritable dynamique à partir du réel qu’il enregistre. Ce réel est en fait tiré vers des formes de micro-récits et, compte tenu de la courte durée de chaque plan, c’est bien le soin apporté à leur ouverture et leur clôture qui donne ce sentiment. Ainsi, le film est fait de 144 scènes. Un ballet automobile, un coup de klaxon, un salut adressé au caméraman, la trajectoire d’un piéton, l’apparition d’un chat, le reflet d’une vitre, l’attente d’une vieille dame : ces petits riens font l’événement et suffisent. Notre œil et notre oreille s’exercent. Nous sommes en état d’alerte toutes les vingt secondes, à l’affût de quelque chose (et parfois, nous est octroyée, simplement, une pause). Assurément, tout est affaire de regard. Le nôtre, aiguillé par celui du cinéaste. </span><span style="color: #000000;"><em>A travers l’univers</em></span><span style="color: #000000;">, malgré la rigueur de son dispositif, n’a vraiment rien à voir avec de la vidéo-surveillance.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Il serait toutefois abusif de vous promettre du rire, de l’action et de l’émotion. Quoi que… L’humour est bien présent. On s’amuse bien sûr en voyant la plaque de la Rue de la Liberté complétée à la bombe par un cinglant "<em>de mon cul</em>", mais également en découvrant qu’un bruit pétaradant de scooter annonce l’arrivée dans le cadre... d’un cycliste. Tel déplacement, telle attitude, peuvent de même prêter à sourire. L’action, elle, est assurée grâce à la position particulière que choisit parfois le cinéaste : en bout de rue, probablement sur un trottoir faisant face à un stop. Dans le cadre, les voitures avancent donc vers nous et la question de savoir si elles vont vraiment tourner au dernier moment se pose… Quant à l’émotion, elle jaillit au générique de fin lorsque Barbara entonne <em>Mon enfance</em> sur des photos de Saint-Marcellin. La chanteuse y a en effet passé une partie de la guerre, réfugiée avec sa famille juive.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Dans les choix du cinéaste, un autre me paraît très important : la succession des rues à l’écran dans l’ordre alphabétique. A l’inverse d’une approche par quartier par exemple, ce déroulement assure un panachage qui ménage les surprises. D'une rue à l'autre, tout peut changer. Les violents contrastes visuels et sonores sont réguliers car nous passons sans transition d'une artère de grande circulation automobile à une rue au calme résidentiel ou à une route menant vers la campagne où chantent les oiseaux.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">A nouveau voici un film sous-tendu par l'idée de conservation, de la fixation d'un présent qui pourrait éclairer un futur. <em>A travers l'univers</em> est un travail pour demain. Mais vu aujourd'hui, c'est avant tout un film contemporain qui, malgré la modestie de sa forme, nous fait partager de la manière la plus juste qui soit l'expérience de la vie dans nos villes françaises.</span></p><p> </p><p style="text-align: justify;"><img id="media-3343156" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/00/3805303317.jpg" alt="courant,france,documentaire,70s,80s,2000s,2010s" /><strong>JE MEURS DE SOIF, J'ÉTOUFFE, JE NE PUIS CRIER</strong></p><p style="text-align: justify;"><strong>SHE'S A VERY NICE LADY</strong></p><p style="text-align: justify;"><strong>CARNET DE NICE</strong> (Carnet filmé : 19 novembre 2010 - 22 novembre 2010)</p><p style="text-align: justify;"><strong>Á TRAVERS L'UNIVERS</strong></p><p style="text-align: justify;">de Gérard Courant</p><p style="text-align: justify;">(France / 67 min, 90 min, 81 min, 79 min / 1979, 1982, 2010, 2005)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlBenvenutatag:nightswimming.hautetfort.com,2011-06-30:36851082011-06-30T21:46:44+02:002011-06-30T21:46:44+02:00 **** (Chronique dvd parue sur Kinok ) Dans le court document...
<p style="text-align: center;"><img id="media-3102983" style="margin: 0.7em 0pt;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/02/1082812990.jpg" alt="delvaux,mélodrame,belgique,80s" /></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: xx-large; color: #999999;"><strong>****</strong></span></p><p style="text-align: left;"><img id="media-2849479" style="margin: 0.7em 0;" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/00/3467676215.2.jpg" alt="logoKINOK.jpg" /></p><p style="text-align: justify;">(Chronique dvd parue sur <a href="http://www.kinok.com/index.php?option=com_content&view=article&id=583:critique-dvd-benvenuta-de-andre-delvaux-avec-vittorio-gassman-fanny-ardant&catid=34:chroniques-dvd">Kinok</a>)</p><p style="text-align: justify;">Dans le court document proposé en supplément sur ce DVD, on entend Françoise Fabian, sur le tournage, louer son metteur en scène en ces termes : "<em>il fait un cinéma d'Auteur</em>". Quelques instants plus tôt, André Delvaux soulignait la triple nationalité de son film. En effet, <strong><em>Benvenuta</em></strong> est une production européenne de prestige, confiée à un artiste alors reconnu... et elle n'en possède que les défauts (excepté, il est vrai, celui, malheureusement courant, du non-respect des langues de chacun : ici, les voix et les accents sont les bons).</p><p style="text-align: justify;">Auteur, donc, André Delvaux l'est assurément. Mais avec cette adaptation d'une nouvelle de la romancière flamande Suzanne Lilar, il est tellement sûr de son sujet, il se voit tellement près de ses préoccupations de toujours, de sa sensibilité surréaliste, de son attirance pour le rêve et la fiction, qu'il se contente de livrer une plate illustration. Il prend appui sur ses dialogues, ses décors, ses acteurs, mais il ne leur insuffle aucune vie. Ainsi, de ces derniers, nous ne voyons que le travail et jamais nous ne percevons, derrière les masques, les personnages. Des numéros se succèdent : aux plissements des yeux et aux gestes de Vittorio Gassman répondent le regard intensément noir et les jeux de bouche de Fanny Ardant.</p><p style="text-align: justify;">Surjouée à chaque instant, cette histoire est celle d'une passion. Cet amour absolu est posé sans préavis dès le début du récit et toute évolution nous est refusée. Il faut donc s'accrocher, tenter de se persuader que derrière le faux et l'artificiel, se niche l'étrangeté. Peine perdue.</p><p style="text-align: justify;">Deux niveaux de réalité se superposent pour faire naître, finalement, un effet de miroir. Se superposent mais ne se fondent pas, chaque élément apporté restant indépendant des autres. Prenons le délire mystique. Chez Buñuel, il est une source infinie d'ambiguïté et véhicule toutes sortes d'interrogations. Dans <em>Benvenuta</em>, il ne provoque qu'une question : le personnage de Vittorio Gassman est-il sincère ou non ? Jamais nous ne sommes vraiment mis dans les dispositions pouvant nous amener à penser qu'il puisse être à la fois le converti et le manipulateur. En élargissant au film entier, la même remarque est à faire. Malgré le glissement de la fiction à la réalité, opéré à la suite du personnage de la romancière qui passe progressivement, dans son récit, du "elle" au "je", les points de bascule entre les différents niveaux restent inopérants. De l'un à l'autre, si contamination il y a, elle ne concerne que le style apprêté, la joliesse et l'indifférence. Film musical sans musicalité, <em>Benvenuta</em> donne à voir un nivellement : le trivial et le poétique y sont également guindés.</p><p style="text-align: justify;">Prisonnier du littéraire, ce cinéma est parfaitement académique, aussi dépourvu de vie que le sont ces panoramiques sur le mobilier agencé soigneusement par l'ensemblier. Pour admirer l'intégration de vedettes à une trame rêvée par André Delvaux, mieux vaut revoir <a href="http://nightswimming.hautetfort.com/archive/2008/01/21/un-soir-un-train.html"><em>Un soir, un train</em></a>, réalisé quinze ans plus tôt. Le rêve, alors, éveillait. Ici, il plonge dans le sommeil le plus profond.</p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><img id="media-3088819" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0pt;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/120197358.jpg" alt="delvaux,mélodrame,belgique,80s" /><strong>BENVENUTA</strong></p><p style="text-align: justify;">d'André Delvaux</p><p style="text-align: justify;">(Belgique - France -Italie / 105 mn / 1983)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlQuatre (autres) films de Gérard Couranttag:nightswimming.hautetfort.com,2011-05-27:35739802011-05-27T22:24:00+02:002011-05-27T22:24:00+02:00 ** ** / ** ** / ** ** / *** * Trois mois...
<p style="text-align: center;"><img id="media-3048513" style="margin: 0.7em 0pt;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/00/1915653539.jpg" alt="courant,france,documentaire,science-fiction,80s,90s" /></p><p style="text-align: center;"><img id="media-3048514" style="margin: 0.7em 0pt;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/00/2935432918.jpg" alt="courant,france,documentaire,science-fiction,80s,90s" /></p><p style="text-align: center;"><img id="media-3048516" style="margin: 0.7em 0pt;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/02/4155138408.jpg" alt="courant,france,documentaire,science-fiction,80s,90s" /></p><p style="text-align: center;"><img id="media-3048517" style="margin: 0.7em 0pt;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/01/3680710707.jpg" alt="courant,france,documentaire,science-fiction,80s,90s" /></p><p><strong><span style="font-size: xx-large;">**<span style="color: #999999;">**</span></span></strong><span style="font-size: xx-large;">/</span><strong><span style="font-size: xx-large;">**<span style="color: #999999;">**</span></span></strong><span style="font-size: xx-large;">/</span><strong><span style="font-size: xx-large;">**<span style="color: #999999;">**</span></span></strong><span style="font-size: xx-large;">/</span><strong><span style="font-size: xx-large;">***<span style="color: #999999;">*</span></span></strong></p><p style="text-align: justify;">Trois mois après la <a href="http://nightswimming.hautetfort.com/archive/2011/02/25/quatre-films-de-gerard-courant.html">première</a>, une deuxième promenade dans la filmographie du cinéaste Gérard Courant, toujours grâce à ses aimables envois, et un modeste soutien au projet pharaonique de <a href="http://drorlof.over-blog.com/categorie-11831567.html">Cinéma(ra)t(h)on</a> du Dr Orlof...</p><p style="text-align: justify;">Qu'est-ce que <a href="http://www.gerardcourant.com/index.php?t=cinematon"><em>Cinématon</em></a> ? Un film ou des films ? Du cinéma ou de l'archivage ? Une fois que l'on a salué comme il se doit cette entreprise unique en son genre, il s'avère aussi difficile de juger un numéro particulier qu'un florilège de ceux-ci. Car l'objet est multiforme et ses déclinaisons possibles sont infinies (l'avenir permettra-t-il de se faire soi-même son collier de Cinématons favoris ?). Ensuite, on remarque rapidement que la qualité que l'on prête à un Cinématon dépend de très nombreux facteurs, dont certains peuvent lui être totalement extérieurs. Certes, quelques uns, par leur esthétique ou leur originalité de conception, "parlent d'eux-mêmes", mais dans la majorité des cas, l'intérêt suscité peut fluctuer selon notre connaissance du sujet filmé, la place octroyée dans la série visionnée, le contraste provoqué par le rapprochement avec les numéros voisins, ou bien, tout simplement, comme le démontre l'expérience actuelle du Dr Orlof, notre état physique et psychologique. De plus, les "cinématonés" ne s'engagent pas tous dans l'aventure de la même façon. Il y a ceux qui jouent et ceux qui s'efforcent d'être, ceux qui se cachent et ceux qui s'exhibent.</p><p style="text-align: justify;">Mais d'ailleurs, qui est "l'auteur" d'un Cinématon ? Gérard Courant en est le réalisateur, le garant technique. Il enregistre sans intervenir, l'œil collé à son viseur, jusqu'à être parfois "victime" (lui ou son matériel) des débordements de ses sujets. Gérard Courant est tel un opérateur Lumière de 1895. Le cadre, le plus souvent fixe, l'absence de son et le grain de l'image donnent un aspect primitif à ces courts métrages de trois minutes chacun. La démarche est directe (une seule prise continue et pas d'échappatoire, sauf à sortir du cadre), ce qui induit une évidente mise à nu du modèle, même brève, même au sein des Cinématons les plus élaborés et les plus scénarisés. Dès lors, tout peut arriver. Hormis les contraintes techniques imposées par Courant, il n'existe pas de règle. Le spectateur passe alors par tous les états.</p><p style="text-align: justify;"><strong><em>25 Cinématons de cinéastes célèbres</em></strong> est une compilation regroupant des portraits filmés entre 1980 et 1992. On croise donc Joseph Losey qui discute, John Berry qui reste immobile et fixe la caméra, Marco Bellocchio qui ne sait quoi faire, Daniel Schmid qui montre des photos d'Ingrid Caven ou de Fassbinder, Margarethe Von Trotta qui fait la gueule, Jonas Mekas qui boit un verre. Qui retient notre attention ? Aimer un cinéaste, ce n'est pas forcément aimer son portrait. Godard, Wenders, Fuller, Monicelli, par exemple, ne font pas grand chose : leur présence se suffit-elle à elle-même ? En revanche, si Terry Gilliam fait le pitre, il joue plutôt habilement avec les limites du cadre. Manoel de Oliveira laisse son visage être sculpté par la lumière, Carlo Lizzani montre une fausse coquetterie sympathique, Volker Schlöndorff cuisine avec simplicité et Maurice Pialat semble d'abord agacé de devoir poser devant la caméra avant de lâcher quelques sourires entre les mots échangés avec, on l'imagine, Gérard Courant. Le Cinématon de Nagisa Oshima est très étrange. L'homme est assis, impassible et bien habillé, devant une baie vitrée, et dans son dos ne cessent de passer des estivants en maillot de bain. Deux réalités séparées s'affichent. De toutes ces contributions, celle de Fernando Arrabal est la plus originale et la plus travaillée. Délirante, elle prend en compte les contraintes de temps (avec un jeu autour de chronomètres) et de fixité du cadre (un tableau est mis en mouvement en arrière-plan) pour imposer une répétition absurde et burlesque. Et même l'imprévu y a sa place lorsque l'une des cinq lunettes portées par Arrabal tombe accidentellement !</p><p style="text-align: justify;"><em><strong>25 Cinématons insolites</strong></em> est une autre sélection thématique, encadrée par le manifeste punk de F.J. Ossang et une auto-mutilation <em>destroy</em> de Laurent Piketty. Dans ce registre-là, ma préférence va plutôt au Cinématon de l'artiste Else Gabriel, véritable petit film d'horreur avec visage maculé, regard vide et rat sur l'épaule. De même, les farces de Roland Lethem (et son visage malléable) et de Jean-Pierre Bouyxou (qui se transporte dans un film coquin du début du siècle) m'ont moins séduit que l'humour naturel de Jacques Monory. Dans un Cinématon, instaurer un suspense intelligent, graphique ou scénique, semble un gage de qualité. C'est le cas par exemple chez Dominique Noguez qui écrit sur son visage ou chez Boris Lehman qui dissimule le sien derrière des feuilles de papier manuscrites. Mais les Cinématons les plus remarquables sont généralement ceux qui interrogent, bousculent, transcendent ou accusent les contraintes du dispositif. Autant un visage insondable et immobile peut ennuyer, autant un cadre soudain vidé (Patrick Poivre d'Arvor quittant son bureau) ou obstrué (le noircissement de la surface du plan par le peintre Ernest Pignon Ernest) peut intriguer, voire fasciner (à la condition qu'il y ait un avant et un après l'évidement ou le remplissage). Le cinéaste belge Jean-Jacques Andrien a une belle idée : prendre avec un Polaroid deux photos, de lui et de Gérard Courant, et les laisser se développer alors qu'il quitte le champ. La durée du film devient alors celle de l'apparition photographique. Gérard Vaugeois procède, lui, à une mise en abyme : face à un miroir renvoyant l'image de la caméra de Courant, il présente (de manière légèrement bordélique) une série de photographies de "cinématonés" célèbres. En fait, le dispositif du Cinématon est tellement simple qu'une seule petite idée peut provoquer un résultat remarquable. Ainsi, Markus Imhoff, cadré de haut en train de nager dans une piscine, par ses mouvements transversaux, crée une dynamique interne inhabituelle. De même, un cadrage serré sur Christian-Marc Bosséno, immobile, s'accompagne d'un défilement flottant et étrange de l'arrière plan : nous sommes en effet sur un bateau longeant le port de Cannes. Terminons cette évocation avec le plus beau Cinématon, du point de vue estéhtique, de la série proposée. Ce n'est pas celui d'Alain Fleischer, dont les flashs très espacés font plutôt mal aux yeux, mais celui du musicien Eric Gérard. Ses jets de peinture sur une vitre balayée par une lumière stroboscopique produisent un superbe effet.</p><p style="text-align: justify;">Parmi les récidivistes du Cinématon, l'un des plus réguliers est Joseph Morder. L'homme appartient à la même famille que Gérard Courant, celle des "filmeurs", selon l'expression d'Alain Cavalier. Pour Courant, dresser un portrait plus détaillé de celui qui, depuis 1967, réalise avec sa caméra un "journal intime filmé", semblait donc s'imposer. Ainsi naquit <strong><em>Le journal de Joseph M</em></strong>. Comme souvent, le documentaire épouse la forme du travail du sujet principal afin de mieux en rendre compte. Il s'organise donc autour de deux pôles nommés fantaisie et quotidien. On s'amuse de la plupart des sketchs inventés, en particulier ceux, savoureux et fort bien "joués", mettant en scène Morder et son égérie Françoise Michaud. Les Cinématons consacrés à Joseph M. démontraient d'ailleurs que ce petit bonhomme au visage expressif savait, dès ses débuts, attirer le regard et se mettre le spectateur dans la poche par son humour. Ici, entre deux saynètes, il dialogue avec naturel et pertinence avec Dominique Noguez, Alain Riou ou Luc Moullet, le jeu des questions-réponses éclairant bien sa démarche artistique. Reconnaissons toutefois que l'escapade filmée à Bruxelles nous a paru moins intéressante. Est abordée là la dimension la plus intime du travail de Morder, à travers des retrouvailles avec quelques amis. Proposant moins de réflexions sur la pratique, cette partie peut paraître légèrement "excluante" (Morder utilisant par exemple le mot "Morlock", invention de langage qui n'est pas expliquée dans le film mais seulement dans l'un des bonus l'accompagnant). Mais nous aurions mauvaise grâce à reprocher à Gérard Courant ce détour puisque l'intime est au cœur même du projet du sautillant Joseph Morder.</p><p style="text-align: justify;">Arrivant à la hauteur du quatrième et dernier titre de ce lot, nous quittons (à première vue seulement) les rives du documentaire pour entrer dans la fiction (plus précisément : la science-fiction), celle des <em><strong>Aventures d'Eddie Turley</strong></em>.</p><p style="text-align: justify;">Dans un futur indéterminé, Eddie Turley, agent secret travaillant pour les Pays Extérieurs, enquête sur les inquiétants événements ayant cours à Moderncity, mégapole dirigée par un Roi tenant la population sous sa coupe et recourant à tout l'arsenal totalitaire, de la surveillance à l'élimination des citoyens. Suivi par la Ministre des Images et agent double Mariola, le héros parvient à détourner les clichés que prend celle-ci et à rendre ainsi compte à ses supérieurs de l'angoissante réalité des choses.</p><p style="text-align: justify;">L'intrigue n'est, dans ses grandes lignes, pas foncièrement originale. La réalisation l'est en revanche beaucoup plus. En effet, ce film n'est constitué que d'une série de photographies, environ 2400 (ce sont en fait des photogrammes issus de la pellicule utilisée lors du tournage, ce qui ajoute à l'étrangeté du procédé (*)) et c'est le montage de ces images fixes qui crée le mouvement. Sur celles-ci se posent la seule voix d'Eddie Turley (en réalité celle de l'écrivain Hubert Lucot), des sons d'ambiance, une bande originale épatante (mélange de nappes de progressif, de plages synthétiques et d'expérimentations post-punk). Comme s'intercalent également des cartons semblant extraits d'un journal intime, le tout forme un écheveau relativement complexe au regard de la simplicité du principe de départ.</p><p style="text-align: justify;">Le récit progresse à un rythme étrange, par à-coups, ménageant plusieurs pauses et bifurquant à de nombreuses reprises. En plein milieu, trois ou quatre phrases et autant d'images suffisent à raconter une arrestation, un long séjour en prison et une évasion. Ici, il est plus affaire de sensations que d'actions et la scène la plus marquante est celle qui se rattache le moins à une réalité tangible (une lutte magnifique de Turley dans et contre un espace de couleurs, en noir et blanc bien sûr). Contant une sombre histoire et revalorisant avec une belle sensibilité les rapports humains (amoureux, notamment), le film n'oublie pas pour autant de faire sourire. L'humour y est discret mais présent. Une bagarre est vue comme un combat de boxe officiel, des sigles sont savoureusement détournés (les Compagnons du Roi Secret font respecter l'ordre et face à Moderncity se dresse l'Union des Républiques Suicidées et Saccagées) et, parmi les quelques connaissances croisées ici, Joseph Morder, malgré la brièveté de ses apparitions, n'a pas à en faire des tonnes pour être irrésistible dans la peau du Professeur Morlock.</p><p style="text-align: justify;">Mais il se passe surtout quelque chose de vraiment étonnant avec ces <em>Aventures d'Eddie Turley</em>. Le cinéaste a ramené des images des quatre coins du monde, de Berlin à Montpellier, de l'Inde au Canada. On y reconnaît par exemple, sans effort, Paris ou New York. Par conséquent, se posent plusieurs questions. Comment peut-il se faire qu'une succession d'images purement documentaires, de prises de vue des villes et des principaux personnages s'y déplaçant, au sein d'espaces jamais modifiés, serve de support à une histoire de SF totalement cohérente ? Comment une image quelconque peut-elle véhiculer un suspense, une angoisse ? Car enfin, une image fixe et muette ne dit rien d'autre que ce que nous voulons lui faire dire, nous, ses spectateurs... Gérard Courant donne une réponse qu'il n'est certainement pas le premier à formuler mais qu'il est toujours bon de rappeler : le sens nouveau naît de l'articulation de ces images les unes avec les autres et de l'adjonction d'une bande son adéquate faisant office de liant. L'illusion est à ce prix et, dans ce cas précis, le noir et blanc aide à l'unification des sources d'images et à la création d'une ambiance particulière.</p><p style="text-align: justify;">Dans ce film, l'image d'un taxi new yorkais ou d'un CRS parisien relève d'une simple réalité tout autant qu'elle nourrit un récit original (souvent, elle va même au-delà, puisqu'elle peut signaler par exemple la permanence d'un pouvoir oppresseur). Il n'y a donc pas désamorçage ou parasitage, il y a addition. Lorsque le héros nous présente successivement ses trois contacts féminins dans Moderncity, nous sommes informés, nous assistons à l'établissement de l'un des socles sur lesquels repose le récit, mais, dans le même temps, nous admirons une série de portraits de belles femmes prenant la pose ou s'activant avec grâce devant l'objectif de Gérard Courant.</p><p style="text-align: justify;">On trouve chez ce cinéaste un jeu constant entre archaïsme et modernité. En passant par le premier, la forme peut atteindre à la seconde, ou, tout au moins, la pertinence de ce choix d'expression n'est pas démentie. Notons par ailleurs l'existence d'une autre tension, entre le geste expérimental et la notation pédagogique. Je l'avais déjà avancé dans ma première note : les travaux de Courant passionnent souvent par leur façon de montrer, plus ou moins directement, la "fabrique cinématographique" (et en bon et honnête "pédagogue", notre homme cite ici ses sources d'inspiration pendant le générique de fin, d'Orwell à Godard).</p><p style="text-align: justify;">Finalement, on éprouve une certaine émotion à voir la transfiguration de ces visages et de ces corps, le dépassement du simple statut documentaire des images et l'ouverture vers l'imaginaire obtenue avec si peu. Partant d'une telle histoire, avec les mêmes limites budgétaires, il est difficile d'imaginer, quelque soit le talent de l'auteur, un résultat probant si le film avait été réalisé en couleurs et en prises de vue animées classiques. Nous aurions eu bien du mal, je pense, à échapper au bricolage et à la blague de potache. Peut-être n'aurait-ce pas été déplaisant mais l'ampleur n'aurait certainement pas été la même. Telle qu'elle est, l'œuvre ne dépare pas aux côtés d'autres OVNI du cinéma français comme <em>Le dossier 51</em> de Michel Deville ou <em>La jetée</em> de Chris Marker.</p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;">(*) : lire à ce sujet les explications du cinéaste données lors d'un entretien qu'il reprend sur son site internet, <a href="http://www.gerardcourant.com/index.php?f=62">ici</a>.</p><p style="text-align: justify;"> </p><p><img id="media-3048512" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0pt;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/01/1686672952.jpg" alt="courant,france,documentaire,science-fiction,80s,90s" /><strong>25 CINÉMATONS DE CINÉASTES CÉLÈBRES</strong></p><p><strong>30 CINÉMATONS INSOLITES</strong></p><p><strong>LE JOURNAL DE JOSEPH M.</strong></p><p><strong>LES AVENTURES D'EDDIE TURLEY</strong></p><p>de Gérard Courant</p><p>(France / 100 mn, 120 mn, 58 mn, 90 mn / 1993, 1993, 1999, 1987)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlLa nuit de San Lorenzotag:nightswimming.hautetfort.com,2011-03-21:31460732011-03-21T22:16:00+01:002011-03-21T22:16:00+01:00 *** * Un jour de l'été 44, en Italie, les habitants de...
<p style="text-align: center;"><img id="media-2941910" style="margin: 0.7em 0;" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/01/4208570223.jpg" alt="taviani,italie,histoire,80s" /></p><p><span style="font-size: xx-large;"><strong>***<span style="color: #999999;">*</span></strong></span></p><p style="text-align: justify;">Un jour de l'été 44, en Italie, les habitants de San Martino, sont sommés par les Allemands de se réunir le lendemain dans un lieu précis, l'église, pendant qu'ils feront sauter toutes les maisons alentour. Dans la nuit, le groupe de villageois se scinde en deux : une moitié décide d'obéir aux ordres, l'autre de fuir à travers la campagne à la rencontre des Américains libérateurs.</p><p style="text-align: justify;"><strong><em>La nuit de San Lorenzo</em></strong> est un film d'une telle richesse que l'on ne sait trop par où en commencer avec lui. L'une des premières choses frappantes est l'importance donnée aux lieux traversés. Celle-ci, bien que quantité d'images soient absolument magnifiques, n'est pas uniquement d'ordre plastique. Cave ou église, sous-bois ou champ, chambre d'enfant ou chemin de traverse, les multiples espaces dans lesquels prennent place les actions représentées, devant la caméra des Taviani, imposent l'évidence de leur topographie, accueillent à merveille ces bribes de récits et libèrent toutes sortes de significations. Pour ce faire, les cinéastes s'appuient sur leur matérialisme. Les décors proposent constamment des repères concrets, des objets ou des éléments naturels destinés à une utilisation précise. Ainsi, le large escalier de la cave impose une succession de montées et de descentes agitées et le champ de blé, avant d'être le lieu métaphorique d'un extraordinaire affrontement, est un endroit stratégique puisque fascistes et rebelles s'y disputent la récolte.</p><p style="text-align: justify;">Beaucoup parmi ces lieux, reliés par des chemins et des routes, sont des lieux de croisement. Ils nécessitent alors des choix. Pour cette raison, les groupes constitués ne cessent d'éclater, de perdre des membres et d'en gagner. De s'opposer aussi, très clairement : Allemands, fascistes, villageois, rebelles et, presque invisibles, Américains. L'une des beautés du film vient de ce que les mouvements produits sous les effets conjugués du paysage et de l'activité des groupes semblent entraîner eux-mêmes la mise en scène et lui offrir une incroyable liberté formelle et narrative. Alors qu'ils accompagnent l'errance de leurs personnages, les Taviani peuvent tout à coup choisir de suivre quelqu'un qui s'écarte du chemin ou lier sans prévenir tel gros plan à un flash-back, parmi tant d'autres possibles. Cette liberté est donc autant horizontale (l'espace) que verticale (le temps).</p><p style="text-align: justify;">L'argument de départ est celui d'une fuite et les paysages traversés sont nombreux. Mais, déjà, il faut noter que le trajet se fait bien sûr à pied et que l'avancée est indécise, l'endroit où se trouve l'armée américaine n'étant pas connu exactement. Les distances parcourues ne sont donc pas énormes et la route suivie n'est pas droite. Mieux encore : elle paraît quasiment, au final, tracer un cercle. Cette figure est d'ailleurs omniprésente à l'écran, des puits aux bassins, en passant par les cratères d'obus, les trous creusés, la cour de la ferme, la place du village. Partie d'ici, une poignée d'habitants y reviendra, nous dit-on avant la conclusion et, pendant le périple même, certains auront déjà effectué un aller-retour. Si cette impression de trajectoire en boucle, dont le point le plus éloigné du départ reste relativement proche, a un fondement réaliste (le rythme lent de la marche, la rencontre de gens qui se connaissent ou qui ont entendu parlé les uns des autres à l'intérieur de cette province), elle nait surtout de la volonté des Taviani de donner à leur récit les atours du conte.</p><p style="text-align: justify;">Il est d'ailleurs plus que temps de préciser (ou de rappeler) que ce récit est encadré par un prologue et un épilogue, dans lesquels une femme parle à son enfant prêt à s'endormir. L'histoire du film est la sienne. A peine âgée d'une dizaine d'année, elle prit part à cette aventure. A travers l'écran, nous adoptons donc le point de vue d'une enfant. Plus exactement, nous voyons les choses telles qu'elles ont été filtrées par son imagination (l'utilisation parcimonieuse de la voix off est hautement appréciable). Cette approche assure au film sa cohérence tout en permettant les fantaisies.</p><p style="text-align: justify;">La présentation de ce passé re-vécu et le passage par le prisme d'un regard d'enfant pouvaient laisser craindre une facture académique et, malgré le fond historique, doucement nostalgique. Les soubresauts de la mise en scène éloignent aisément ce spectre. A la distanciation et au merveilleux, les Taviani ajoutent des éclats de violence (mutilation, cris de rage, morts subites) et les frissons du désir (sensualité dans les gestes et les regards, formation de nouveaux couples, exhibitions, amitié virile trop attentionnée pour ne pas sous-entendre l'homosexualité). Tout est possible, ce qui renvoie à une dimension magique. La nuit de San Lorenzo est celle des étoiles filantes. Tout peut arriver à cette croisée des chemins, pour chaque protagoniste et pour l'Italie elle-même.</p><p style="text-align: justify;">Car la force du film est aussi là : dans la manière dont les Taviani, qui se sont fortement inspirés de leurs souvenirs personnels de l'époque de la guerre (ils étaient adolescents), parviennent à mêler la petite et la grande histoire. Comme les détails du quotidien, les références culturelles et historiques abondent. L'histoire de l'Italie depuis l'antiquité traverse souterrainement le film et resurgit par endroits, très explicitement, notamment par le biais du regard de la petite fille qui permet de réunir parfois dans le même temps la réalité vécue et la légende. Soumis à de telles turbulences, le style des Taviani apparaît heurté, parfois excessif, parfois un peu faux, mais il libère une puissance d'expression remarquable. Il colle de plus parfaitement avec la période abordée, temps de chaos où rien n'est jamais sûr, où, comme le montre le stratagème inventé par un très jeune mussolinien pour piéger un rebelle et consistant à ôter sa chemise sombre, le blanc peut tourner au noir, et inversement.</p><p style="text-align: justify;">Pour terminer, je dois évoquer un rapprochement qui s'est effectué dans mon esprit lors la vision du film. Le traitement des groupes dans les plans longs et larges m'a rappelé, en plus dynamique, le cinéma d'Angelopoulos, par ces mouvements coordonnés ou, au contraire, opposés, impulsant le rythme des séquences (*). La vitalité atténue quelque peu, par rapport au travail de l'auteur du <a href="http://nightswimming.hautetfort.com/archive/2010/12/23/theo-angelopoulos-coffret-dvd-7-films.html"><em>Voyage des comédiens</em></a>, l'impression chorégraphique, mais les compositions sont similaires et souvent proches, dans les deux cas, du théâtre, provoquant ainsi une certaine distanciation. Toutefois, dans <em>La nuit de San Lorenzo</em>, à l'inverse de certains films d'Angelopoulos, le groupe est avant tout une somme d'individus. La caméra s'en approche régulièrement pour, éventuellement, les détacher. Dans ce projet si vaste et ambitieux, ils gardent alors toujours leur singularité.</p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;">(*) : Deux détails consolident l'étrange lien tissé ici entre les Taviani et Angelopoulos : Omero Antonutti, acteur "principal" de <em>La nuit de San Lorenzo</em> tenait le rôle, deux ans plus tôt, d'Alexandre le Grand dans le film du même nom et Tonino Guerra, crédité pour son aide au scénario, entamera, peu de temps après, une longue collaboration avec le cinéaste grec.</p><p style="text-align: justify;"> </p><p><img id="media-2940779" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/02/415141386.jpg" alt="NuitdeSanLorenzo00.jpg" /><strong>LA NUIT DE SAN LORENZO</strong> (<em>La notte di San Lorenzo</em>)</p><p>de Paolo et Vittorio Taviani</p><p>(Italie / 105 mn / 1982)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlThéo Angelopoulos (coffret dvd 7 films)tag:nightswimming.hautetfort.com,2010-12-23:30395912010-12-23T21:55:00+01:002010-12-23T21:55:00+01:00 La reconstitution ( Anaparastasi ) (Théo Angelopoulos / Grèce / 1970)...
<p style="text-align: justify;"><strong><em>La reconstitution</em></strong> (<em>Anaparastasi</em>) (Théo Angelopoulos / Grèce / 1970) <span style="font-size: medium;">■■■□</span></p><p style="text-align: justify;"><strong><em>Jours de 36</em></strong> (<em>Meres tou '36</em>) (Théo Angelopoulos / Grèce / 1972) <span style="font-size: medium;">■■■□</span></p><p style="text-align: justify;"><strong><em>Le voyage des comédiens</em></strong> (<em>O thiasos</em>) (Théo Angelopoulos / Grèce / 1975) <span style="font-size: medium;">■■■</span><span style="font-size: medium;">■</span></p><p style="text-align: justify;"><strong><em>Les chasseurs</em></strong> (<em>Oi Kynigoi</em>) (Théo Angelopoulos / Grèce - France / 1977) <span style="font-size: medium;">■■</span><span style="font-size: medium;">□</span><span style="font-size: medium;">□</span></p><p style="text-align: justify;"><strong><em>Alexandre le Grand</em></strong> (<em>O Megalexandros</em>) (Théo Angelopoulos / Grèce - Italie - Allemagne / 1980) <span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">□</span><span style="font-size: medium;">□</span><span style="font-size: medium;">□</span></p><p style="text-align: justify;"><strong><em>Athènes</em></strong> (<em>Athina</em>) (Théo Angelopoulos / Grèce - Italie / 1983) <span style="font-size: medium;">■■■□</span></p><p style="text-align: justify;"><strong><em>Voyage à Cythère</em></strong> (<em>Taxidi sta Kythira</em>) (Théo Angelopoulos / Grèce - Italie - Grande-Bretagne - Allemagne / 1984) <span style="font-size: medium;">■■■□</span></p><p style="text-align: justify;"><img id="media-2813017" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/01/2733408907.jpg" alt="angelopoulos00.jpg" />La <span style="color: #000000;">présente initiative de la maison Potemkine est à saluer comme il se doit. Elle procède à une nouvelle mise à jour de films devenus quasiment inaccessibles et permet de remettre en perspective une œuvre qui avait tendance à se figer, faute de renouvellement des regards portés sur elle. La découverte du </span><em><span style="color: #000000;">Voyage des comédiens</span></em><span style="color: #000000;"> à Cannes en 1975 par la critique internationale fit soudainement de Théo Angelopoulos l'un des artisans majeurs de la modernité cinématographique. Aux jeunes cinéphiles français des années 2000, en revanche, il ne fut guère donnée l'occasion de suivre une quelconque "actualité Angelopoulos" : </span><em><span style="color: #000000;">Eleni</span></em><span style="color: #000000;"> fut distribué négligemment en plein été 2004 et </span><em><span style="color: #000000;">The dust of time</span></em><span style="color: #000000;">, présenté au Festival de Berlin en 2009, est à ce jour encore relégué dans un tiroir. Entre les deux, une génération, la mienne, a pu suivre la carrière du cinéaste au moment où sa reconnaissance était à son sommet, durant les années 80/90. Si l'on partait alors du milieu de cette période, remonter en direction de la source, jusqu'à </span><em><span style="color: #000000;">L'apiculteur</span></em><span style="color: #000000;"> (1986) ou </span><em><span style="color: #000000;">Voyage à Cythère</span></em><span style="color: #000000;"> (1984), c'était plutôt voir confirmée la réputation du cinéaste, tandis que se laisser porter par le courant chronologique aboutissant provisoirement à </span><em><span style="color: #000000;">L'éternité et un jour</span></em><span style="color: #000000;"> (1998), c'était certes apprécier son talent indéniable mais aussi assister à son couronnement en tant que poète officiel du cinéma européen - statut partagé par Wim Wenders et, un temps, par Krzysztof Kieslowski -, le voir traiter des maux d'un continent entier au risque d'endosser l'habit du sinistre professeur d'histoire contemporaine et, accessoirement, constater sa mauvaise humeur lorsqu'il n'obtenait pas une Palme d'or. Pour tous, ce coffret Potemkine, regroupant les sept premiers films, arrive donc à point nommé.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;"><img id="media-2813020" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/00/3637995465.jpg" alt="reconstitution3.jpg" />L'œuvre entière étant reconnue au moins pour sa cohérence, nous ne sommes guère étonnés de trouver dès </span><strong><em><span style="color: #000000;">La reconstitution</span></em></strong><span style="color: #000000;">, plus qu'ébauchées, les principales marques du style Angelopoulos. Il s'inspire ici d'un fait divers s'étant déroulé dans un village montagnard : le meurtre d'un homme, de retour d'Allemagne, par sa femme et son amant. La tragédie classique sous-tend déjà le récit mais l'approche est réaliste, presque documentaire avec quelques notations sociologiques sur le dépérissement des petits villages de Grèce, l'émigration des travailleurs, la dureté des conditions de vie. Le caractère prosaïque des scènes, la grisaille qui les enserre, les allers-retours géographiques et le manque évident de moyens provoquent la répétition et une certaine restriction, mais un principe fort est énoncé : il faut travailler la notion d'espace et de là (faire) réfléchir sur le temps qui s'y inscrit. Ainsi, le décor, toujours naturel, prend toute son importance, remarquablement photographié en noir et blanc et parcouru par la caméra et les protagonistes. Ces déplacements donnent leur rythme aux séquences, le modifie parfois en cours de route, en fonction des croisements et des changements de sujet qui peuvent se réaliser dans le plan lui-même.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Le fil narratif propose un va-et-vient entre plusieurs temps, plus exactement, entre plusieurs strates puisque nous sommes invités à suivre trois types de reconstitutions distincts mais que le cinéaste se plaît à entremêler : la reconstitution du crime par les enquêteurs, dans la maison et le jardin de la victime, celle qu'un groupe de journaliste effectue en interrogeant les villageois et enfin, celle que nous voyons sous forme de flash-backs retraçant le parcours des amants criminels une fois leur forfait commis. Déjà, Angelopoulos manie avec brio les niveaux de perception et de représentation. Et ce récit fait de couches successives nous place vite devant cette évidence : aucune reconstitution n'est à même de percer le secret des motifs. Le plan final l'assène avec force, ce morceau de bravoure reprenant l'action fondatrice du récit tout en la maintenant hors-champ. Une cour, des allées et venues et une porte qui reste fermée. La scène symbolise tout le film et son propos. Ce n'est pas la dernière fois qu'Angelopoulos usera du procédé...</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;"><img id="media-2813031" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/2529256243.jpg" alt="jours2.jpg" />Quittant les constructions de pierres humides et grisâtres de </span><em><span style="color: #000000;">La reconstitution</span></em><span style="color: #000000;">, le cinéaste réalise avec </span><strong><em><span style="color: #000000;">Jours de 36</span></em></strong><span style="color: #000000;"> un film en couleurs. Mieux, un film en pleine lumière (à l'exception d'une séquence primordiale, point de bascule du récit, visuellement superbe et inversant un fameux effet de Fritz Lang pour montrer un assassinat à l'aide d'un simple trou noir sur une surface blanche). Toutefois, si les décors sont illuminés par un soleil écrasant, le discours, lui, est opacifié, ou du moins, déplacé. En 1972, Théo Angelopoulos ne peut parler de la dictature que subit alors son pays. Il choisit donc d'exposer les prémisses de celle qui s'installa en 1936.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Comme il le dit lui-même, la dictature est inscrite dans le travail formel du film. Dans </span><em><span style="color: #000000;">Jours de 36</span></em><span style="color: #000000;"> se trouvent les premiers panoramiques à 360° de l'œuvre d'Angelopoulos et cette figure de style renvoie bien sûr ici au monde carcéral, de même qu'elle sert à pointer du doigt une société figée rendant possible par son inertie la prise en main militaire. Désemparés devant le geste de révolte d'un prisonnier, le directeur du bagne, les magistrats et les politiques entament autour de la cellule un ballet absurde et ridicule puis finissent par laisser la place au tireur d'élite de l'armée. L'ironie du cinéaste vise avec précision la classe au pouvoir.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">La méthode utilisée pour le plan final de </span><em><span style="color: #000000;">La reconstitution</span></em><span style="color: #000000;"> devient principe directeur. L'esthétique du plan long s'impose sans partage, tout en maintenant un refus, celui de donner une solution unique, celui de laisser penser qu'il n'existe qu'une vérité. Si son point de départ est une nouvelle fois de l'ordre du fait divers, Angelopoulos ne s'intéresse qu'à ses répercussions sur la société. Il refuse d’en élucider le mystère originel. Lorsque la porte sur laquelle notre regard aura longtemps buté s'ouvre enfin, seule la mort nous est donnée à voir, sans explication. De même que le gros plan n'existe pas, que les statuts et les rôles respectifs des protagonistes dans cette histoire ne sont éclairés que plusieurs secondes après leurs entrées en jeu, les dialogues importants sont escamotés par la mise à distance, le chuchotement ou l'ellipse pure et simple. Tout reste au stade de l'allusion, faisant de </span><em><span style="color: #000000;">Jours de 36</span></em><span style="color: #000000;"> le film du non-dit et du non-montré.</span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-2813035" style="margin: 0.7em 0;" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/01/470250751.jpg" alt="comediens1.jpg" /></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Lorsque Théo Angelopoulos commence le tournage du </span><strong><em><span style="color: #000000;">Voyage des comédiens</span></em></strong><span style="color: #000000;">, la dictature des colonels est encore en place, bien que finissante. L'aventure est donc chaotique. Le résultat d'autant plus impressionnant. Exigeant par sa longueur inusitée (près de 4 heures), ainsi que celle de ses plans qui, pour la plupart, se constituent en séquences entières, le film révèle une beauté empreinte de solennité. Nous est conté ici le destin des membres d'une troupe de comédiens itinérants au cours de la période 1939-1952, l'un des tours de force résidant dans le passage d'un temps de l'histoire à un autre, par delà les années, dans le même plan, sans aucune coupe. Passé et présent de la narration (1952, tel qu'il est posé par le début du film) sont donc liés jusqu'à opérer un paradoxal et admirable renversement final. Toutefois, une certaine linéarité est préservée, le récit progressant bien de l'avant à l'après-guerre, juste ponctué de quelques retours vers le futur. La passé est présent, travaillant souterrainement, surtout parce qu'on le raconte. La mémoire, individuelle et collective, est mise en scène.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">De façon inattendue, le film apparaît finalement moins complexe dans sa construction et sur le plan historique (les signes permettant de se situer dans cette histoire de la Grèce sont infimes mais suffisants : un vêtement, une couleur, un slogan, un discours...) que dans les rapports qu'il interroge entre culture populaire, culture classique, théâtre, cinéma... Ce qu'il montre tout d'abord, c'est le conflit opposant l'Art et l'Histoire. Le spectacle joué par les comédiens est une pièce du répertoire classique grecque. Or, toutes les représentations se voient perturbées, par un bombardement, une arrestation... Les artistes qui semblent s'écarter de l'Histoire (un des premiers plans du film les montre bifurquer d'une artère principale alors que s'avance vers eux un groupe de soldats, puis y revenir une fois celui-ci passé) ne peuvent donc que s'y engouffrer ou être happés par son souffle.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Toutefois, du </span><em><span style="color: #000000;">Voyage des comédiens</span></em><span style="color: #000000;">, se retient surtout la série de distanciations que propose le cinéaste. Trois récits sont faits directement au spectateur, comme autant de témoignages, et certaines morts, certaines compositions plastiques, sont ouvertement théâtrales. Même lorsqu'elle ne prend pas comme sujet spécifique la représentation de la pièce jouée par les comédiens, la mise en scène d'Angelopoulos peut tirer le réel vers le théâtre. La composition qui soutient la séquence du peloton d'exécution ou le spectacle exigé sur la plage par les soldats anglais sont deux des multiples exemples de ce mouvement réflexif. Il n'est pas jusqu'au travelling circulaire qui ne tente de participer à cet effort, faisant entrer le monde dans un espace scénique. Tout s'organise pour faire sentir la frontière entre la scène et la salle, entre l'espace in et l'espace off. Le off, c'est nous, spectateurs. Notre place est désignée et Angelopoulos peut alors d'autant mieux nous titiller (les déshabillages), nous forcer (la scène de viol, difficilement soutenable puis magistralement "désamorcée") ou nous faire gamberger (l'arrestation hors-champ). Nous nous étonnons sans cesse de constater que ce cinéma-là produise un temps si résolument théâtral.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Ces remarques peuvent laisser croire à un film envahit par la théorie. Or, celui-ci ne se tient heureusement pas exclusivement à ce programme car, peu à peu, la caméra d'Angelopoulos se rapproche de ses sujets. Alors qu'il filmait essentiellement des groupes en marche, le cinéaste commence, à mi-chemin, à individualiser et ainsi à créer une émotion plus directe. Lorsque la troupe explose, ne restent que quelques personnages dont nous suivons de plus en plus intensément le parcours douloureux. S'explique alors la supériorité du </span><em><span style="color: #000000;">Voyage des comédiens</span></em><span style="color: #000000;"> sur l'ensemble présenté ici : la distanciation voisine avec l'émotion.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;"><p style="text-align: center;"><img id="media-2813038" style="margin: 0.7em 0;" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/02/1724327839.jpg" alt="comediens3.jpg" /></p></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;"><img id="media-2813040" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/00/2810105050.jpg" alt="chasseurs3.jpg" />Le succès obtenu a poussé le cinéaste à innover encore, à faire une nouvelle proposition forte, tout en poursuivant sur la piste ouverte par les deux premiers opus de sa "trilogie historique". Pour clore celle-ci et traiter des années 49 à 77, il choisit alors de radicaliser son usage du plan-séquence (une quarantaine de plans seulement, pour un film de 2h25), de traduire plus systématiquement la porosité entre les époques, et de tirer les comportements du nouveau groupe qu'il dépeint vers l'absurde et le grotesque. Avec </span><strong><em><span style="color: #000000;">Les chasseurs</span></em></strong><span style="color: #000000;">, il s'en prend à cette classe privilégiée toujours au pouvoir en 1977 malgré ses compromissions passées sous la dictature. Un panel représentatif est réuni dans un hôtel, à l'occasion du Nouvel An. C'est dans cet endroit que l'Histoire refait surface, sous la forme du cadavre inexplicablement "frais" d'un maquisard communiste. Les bourgeois, se sentant assaillis, se prêtent alors, chacun leur tour, sous le prétexte de dépositions pour la police locale, à une série d'aveux prenant valeur de justification des comportements de leur classe à plusieurs moments-clés de l'histoire grecque récente.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Bien évidemment, ce sont ces témoignages qui provoquent les glissements temporels chers à Angelopoulos. On note cependant qu'ils sont moins amples, moins précis historiquement (pour le non-connaisseur), mais aussi plus fréquents et plus voyants que dans </span><em><span style="color: #000000;">Le voyage des comédiens</span></em><span style="color: #000000;">. La répétition du procédé freine quelque peu l'adhésion et atténue le plaisir du récit dans son ensemble.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Chacune des dépositions des </span><em><span style="color: #000000;">Chasseurs</span></em><span style="color: #000000;"> tourne au spectacle. L'ironie est reine, jusque dans l'utilisation des chants et des danses, moments primordiaux dans tous les films du cinéaste. La distanciation est donc, cette fois-ci, constante. Aucune scène n'y échappe dans ce petit théâtre de l'absurde qui fait naître une parenté, la tentation du fantastique et du surréalisme aidant, avec l'œuvre d'un Buñuel. A ceci près que les plans-séquences des </span><em><span style="color: #000000;">Chasseurs</span></em><span style="color: #000000;"> accusent l'artifice théâtral alors que </span><em><span style="color: #000000;">L'ange exterminateur</span></em><span style="color: #000000;"> et son découpage beaucoup plus serré accédait à une dimension toute autre, d'une certaine façon plus purement cinématographique.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Ce quatrième opus est un film d'après la dictature, un film sur la claustration, celle du pouvoir maintenant (après celle des opposants de </span><em><span style="color: #000000;">Jours de 36</span></em><span style="color: #000000;">). La situation de l'hôtel le démontre, placé qu'il est au bord de l'eau, comme sur une île. Un film d'après la dictature mais un film foncièrement pessimiste. Si le maquisard est un fantôme qui effraie la droite au pouvoir, celle-ci reste sûre d'elle et joue littéralement à se faire peur. Le dernier plan du film reprend le premier et efface tout.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Régulièrement déroutant, déceptif dans son déroulement mais parfois impressionnant à l'intérieur de ses différents segments (une partie de foot imaginaire, une danse royale se prolongeant en transe sexuelle...), le film n'est pas le plus attachant de son auteur mais, étant, selon ses propres dires, le plus étrange qu'il ait réalisé, il accompagne durablement le spectateur.</span></p><p style="text-align: justify;"><strong><em><span style="color: #000000;"><img id="media-2813041" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/1602152529.jpg" alt="alexandre2.jpg" />Alexandre le Grand</span></em></strong><span style="color: #000000;">, pourtant plastiquement très étudié, marque finalement moins l'esprit. Après sa trilogie sur l'histoire récente de son pays, Angelopoulos recule dans le temps, jusqu'en 1900, et évoque des événements moins situables et, en apparence, mo
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlFleur empoisonnéetag:nightswimming.hautetfort.com,2010-11-29:30017052010-11-29T21:29:00+01:002010-11-29T21:29:00+01:00 (Katsuhiro Fujii / Japon / 1980) ■■□□ Des innombrables "romans...
<p style="text-align: justify;">(Katsuhiro Fujii / Japon / 1980)</p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">■■□□</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;"><span style="font-family: verdana,geneva;"><img id="media-2773848" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/01/835578654.jpg" alt="Fleur02.jpg" /></span></span>Des innombrables "romans pornos" produits par la Nikkatsu entre 1971 et 1988, <strong><em>Fleur empoisonnée</em></strong> n'est sans doute pas le meilleur ni le plus représentatif mais il est empreint d'un charme paradoxal, tenant essentiellement au mélange d'ingrédients disparates qu'il réalise. Le prologue se teinte d'une couleur rétro plutôt vague avant que le récit ne soit clairement situé dans le temps, au tournant des années 40, l'ambiance est au mystère, proche du roman policier anglais, le décor est à l'européenne, l'intrigue se déroulant dans une vaste demeure aux allures de château, mais les références historiques et les rites sexuels sont clairement japonais.<br /><br />Le héros de <em>Fleur empoisonnée</em>, qui n'est pas vraiment le personnage le plus souvent présent à l'écran mais celui dont on épouse le mieux le point de vue, est un peintre. La première séquence dans laquelle il apparaît le montre en train de mettre la dernière touche au portrait de la femme qu'il aime. En s'invitant au manoir du mari de celle-ci, il pénètre en fait dans son propre tableau (il veut aussi, bien sûr, pénétrer son modèle). Mais ce passage lui fait perdre toute maîtrise des événements et lever le voile sur le secret qui s'y niche revient à se faire expulser du cadre.<br /><br />Le huis clos orchestré par Katsuhiko Fujii a tout du ballet mécanique. Les entrées s'y multiplient, de manière aléatoire, aux limites de l'absurde, au-delà du crédible (deux soldats arrivent et c'est toute l'armée que l'on annonce). Les scènes se font parfois surréalistes, presque buñueliennes, comme lorsque l'ensemble des invités-surprise finissent par s'assoupir dans le salon.<br /><br />Le constant va-et-vient à l'œuvre dans le film (nous ne parlons là, pour l'instant, que des déplacements des personnages dans le décor) et les pistes narratives qu'il entrouvre à chaque fois, font que la mise à jour du traumatisme de l'héroïne, classiquement explicité par des flash-backs de plus en plus précis, n'a pas vraiment la force qu'elle devrait avoir. Ainsi, le film donne l'impression d'effleurer plusieurs thèmes, d'illustrer plusieurs figures et combinaisons plutôt que de s'en tenir à une seule ligne. Cela explique sans doute que malgré son propos finalement assez noir (il est tout de même question de régression, d'abus, de domination et de mort), il se suive agréablement, presque confortablement.<br /><br />Les scènes sexuelles se succèdent en offrant quantité de variantes. Cadrages et postures, respectant les interdits, sont savamment calculés et accentuent l'étrangeté de certaines situations. Ici, ce n'est pas l'idée de la femme-objet qui émerge car tous le sont, de l'un ou de l'autre sexe. La plupart des personnages ne sont d'ailleurs définis que par leur fonction, leur costume : l'infirmière, le soldat, le majordome...<br /><br />Devant ce ballet, la question se pose : qui manipule qui ? Et surtout, qui est le voyeur ? Tout le monde l'est à un moment ou à un autre, jusqu'à l'être ensemble et au même moment, lorsqu'un interrogatoire se transforme en spectacle de bondage. Alors qu'il ne semble y avoir dans ce manoir que deux chambres, l'une principale, l'autre pour recevoir les amis, une ronde se met en marche autour du miroir sans tain qui les sépare. Il y a donc, souvent, exhibition. La plus étonnante est celle qu'effectue une fille de général portant l'uniforme allemand avec ses deux serviteurs, devant les invités à moitié endormis dans le salon. Elle se donne en spectacle sans retenue.<br /><br />Un impeccable retournement final (avant un épilogue qui s'étire quelque peu) achève de nous le confirmer : si les miroirs du manoir ne manquent pas de reflets, le film, lui, ne manque pas de réflexivité.<span style="color: #000000;"><span style="font-family: verdana,geneva;"> </span></span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: right;">Chronique dvd pour <a href="http://www.kinok.com/index.php?option=com_content&view=article&id=443:critique-dvd-fleur-empoisonnee-de-katsuhiko-fujii-avec-erina-miyai-junko-mabukiyuko-asuka&catid=34:chroniques-dvd"><img id="media-2460118" style="border-width: 0pt; float: right; margin: 0.2em 0pt 1.4em 0.7em;" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/1125680788.2.jpg" alt="logokinok.jpg" /></a></p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlLa route des Indestag:nightswimming.hautetfort.com,2010-11-22:29949582010-11-22T23:05:00+01:002010-11-22T23:05:00+01:00 (David Lean / Grande-Bretagne - Etats-Unis / 1984) ■■■□ En 84/85, La...
<p style="text-align: justify;">(David Lean / Grande-Bretagne - Etats-Unis / 1984)</p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">■■■□</span></p><p style="text-align: justify;"><img id="media-2759057" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/02/3385661870.jpg" alt="laroutedesindes.jpg" />En 84/85, <strong><em>La route des Indes</em></strong> (<em>A passage to India</em>) devait déjà apparaître comme un film déphasé, hors de son temps. David Lean sortait d'un silence de 14 ans (<em>La fille de Ryan</em>, 1970) sans se soucier le moins du monde des fluctuations de la mode au moment de livrer un ultime grand spectacle romanesque. <em>La route des Indes</em>, film classique, forcément. Film académique si vous y tenez. Mais si c'est cela l'académisme...</p><p style="text-align: justify;">Les connaisseurs disent fidèle et intelligente cette adaptation par Lean du livre de E.M. Foster. Même sans avoir lu celui-ci, on sent très bien tout le parti que le cinéaste a su en tirer pour peaufiner l'écriture des dialogues, la construction du récit et la présentation des personnages. Les caractères sont d'une richesse et d'une complexité rares, tous rendus de belle manière par leur interprète respectif : de Judy Davis, extraordinaire dans un rôle qui n'a rien de facile, celui de la tourmentée Adela, à Peggy Ashcroft en Mrs Moore, formidable vieille dame prête à flirter sans cesse avec les interdits posés par les gens de sa classe, en passant par Victor Banerjee, acteur vu chez Satyajit Ray, qui parvient à échapper d'un bout à l'autre au ridicule et à la convention dans lesquels pourrait tomber son sensible et exalté médecin indien Aziz, ou James Fox dans la peau de Fiedling, d'abord faussement nonchalant puis véritablement engagé. Cette consistance que Lean et ses collaborateurs réussissent à préserver sur près de trois heures fait pâlir à côté bien des adaptations en costumes d'une part et bien des scénarios faméliques d'autre part.</p><p style="text-align: justify;">La question coloniale est traitée avec une justesse exemplaire, sans avoir recours à des discours appuyés mais en organisant des séries d'oppositions par le montage et en parsemant les scènes de détails significatifs (l'avocat anglais qui, lors du procès, lève les yeux au ciel lorsque le public indien de la salle d'audience se fait trop bruyant). A aucun moment les scènes de foules, pourtant nombreuses et montrant parfois des fêtes locales, ne se réduisent à de l'imagerie exotique. Jamais, contrairement à la majorité des cinéastes s'étant essayés à ce genre de production, David Lean ne semble diriger des groupes de figurants. Sa maîtrise est ici impressionnante. Il ne s'agit pas d'en mettre plein la vue mais de donner du souffle, et cela est évident dès les premiers plans du film.</p><p style="text-align: justify;">Esthétiquement, <em>La route des Indes</em> est régulièrement superbe. Entre mille choses, les trains inspirent Lean, qui peut créer de fabuleuses images nocturnes et iréelles composées à partir d'une ligne d'horizon parcourue par les wagons ou qui peut faire passer dans des séquences plus dynamiques le frisson du vertige lors d'une montée vers la montagne. L'œil du cinéaste a toujours été reconnu. En revanche, son art du montage est beaucoup moins souvent évoqué. Il trouve certes son origine dans un travail classique sur les raccords, mais avec quelle efficacité, quelle fluidité et quel lyrisme ! La longue séquence du procès en est toute retournée, avec le montage parallèle de l'ultime voyage de Mrs Moore sur l'océan, puis l'insertion de flash-backs qui signent le retour des pulsions qui avaient été refoulées par Adela. Dans un autre but, Lean peut aussi coller deux images dont les sujets sont éloignés, donnant ainsi à la confrontation la valeur d'un champ-contrechamp. Un groupe de dames de la noblesse britannique et des femmes indiennes, une foule de manifestants et les Anglais réunis dans leur Club : c'est la coupe qui dit le colonialisme et il n'est nul besoin d'en rajouter. De la même manière, David Lean sait que la vision d'une avancée à dos d'éléphant dans un paysage aride et majestueux est suffisamment belle et forte pour se passer d'accompagnement musical (tout le film est étonamment et heureusement discret sur ce plan-là). Un dernier exemple pour finir : le rendez-vous donné à Aziz par Fiedling. Ce dernier est encore sous la douche lorsque le premier arrive et le dialogue s'instaure malgré la séparation de la baie vitrée opaque séparant la salle de bain du reste de la maison. Cette simple trouvaille dynamise la scène et la creuse : homosexualité latente, distance entre les races et pourtant, naissance à ce moment même d'une amitié...</p><p style="text-align: justify;">Oui, si c'est tout cela l'académisme, alors vive l'académisme !</p><p style="text-align: justify;">Un avis complémentaire à lire sur <a href="http://lecinedeanna.blogs.allocine.fr/lecinedeanna-289444-la_route_des_indes__a_passage_to_india.htm">Goin' to the Movies</a>.</p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: right;"><a href="http://www.cinema-histoire-pessac.com/"><img id="media-2756784" style="float: right; margin: 0.2em 0pt 1.4em 0.7em;" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/2114346342.jpg" alt="FIFIH2010.jpg" /></a>Film présenté au</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlNanni Moretti (coffret dvd : les premiers films)tag:nightswimming.hautetfort.com,2010-02-26:26026432010-02-26T20:13:00+01:002010-02-26T20:13:00+01:00 Je suis un autarcique ( Io sono un autarchico ) (Nanni Moretti / Italie...
<p style="text-align: justify;"><i><b>Je suis un autarcique</b></i> (<i>Io sono un autarchico</i>) (Nanni Moretti / Italie /1976) <span style="font-size: medium;">■□□□</span></p> <p style="text-align: justify;"><i><b>Ecce Bombo</b></i> (Nanni Moretti / Italie /1978) <span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">□□</span></p> <p style="text-align: justify;"><i><b>Sogni d'oro</b></i> (Nanni Moretti / Italie /1981) <span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">□</span></p> <p style="text-align: justify;"><i><b>La Cosa</b></i> (Nanni Moretti / Italie /1990) <span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">□□</span></p> <p style="text-align: justify;"><i><b>Le jour de la première de Close-up</b></i> (<i>Il giorno della prima di Close up</i>) (Nanni Moretti / Italie /1995) <span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">□□</span></p> <p style="text-align: justify;"><i><b>Le cri d'angoisse de l'oiseau prédateur</b></i> (<i>Il grido d'angoscia dell'uccello predatore (20 tagli d'Aprile)</i>) (Nanni Moretti / Italie /2002) <span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">□□</span></p> <p style="text-align: justify;"><i><b>Le journal d'un spectateur</b></i> (<i>Diaro di uno spettatore</i>) (Nanni Moretti / Italie /2007) <span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">□□</span></p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/1250528133.jpg" id="media-2303728" alt="moretti00.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" />Connaissez-vous Michele Apicella ? Vous devez au moins le revoir en jeune député adepte du water-polo (<i>Palombella rossa</i>, 1989)... Avec ce coffret, les Editions Montparnasse ont eu la bonne idée de nous permettre de remonter la piste jusqu'aux premières "vies" de notre homme, qui en connut beaucoup. On le découvre donc ici en comédien de théâtre d'avant-garde, en acteur de cinéma underground puis en cinéaste à la mode. Oui, celui-là même qui sera plus tard professeur de mathématiques (<i>Bianca</i>, 1984) et curé, sous le nom de Don Giulio (<i>La messe est finie</i>, 1985).</p> <p style="text-align: justify;">Au cours d'une émission de télévision, qui constitue le morceau de bravoure de <i>Sogni d'oro</i>, Michele s'exclame "<i>Je suis le cinéma, je suis le plus grand !</i>". Ils furent nombreux, dès ses premiers essais et surtout dans les années 80 et 90, ceux qui prirent ces propos pour argent comptant, jusqu'à faire de son créateur-interprète-réalisateur, Nanni Moretti, le génial et unique représentant du cinéma italien. Il est vrai que les coups de pied donnés dans la fourmilière transalpine par le jeune cinéaste (23 ans à l'époque du premier long métrage) furent dès le départ très vigoureux et particulièrement surprenants.</p> <p style="text-align: justify;">Ce qui frappe en effet, de <i>Je suis un autarcique</i> à <i>Sogni d'oro</i>, c'est d'une part la méchanceté dont peut faire preuve à l'occasion Michele-Nanni et d'autre part la nature de ses cibles, peu habituées à recevoir de telles critiques dans un cadre cinématographique. Le héros morettien, qui n'est "<i>jamais doux</i>", comme le lui fait remarquer sa femme, est un être souvent au bord de la dépression, cassant, donneur de leçons, tyrannique avec son entourage. La famille est en première ligne. D'un film à l'autre, on entend son envie d'étrangler son petit garçon, on le voit gifler son père ou violenter sa mère. Dans <i>Sogni d'oro</i>, sur son plateau de cinéma, il frappe continuellement son assistant. A cette violence détonante envers les proches s'ajoute des piques féroces, lancées au détour d'une conversation, à l'encontre d'icônes nationales (Nino Manfredi, Alberto Sordi) ou de collègues (Lina Wertmüller). Si le cinéma de Moretti a tant marqué les esprits en Italie, dès ses débuts, c'est en grande partie parce qu'il se permettait d'aller, sur bien des points, contre les convenances. En un sens, pour ce qui est du regard porté sur le monde culturel, Nanni Moretti a filmé ce qu'il aurait pu écrire ailleurs, déplaçant une démarche critique du papier à la pellicule.</p> <p style="text-align: justify;">La faible distance qu'a gardé le cinéaste entre lui-même et son double de fiction explique également la répercussion qu'ont eu ses travaux. Sans réaliser encore, à cette époque, de véritable film "à la première personne", il adopte déjà le ton du journal intime ou du moins, fait ressentir fortement l'impression de vécu. En effet, Moretti ne parle que de ce qu'il connaît parfaitement et ses critiques sont formulées de l'intérieur : il est dans la petite bourgeoisie romaine, dans la gauche italienne, dans le monde du cinéma. Ce choix implique que l'auteur lui-même reçoive sa part de reproches et, effectivement, l'auto-ironie de Nanni Moretti est constante, repoussant ainsi le spectre du ressentiment fielleux.</p> <p style="text-align: justify;">Aussi passionnante soit-elle, la découverte groupée de ses trois premiers films laisse tout de même penser que, vu séparément et de manière totalement détachée des autres, chaque titre ne doit pas avoir la même prestance. En tout cas, une progression qualitative se dessine de façon évidente et le résultat donne raison à Moretti qui aimait à dire, dans les années 80 : "<i>J'espère faire toujours le même film, si possible toujours plus beau</i>".</p> <p style="text-align: justify;"><i><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/01/248985244.jpg" id="media-2303719" alt="autarcique5.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" /><b>Je suis un autarcique</b></i> laisse ainsi mitigé. Soumis aux contraintes du super-8 (brièveté des plans, fixité du cadre et absence de son direct), il prouve qu'avec peu, on peut arriver à faire sinon beaucoup, du moins quelque chose. Il est certain qu'entre deux blagues de potaches (très cultivés), Moretti parvient à capter un air du temps et, par moments, un mouvement réellement cinématographique mais son film est avant tout une succession de sketchs donnant une (fausse) impression d'improvisation entre amis. Peu séduisante esthétiquement, l'œuvre donne à voir plusieurs tentatives burlesques peu vigoureuses et mal assurées. Si l'on sourit assez souvent devant cette satire du théâtre d'avant-garde, on s'ennuie aussi parfois, comme lors d'un interminable stage en plein air. De plus, <i>Je suis un autarcique</i> est un film qui s'auto-analyse constamment, via l'aventure théâtrale qu'il raconte, qui s'auto-critique et qui finit par épuiser en quelque sorte la capacité personnelle du spectateur à juger par lui-même.</p> <p style="text-align: justify;"><i><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/02/595881076.jpg" id="media-2303721" alt="ecce5.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" /><b>Ecce Bombo</b></i>, qui pourrait être la suite du précédent, permet de retrouver les mêmes acteurs, regroupés ici en un club d'auto-conscience. L'observation d'un milieu est toujours la principale qualité du film mais la vision s'élargit, se faisant plus générationnelle, moins chargée de références et donc moins soumise à l'incompréhension due à l'éloignement dans le temps. La construction se fait à nouveau par saynètes mais celles-ci sont plus harmonieusement liées et plus fermement mises en scène. La distanciation de certaines est appréciable, Moretti entamant presque un dialogue direct avec le spectateur et utilisant la musique, la télévision et le cinéma comme autant d'éléments médiateurs de sa réflexion. Le désœuvrement et l'apathie de la jeunesse qu'il dépeint sont savoureusement moqués sans toutefois parvenir à éviter totalement un certain affaissement du récit. Le glissement vers la gravité qui s'opère alors donne au film de l'ampleur mais en diminue la vigueur. Le meilleur d'<i>Ecce Bombo</i> est à chercher en fait là où Nanni-Michele est le plus insupportable : en famille, entre les cris et les giffles.</p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/02/1007160304.jpg" id="media-2303722" alt="sogni5.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" />Moretti a réalisé avec beaucoup plus de moyens <b><i>Sogni d'oro</i></b>. A lui Cinecitta, la Dolly et les mouvements d'appareils complexes... Le ton et les thèmes restent pourtant globalement les mêmes : difficultés à communiquer avec les autres autrement que par la violence des mots et des gestes, douleur de filmer, douleur de vivre. Entre les rires diffuse une tristesse certaine qui, alliée à une critique dévastatrice de la télévision, libère un parfum fellinien, le cinéaste des <i>Vitelloni</i> et de <i>Ginger et Fred</i> étant d'ailleurs le seul grand nom cité, explicitement ou pas, dans ces trois films de Moretti, sans aucune méchanceté. Avantageusement, le jeu avec les codes du cinéma remplace souvent, dans <i>Sogni d'oro</i>, les allusions à telle ou telle personnalité culturelle de l'époque. Le propos s'approfondit et la narration se complexifie. Des chutes de tension persistent mais se font moins brutales que par le passé et, gagnant en fluidité, le récit se fait enfin totalement cinématographique. Il reste à Moretti encore un peu de chemin à faire, à éviter notamment que certains gags ne tombent à plat. Avec <i>Sogni d'oro</i>, son cinéma est tout de même, cette fois, bien en place.</p> <p style="text-align: justify;">La jaquette du présent coffret, qui annonce les "premiers films de Nanni Moretti", est pour un quart trompeuse. En effet, les courts métrages compilés ne sont pas, comme l'on pouvait s'y attendre, les premières tentatives du cinéaste (<i>La sconfitta</i>, 1973, <i>Pâté de bourgeois</i>, 1973, <i>Comi parli frate ?</i>, 1974) mais un groupe de films réalisés entre 1989 et 2007, soit bien après les "débuts". Si chacun présente un intérêt, cette rupture temporelle met à mal la cohérence éditoriale et il aurait été plus appréciable de disposer sur la quatrième galette de <i>Bianca</i>, dernier long métrage méconnu, avant la reconnaissance internationale apportée par <i>La messe est finie</i> (mais il est vrai que le film est édité par ailleurs).</p> <p style="text-align: justify;"><i><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/00/950535036.jpg" id="media-2303725" alt="oiseau1.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" /><b>Le jour de la première de Close-up</b></i> est une amusante pastille (déjà présente dans l'édition dvd du film d'Abbas Kiarostami), une poignée de scènes comiques, basées sur le perfectionnisme de Nanni Moretti directeur de salle de cinéma. Ce court souffre tout de même quelque peu d'un tournage en vidéo plutôt "relâché". Les trois minutes du <b><i>Journal d'un spectateur</i></b> (l'un des segments du programme collectif <i>Chacun son cinéma</i>) sont plus rigoureuses. Assis au milieu de salles vides, Moretti se rappelle de quelques projections mémorables, de celle du <i>Ciel peut attendre</i> à celle de <i>Rocky Balboa</i>. S'affirment là son sens du cadrage et son don pour la chute. <b><i>Le cri d'angoisse de l'oiseau prédateur</i></b> est lui un montage de 25 minutes réalisé à partir de séquences non retenues pour <i>Aprile</i> (1998). Malgré la recherche d'une chronologie, ce bout à bout peine à se muer en récit véritable. Le long métrage était lui-même construit de manière assez libre et son appendice propose une série de scènes et d'allusions pas toujours faciles à saisir. Il faut donc y picorer, souvent avec bonheur, comme lorsque l'on retrouve cette image restée dans les mémoires de Moretti tenant son bébé endormi sur son épaule et qui discoure cette fois sur le nouveau gouvernement de centre-gauche fraîchement installé au pouvoir.</p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/02/1230897791.jpg" id="media-2303726" alt="cosa2.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" />Dans le corpus mis en avant ici, <b><i>La Cosa</i></b> est un morceau de choix, par sa longueur et sa singularité. Il s'agit d'un "pur" documentaire, sans intervention du cinéaste à l'image ou sur la bande son, qui s'attache à enregistrer la parole des militants du Parti Communiste Italien pendant l'hiver 1989, au moment où ont lieu les secousses que l'on sait du côté de l'Europe de l'Est et où la question se pose d'un changement de nom et d'un glissement vers la sociale-démocratie. Le film, commençant de manière plutôt frustrante (les interventions sont coupées très courtes, au risque du catalogue), trouve peu à peu son rythme, s'appuyant sur les différences d'élocution, de parcours et de ressentis, éclairant le poids du passé et les craintes de l'avenir. Il faut accepter une certaine répétition et un dispositif rudimentaire et attendre les quelques secondes finales pour que Moretti laisse enfin sa patte sur le travail. Ce n'est pas grand chose : un brouhaha soudain après tant de discours posés, des bribes de conversation véhémentes, inaudibles. Cela suffit pour brouiller les pistes, pour glisser du scepticisme, pour garder cette position du poil à gratter de la gauche. Cela suffit aussi, dans notre optique, pour faire le lien avec les débuts du cinéaste, pour boucler la boucle de ce voyage chez Nanni Moretti.</p> <p style="text-align: right;"> </p> <p style="text-align: right;">Chronique dvd pour <a href="http://www.kinok.com/index.php?option=com_content&view=article&id=223&Itemid=83"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/02/1125680788.jpg" id="media-2303882" alt="logokinok.jpg" style="border-width: 0pt; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0pt; float: right;" /></a></p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlMarquistag:nightswimming.hautetfort.com,2010-02-02:25898092010-02-02T13:26:00+01:002010-02-02T13:26:00+01:00 (Henri Xhonneux / Belgique - France / 1989) □□□□ Marquis faisait...
<p style="text-align: justify;">(Henri Xhonneux / Belgique - France / 1989)</p> <p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">□□□□</span></p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/01/1496293577.jpg" alt="marquis.jpg" id="media-2254332" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" /><em><strong>Marquis</strong></em>faisait partie de ces quelques titres intrigants notés dans un coin depuis longtemps, sans que je ressente pour autant le besoin de courir après à tout prix. Le projet de Roland Topor et Henri Xhonneux était osé. Le film est l'évocation d'un épisode de la vie de Sade, embastillé au moment de la Révolution. Surtout, il se démarque par une particularité : tous les comédiens ont sur les épaules d'énormes têtes d'animaux dont les mouvements sont assurés par une technique "d'animatronic". Ainsi, le personnage principal, Marquis, a une tête de chien. Son geôlier est un rat, Justine, une vache... Cela ne les empêche nullement de parler normalement.</p> <p style="text-align: justify;">Une fois la curiosité satisfaite, il apparaît très rapidement que ce choix est non seulement une fausse bonne idée, mais encore qu'il provoque plusieurs catastrophes. C'est d'abord la mise en scène qui s'en ressent. Elle semble diparaître entièrement, se transformant en simple enregistrement de spectacle de marionnettes à taille humaine, passant, engoncée, d'un tableau à un autre sans aucun ryhtme. Aucune progression sensorielle n'est proposée alors que le scénario lui-même n'offre qu'une succession informe de vignettes carcérales, entrecoupées de quelques échapées vers la bonne société de 1789. Dans une grande confusion, divers auteurs sont cités, entre deux calembours littéraires d'une grande platitude. Autant dire que l'on se contrefiche de ce qui peut advenir.</p> <p style="text-align: justify;">Il est de toute façon impossible de s'attacher à qui que ce soit sur l'écran. La distanciation qui nous est imposée sert certainement à illustrer plus facilement les actes scabreux. Seulement, il en découle une absence totale des corps, les parties intimes, fesses, seins, sexes, étant elles aussi figurées par des postiches. L'érotisme manque donc forcément à l'appel. Les passages les plus dérangeants se trouvent désamorcés et la violence n'est présente que dans de brefs récits ou rêves du Marquis, illustrés en animation de pâte à modeler, seuls instants un peu troublants. Si l'on ajoute que la direction d'acteurs ne passe que par le prisme du grotesque et de la pantomime, on comprendra que cet objet plutôt attirant sur le papier est en fait totalement négligeable et anodin.</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlMy dinner with Andrétag:nightswimming.hautetfort.com,2009-10-06:23947992009-10-06T20:37:00+02:002009-10-06T20:37:00+02:00 (Louis Malle / Etats-Unis / 1981) ■■□□ En 1981, Louis Malle est en...
<p style="text-align: justify;">(Louis Malle / Etats-Unis / 1981)</p> <p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">■■□□</span></p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/00/1249488075.jpg" id="media-2024691" alt="dinner2.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" />En 1981, Louis Malle est en plein milieu de sa période américaine, celle qui débute après <i>Lacombe Lucien</i> (1974), qui se termine juste avant <i>Au revoir les enfants</i> (1987) et qui englobe huit long-métrages dont deux documentaires. Film très particulier au sein de ce corpus, <b><i>My dinner with André</i></b> se place en équilibre entre fiction et réalité. En équilibre mais pas en porte-à-faux, dans la mesure où la question du degré de réalité ne se pose finalement pas vraiment devant le récit qui nous est conté car le dispositif choisi par le cinéaste, malgré sa simplicité apparente et son minimalisme, n'est pas documentaire mais purement théâtral.</p> <p style="text-align: justify;">Mais commençons par prévenir le futur spectateur : <i>My dinner with André</i> est un film de conversation. Plus précisément, c'est le film d'une unique conversation. Pendant près de deux heures, nous assistons à un dialogue, autour de l'une des tables d'un restaurant chic new-yorkais, entre Wally, un jeune dramaturge, et André, un metteur en scène de théâtre. Les deux acteurs sont Wallace Shawn et André Gregory. Ils sont à l'origine du scénario, qu'ils ont écrit à partir de l'enregistrement de nombreuses conversations personnelles, et jouent donc, devant la caméra de Louis Malle, leur propre rôle. Hormis un prologue et un court épilogue, dans lesquels la voix-off de Wallace Shawn se pose sur des images de sa déambulation dans New York pour nous éclairer sur les circonstances de cette rencontre et sur sa conclusion, nous ne quittons pas la table où se sont assis les deux protagonistes. A ces partis pris, Louis Malle ajoute celui d'une certaine transparence de mise en scène. Dirions-nous une discrétion, une invisibilité, une absence ? Toujours est-il que le spectateur doit se raccrocher à d'infimes variations et devient sensible au moindre changement d'axe ou d'échelle, relevant soudain l'importance d'un large miroir dédoublant parfois André (notamment lorsqu'il évoque une rencontre très étrange) ou celle d'un resserrement du cadre sur son visage (au moment où son récit se fait le plus intense et le plus douloureux).</p> <p style="text-align: justify;">La mise en scène se met donc exclusivement au service des comédiens et de leur parole. Celle-ci porte donc tout l'intérêt du film. La prise de parole évolue et avec elle, le jugement que peut porter le spectateur sur celui qui l'effectue. Dans l'introduction, André est présenté en termes peu amènes par Wally et le premier monopolisera d'abord la parole, au détriment du second, qui se limite à relancer par de brèves interrogations l'histoire racontée. Le déséquilibre induit a tendance à nous conforter dans notre méfiance envers André mais très vite, celui-ci parvient à nous intéresser. Sur le papier la plus ingrate, puisqu'il s'agit de se mettre à la place de Wally et d'écouter tout simplement un long monologue, cette partie est en fait la plus stimulante. Les mots d'André réussissent à captiver, son témoignage fait voyager et surtout, crée de la fiction. Revenant sur des expériences personnelles mêlant théâtre, mysticisme et dépassement physique, vécues au cours d'un long voyage aux quatre coins du monde, André débute par une réflexion sur le jeu de l'acteur et débouche sur un récit terrifiant, véritable morceau de bravoure du film, au cours duquel, comme dans un emboîtement que visualiserait le zoom de la caméra, à la fois un traumatisme refait surface, son analyse est entamée et une puissante analogie est faite (avec la shoah).</p> <p style="text-align: justify;">Wally doit alors réagir à ce flot et Louis Malle faire passer ses acteurs du monologue et de l'écoute passive au véritable dialogue. Suite à ce basculement, le film perd étrangement de sa force. Nous sommes pourtant toujours au coeur de la conversation, l'épousant totalement ou décrochant, parfois, tant elle est touffue. Elle ne manque ni d'humour (ces deux intellectuels juifs ne dépareraient pas chez Woody Allen) ni d'auto-analyses précises (celle que fait Wally de sa vie sans histoire, de son rapport complexe au monde et aux autres). Bien des propos pour le moins désenchantés, sur la "déréalisation" du monde en particulier, touchent encore juste aujourd'hui. Cependant, le flot tend à noyer le tout et le dialogue, même s'il ménage quelques points d'accord, met finalement en place deux programmes dirigistes, l'un mystique, l'autre sceptique.</p> <p style="text-align: justify;"><i>My dinner with André</i> laisse donc le spectateur sur une étrange impression, celle d'avoir été plus nourri en écoutant quelqu'un qui monopolise la parole qu'en assistant à un dialogue précisant deux points de vue sur la vie. Et à voir la construction narrative, il n'est pas sûr que ce but ait été celui recherché par les auteurs. En revanche, celui de donner vie à un ouvrage singulier est bel et bien mené à terme.</p> <p style="text-align: justify;">(Chronique DVD pour <a href="http://www.kinok.com/index.php?option=com_content&view=article&id=109&Itemid=83">Kinok</a>)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlQu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ?tag:nightswimming.hautetfort.com,2009-09-29:23921052009-09-29T13:22:00+02:002009-09-29T13:22:00+02:00 (Pedro Almodovar / Espagne / 1984) ■■□□ Seul long-métrage cinéma...
<p style="text-align: justify;">(Pedro Almodovar / Espagne / 1984)</p> <p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">■■□□</span></p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/01/280805555.jpg" alt="questcequejaifait.jpg" id="media-2005079" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" />Seul long-métrage cinéma d'Almodovar qui manquait jusqu'à présent à mon tableau de chasse, <em><strong>Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ?</strong></em> (<em>Qué he hecho yo para merecer hesto !!</em>) trouve parfaitement sa place en tant qu'oeuvre de transition entre la première période du cinéaste (ses trois premiers films "officiels", provocateurs, foutraques, débraillés et très <em>underground</em>) et la deuxième (celle qui le voit accéder au statut d'auteur européen d'envergure, à partir de la deuxième moitié de la décennie 80).</p> <p style="text-align: justify;">Ici, l'histoire est celle d'une famille de la banlieue de Madrid : la mère tient la baraque grâce à ses ménages, s'aidant de calmants et autres colles, le mari fait le taxi et semble avoir le don d'imiter toute écriture (dont celle d'Hitler), la grand-mère collectionne les bouts de bois et apprivoise un beau lézard vert (qu'elle nomme "Dollar"), le fils aîné deale pour tout le quartier et le cadet, à peine entré dans l'adolescence, se fait régulièrement "adopter" et héberger par quelques notables pédophiles. Nous nous en tiendrons-là pour la description, mais il faut savoir que les figures secondaires gravitant autour de l'appartement familial sont toutes aussi gratinées. Les comportements sont donc ahurissants mais passent pour naturels aux yeux de chacun, source d'un comique qui atteint souvent sa cible. Almodovar enregistre cependant ces excès de manière relativement sobre et les situe dans un environnement désespérant, celui d'une zone délabrée de la ceinture madrilène.</p> <p style="text-align: justify;">Entre la noirceur, le kitsch et la tendresse, l'esthétique peut rebuter légèrement, durant les premières minutes. Les cadrages sont souvent frontaux, donnant à voir de manière rigoureuse des décors intérieurs très chargés. Surtout, ils participent d'une réflexion sur la représentation, rendue évidente par la convocation de tous les arts : le fils et la grand-mère vont voir <em>La fièvre dans le sang</em>au cinéma, un écrivain évoque Truman Capote, le mari s'est entiché d'un air d'opéra allemand, l'adolescent veut suivre des cours de peinture... Les surcadrages théâtralisent les jeux érotiques de la voisine prostituée et certains plans ouvertement artificiels (pris de l'intérieur de la machine à laver ou de la penderie) échappent à la gratuité s'ils sont mis en rapport avec l'influence de la publicité télévisuelle.</p> <p style="text-align: justify;">Les sous-intrigues et les croisements abondent, Almodovar étant, déjà à l'époque, plutôt à l'aise dans la construction narrative. Quelques épisodes sont certes un peu faibles (la mère de famille sévère et sa fille aux étranges pouvoirs, le couple d'écrivains alcooliques) mais certains détails accrochent plaisamment (la bourgeoise ne peut s'empêcher de faire les poches de tout le monde, y compris de la bonne) et l'ensemble est suffisamment bien structuré pour intéresser de plus en plus au fil du temps.</p> <p style="text-align: justify;">Pour la première fois, Almodovar trouve son équilibre entre distanciation et incarnation, provocation et émotion. Les personnages (et les comédiens) masculins ne sont pas les plus remarquables. En revanche, les figures féminines de la grand-mère et de la prostituée, sont croquées avec une tendresse touchante, y compris lorsqu'elles agissent de façon irréflechie. Et il y a surtout une formidable Carmen Maura dans le rôle principal de la mère, à laquelle on s'attache dès qu'on la voit se défouler seule dans la salle des arts martiaux, en criant et en mimant les attaques, après un rapport sexuel écourté dans les douches avec l'un des sportifs. Jouant juste tout du long, elle se voit offrir par son metteur en scène un final magnifique dans lequel la caméra l'accompagne en long travelling arrière depuis l'arrêt de bus jusqu'à son immeuble, puis dans son appartement maintenant vidé de ses occupants. Son visage apparaît, dans cette soudaine proximité, à la fois triste et lumineux.</p> <p style="text-align: justify;">Avec le recul du temps, je me suis plu à voir dans les dernières séquences de <em>Qu'est-ce que j'ai fait...</em>la trace concrète d'un changement de statut du cinéma d'Almodovar, sentant là qu'il était tout à coup près pour <em>Matador</em> et tout le reste...</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlGeorgiatag:nightswimming.hautetfort.com,2009-04-28:21677902009-04-28T13:55:00+02:002009-04-28T13:55:00+02:00 (Arthur Penn / Etats-Unis / 1981) ■■■□ Étrange film que ce Georgia...
<p style="text-align: justify;">(Arthur Penn / Etats-Unis / 1981)</p> <p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">■■■□</span></p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/1962232841.jpg" alt="georgia.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" id="media-1723719" />Étrange film que ce <em><strong>Georgia</strong></em> (<em>Four friends</em>), agaçant, complexe et finalement assez émouvant. Un sobre prologue nous entraîne dans les pas du petit Danilo, débarquant dans les années 50 de sa Yougoslavie natale en Amérique, puis, après un bond d'une dizaine d'années, nous voici au coeur d'un groupe de trois jeunes hommes (dont Danilo) et d'une fille, Georgia, dont chacun est amoureux. Le récit enchaîne les scènes de jeunesse insouciante, distillant une poésie nostalgique un peu facile. Les interprètes sont plus âgés que leur rôle et forcent légèrement leur jeu. La route semble bien connue : celle du film de groupe jouant sur la corde sensible des destins croisés et parfois brisés.</p> <p style="text-align: justify;">Mais très tôt, les chemins se séparent, d'autres personnages entrent en jeu et éclipsent les premiers (les deux autres membres du trio de garçons de départ, qui sont très inégalement traités), d'autres voix-off que celle de Danilo semblent vouloir prendre en charge le récit mais s'éteignent aussitôt pour ne jamais revenir. Ainsi, le film n'est jamais vraiment choral : il n'y a qu'un seul personnage principal. Ce Danilo, cet émigrant européen pour qui l'Amérique n'est pas seulement un pays mais une grande idée, si sympathique qu'il soit, n'a finalement pas grand chose pour lui. Régulièrement décontenancé, laissant passer sa chance, souvent en retard dans ses réactions, indécis, il n'agit en accord avec ses pensées généreuses que lorsqu'il se sent placé sous un autre regard (souvent celui de Georgia). Il faut donc du temps pour l'accepter, lui et son interprète Craig Wasson, et réaliser qu'il est notre substitut, que tout le film passe par lui pour aller vers nous. Danilo encaisse, absorbe, observe son entourage et le monde tourbillonnant des années 60.</p> <p style="text-align: justify;">Les personnages, dans leur adolescence, se laissaient aller à des caprices, s'accrochaient à des chimères mais en vieillissant, ils restent aussi insaisissables et baignent dans une folie ambiante impressionnante. Pour brosser le tableau de ces années-là, Arthur Penn se contente judicieusement de lâcher quelques balises (un mot sur Kennedy, un militaire qui part au front et revient avec une femme vietnamienne, le premier pas sur la lune...), s'en servant uniquement de toile de fond pour développer ses caractères et balayer l'époque d'un regard libre et désabusé. Si Georgia vire plus ou moins hippie, ce n'est pas pour faire couleur locale mais bien parce que l'évolution du personnage est logique. Danilo, lui, se sentira toujours déchiré : vivre son rêve d'Amérique aveuglément ou ouvrir les yeux sur les contradictions de ce pays, vivre avec ou sans Georgia. Deux belles séquences traduisent cette instabilité : celle où il voit passer devant son pare-brise un drapeau américain en flammes (suite à une manifestation anti-guerre du Vietnam) et celle où il hésite, à son volant, entre suivre son ami noir en route pour une manifestation dans le Sud et continuer son voyage vers New York, vers sa riche fiancée.</p> <p style="text-align: justify;">Cette dernière scène se termine par un brusque coup de volant à l'approche d'un échangeur d'autoroute. Déroutant : voilà le mot qui vient constamment à l'esprit face au travail d'Arthur Penn pour <em>Georgia</em>. Les ellipses sont immenses, provoquant par exemple l'une des plus belles doubles-gaffes de l'histoire du cinéma (aux noces de Georgia, le marié n'est pas l'homme que l'on félicite et celui qui a réellement la bague au doigt n'est pas non plus le père de l'enfant porté). D'une séquence à l'autre et souvent même à l'intérieur de chacune, le ton ne cesse de changer. Comme une magnifique fête de mariage peut finir dans le sang, tout peut arriver, le registre étant résolument picaresque. Cette couleur-là va bien avec le style de Penn, inégal par nature car préférant à une progression narrative classique une série d'éclats que rien ne semble jamais annoncer. Il est cependant nécessaire, pour mener à bien ce type d'entreprise, de disposer d'un scénario sans faille. Celui de Steve Tesich est formidable, dosant différemment chaque événement et chaque personnage sans qu'un déséquilibre ne se fasse sentir, sans qu'un manque ne soit évident.</p> <p style="text-align: justify;">Il faut du temps pour saisir ce qu'est <em>Georgia</em> : c'est un conte philosophique sur une génération ayant traversée les années 60 comme une fusée, un film vivant.</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlAllemagne mère blafardetag:nightswimming.hautetfort.com,2009-02-24:20656032009-02-24T19:41:00+01:002009-02-24T19:41:00+01:00 (Helma Sanders-Brahms / Allemagne / 1980) ■■■□ Placée sous les...
<p style="text-align: justify;">(Helma Sanders-Brahms / Allemagne / 1980)</p> <p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">■■■□</span></p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/1718276078.jpg" id="media-1600812" alt="mereblafarde.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" />Placée sous les auspices de Berthold Brecht, avec ce poème du dramaturge placé en ouverture, <i><b>Allemagne mère blafarde</b></i> (<i>Deutschland bleiche mutter</i>) est une oeuvre ample et distanciée. Helma Sanders-Brahms y articule la grande histoire et sa biographie, plus exactement, celle de sa mère, nous faisant passer constamment, dans un étrange va-et-vient, du quotidien au symbolique. A la fin des années 30, Lene rencontre son futur mari, Hans. Celui-ci n'est pas adhérent au parti nazi. Il est donc envoyé parmi les premiers combattants en Pologne. Il traversera ainsi la guerre, passant d'un front à l'autre et ne profitant que de quelques jours de permission de temps à autre. Au cours de l'une d'elle, Anna est conçue. Livrée à elle-même, Lene doit survivre avec sa fille en ville sous les bombardements ou dans les campagnes gelées. La fin de la guerre permet le retour de Hans au foyer mais aussi le début d'un nouvel enfer, conjugal celui-là.</p> <p style="text-align: justify;">Trois larges mouvements structurent le film en épousant le regard d'Anna (relai à l'écran d'Helma Sanders-Brahms qui pose ici et là sa voix off). La première partie nous montre, dans une ambiance relativement douce malgré la montée du péril, les premiers moments de bonheur. Ce récit d'avant la naissance fantasme la rencontre amoureuse des parents, tente (en vain) d'imaginer les tendres étreintes. Puis arrive la guerre et ses syncopes, prenant la forme des souvenirs heurtés et partiels de la petite enfance. Enfin, vient la fin des hostilités et le retour d'un père si étranger. Le regard de la petite fille devient plus lucide face au glissement vers une "<i>guerre intérieure</i>" suicidaire. Les niveaux de lecture se multiplient tout le long du film : auto-biographiques, psychanalytiques (les rapports intenses liant une petite fille à sa mère, toutes deux plongées dans la guerre et la déchirure que peut provoquer dans un couple l'arrivée d'une troisième entité), historiques, allégoriques (la Mère, c'est l'Allemagne, la patrie qui a laissé ses fils s'abîmer dans l'impensable) et mythologiques (la poésie, le conte). Devant une telle richesse thématique, il arrive que l'on se sente parfois dépassé, redoutant qu'une signification nous échappe.</p> <p style="text-align: justify;">La réflexion passe par la distanciation. Certaines séquences ont un aspect théâtral parfaitement assumé, de par leur ton et le placement des corps dans le cadre. Parfois, l'effet est transcendé en privilégiant les décors naturels mais en les dépeuplant par la même occasion (peu d'acteurs sont finalement à l'écran dans cette fresque et certains jouent même plusieurs rôles). Ce choix d'un léger recul par rapport au réel permet aussi d'accepter les quelques reconstitutions hardiment accolées à de nombreux plans d'archives de villes allemandes dévastées. Ces images aériennes de cités fantômes sont toujours aussi stupéfiantes, plans interminables soutenus par la magnifique partition pour piano de Jurgen Knieper. La bande son est l'un des éléments les plus étonnants du film. Sanders-Brahms orchestre une série de fondus-enchaînés sonores édifiants (les rires de soldats se transforment en discours radiophonique assourdissant), épure (une danse de bal sans musique audible) ou surcharge (le refuge dans une cave lors d'une alerte impressionne par le chevauchement des pistes sonores : explosions, musique, cris). Elle aime déstabiliser. Une séquence s'ouvre au son des bombardements sur le visage de Lene alitée. Est-elle affolée par le danger ? Non, elle est en train d'accoucher. Souvent la vérité du moment ne nous est pas révélée tout de suite.</p> <p style="text-align: justify;">La progression narrative se fait par larges segments, prenant parfois l'allure de véritables morceaux de bravoure. Les scènes intimes décrivant les brefs séjours du père retrouvant sa petite famille à l'arrière sont filmées de manière assez minimalistes, provoquant quelques retombées de l'intérêt. En revanche, un très long passage au centre du film voit la mère et sa fille sillonner la campagne (l'oeuvre embrasse d'une certaine façon tout le territoire allemand), faire une halte dans une usine désafectée et finir en ville, le tout sans que la première ne cesse un seul instant son récit d'un terrible conte de Grimm à l'attention de la deuxième (une suspension ne se fait que le temps... d'un viol par deux soldats américains). Le tableau brossé de l'Allemagne de l'après-guerre est glaçant : les nazis se replacent dans l'administration Adenauer, les hommes s'en sont sortis plus ou moins et s'oublient dans l'alcool, les femmes portent les stigmates physiques, vivantes malgré tout, mais muettes dorénavant. Anna sera donc, comme la plupart de ceux de sa génération, mise dans une situation intenable, tenaillée par l'amour pour sa mère et l'envie de demander des comptes à celle qui n'a rien voulu voir d'autre que le rideau baissé de la mercerie tenue par un juif, celle qui ne veut plus rien dire, celle qui tente de repousser des choses qui, de toute manière (un éprouvant arrachage de dents, un refuge aux allures de four crématoire) subsistent à l'état de traces.</p> <p style="text-align: justify;">Inégal, très complexe, toujours passionnant, irradié par le visage d'Eva Mattes (Lene) : tel est le film le plus réputé d'Helma Sanders-Brahms, réalisatrice aguerrie du cinéma allemand qui verra sa dernière oeuvre, <i>Clara</i>, distribuée en France au mois d'avril prochain et sur laquelle nous écrirons bientôt.</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlRusty Jamestag:nightswimming.hautetfort.com,2009-02-08:20349952009-02-08T21:56:00+01:002009-02-08T21:56:00+01:00 (Francis Ford Coppola / Etats-Unis / 1983) ■■■□ Point culminant de...
<p style="text-align: justify;">(Francis Ford Coppola / Etats-Unis / 1983)</p> <p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">■■■□</span></p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/01/1171673500.jpg" id="media-1563390" alt="rustyjames1.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" />Point culminant de l'esthétique des années 80 (sortie française en <a href="http://nightswimming.hautetfort.com/archive/2009/01/31/c-etait-mieux-avant-fevrier-1984.html">février 1984</a>), <i><b>Rusty James</b></i> (titre original : <i>Rumble fish</i>, littéralement "poisson combattant") est une oeuvre sur laquelle notre regard a changé, vingt-cinq ans après, alors qu'elle faisait justement de la réflexion sur le temps l'un de ses principaux thèmes. Le film s'inscrit volontairement dans un cadre intemporel, accumulant les signes décoratifs ou vestimentaires venant de différentes époques (jusqu'aux années 50) et limitant au strict minimum les touches de modernité (on note à peine qu'un échange a lieu dans une salle de jeux vidéos). En revanche, ces éléments sont réordonnés et sublimés par une forme neuve. Et vu d'ici et aujourd'hui, c'est ce formalisme exacerbé qui fixe <i>Rusty James</i> dans les 80's et pas ailleurs.</p> <p style="text-align: justify;">Rusty James est un beau gosse enragé de Tulsa qui fantasme sur l'époque révolue des gangs et qui rêve de ressembler à son grand frère, surnommé The Motorcycle Boy, énigmatique et charismatique leader de bande revenu récemment d'un exil en Californie. Le scénario n'est que pur prétexte pour Coppola, bien décidé à démontrer la pertinence de son double projet <i>Outsiders/Rumble fish</i>, soit deux films consécutifs réalisés avec la même équipe et à partir de deux romans originels signés du même auteur (S.E. Hinton), l'un étant illustré de manière conventionnelle, l'autre totalement personnelle.</p> <p style="text-align: justify;">Les stéréotypes abondent : le jeune chien fou, le pote étudiant à lunettes, la droguée mal-aimée, le père alcoolo, les bastons... L'intérêt est que ces clichés sont parfaitement assumés, il n'y a qu'à voir ce personnage de policier qui n'est qu'une image de policier, invariable, omnisciente, symbolique. Le moindre plan vise à la beauté picturale, le moindre photogramme pourrait se retrouver en couverture des magazines de mode les plus classieux. Parfois, les visages se détachent ostensiblement de fonds unis ou nuageux qui ne servent qu'à découper une forme, une silhouette (le dernier plan du film avec l'océan au loin).</p> <p style="text-align: justify;">The Motorcycle Boy surgit de nulle part et Mickey Rourke devient sur le champ une icône. Il prend la pose même en marchant, les bras toujours croisés. Le miracle est que, malgré cela (ou de surcroît), l'électricité passe dans le regard de l'acteur, fascinant. Son personnage comme absent, parlant à voix basse, s'oppose parfaitement a celui de Rusty James qui est constamment dans la gesticulation et les changements d'intonation, qui est plus marqué par son look et son langage (ses phrases ponctuées de "<i>man</i>" et autres "<i>fuck</i>"). Grande réussite que l'ensemble du casting, notamment pour ce trio familial qui paraît évident : Rourke/Dillon/Hopper (et tant qu'on y est, pas question d'oublier de mentionner l'incendiaire Diane Lane). De leurs échanges se dégagent une justesse certaine, par la mise en évidence de leurs points communs et de leurs divergences. Il est ainsi beaucoup question d'intelligence et les propos qui pourraient passer pour des sentences gratuites (l'une des plaies des films les plus superficiellement modernes de cette époque-là) n'y ressemblent jamais car ils ne sortent que de la bouche du Motorcycle Boy ou de son père, hommes plus "habités" que Rusty James.</p> <p style="text-align: justify;">Dans la deuxième partie, les personnages ne cessent de réfléchir sur eux-mêmes comme Coppola semble réfléchir sur le cinéma. Le film abandonne peu à peu toute velléité trop dramatisante (ce n'est pas une série de règlements de comptes brutaux entre gangs) et se transforme en une errance nocturne (voir comment est filmée l'ivresse) au cours de laquelle Rusty James ne va cesser de suivre son frère, à deux mètres de lui, l'observer, tenter de le saisir et de faire sienne un peu de son aura.</p> <p style="text-align: justify;">La distanciation formelle imposée par le cinéaste nous touche plus aujourd'hui en passant par les postures ou les dialogues que par les <i>gimmicks</i> visuels, un peu trop sollicités (pendules, fumées, nuages filmés en accéléré). Notons toutefois que l'on remarque surtout la dernière horloge apparaissant à l'écran qui annonce deux minutes avant minuit, avant le dénouement, ce qui nous fait dire que le procédé n'a pas été utilisé vainement. Le choix esthétique le plus marquant est bien évidemment celui fait par Coppola de tourner dans un somptueux noir et blanc, choix justifié en passant, au bout de quelques dizaines de minutes, sans insister et en laissant libre d'adhérer ou pas à l'interprétation : nous voyons le monde comme le voit le Motorcycle Boy (il faudrait donc lire les tags introductifs sur les murs de la ville, "<i>The Motorcycle Boy reigns</i>", dans ce sens-là et pas seulement comme la trace d'un passé légendaire). "<i>C'est comme une télé en noir et blanc avec le son très bas</i>", dit-il lui-même, qui n'a des couleurs que le souvenir de quelques touches. De fait, tout autant que le visuel, le son est travaillé de manière extraordinaire.</p> <p style="text-align: justify;">La musique de Stewart Copeland, composante essentielle du projet, si bluffante en 84, m'a paru cependant avoir subi quelque peu les assauts du temps. Toujours stimulante, elle s'est toutefois chargée de certaines sonorités qui heurtent l'oreille et qui rameutent subrepticement le triste fantôme d'Eric Serra. Le nom est lâché, il faut aller jusqu'au bout et maintenant poser la question : pourquoi <i>Rusty James</i>, quintessence d'un certain cinéma, est-il un film infiniment supérieur à <i>Birdy</i> et autres <i>Subway</i> ? Sans reprendre les éléments de réponse apportés plus haut, mettons en avant une différence radicale. L'image de la fin du Motorcycle Boy nous est refusée, laissée hors-champ. En avoir la trace sonore suffit, inutile de plomber le spectateur, de l'appâter. Coppola n'est pas dans la démagogie et le chantage à l'émotion. Il reste honnête et cohérent dans l'esthétique et la morale. Tout le contraire du cinéma de Parker ou de Besson, de leurs fins de film mensongères destinées à rassurer coûte que coûte le spectateur avant qu'il ne quitte la salle (de ce point de vue, la séquence de lévitation de Rusty James pourrait induire en erreur : le fait est qu'elle échappe au travers du détournement trop facile par l'interrogation qu'elle amène, encore une fois, sur les clichés que <i>l'âme</i> du héros survole, et accessoirement, par sa force plastique). Et puis, tout simplement, Coppola organise un univers (un monde refermé sur lui-même, comme un aquarium, certes, mais dont la vitre peut aussi nous renvoyer notre image).</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlLes nuits de la pleine lune & Le rayon verttag:nightswimming.hautetfort.com,2009-02-06:20228472009-02-06T18:07:52+01:002009-02-06T18:07:52+01:00 (Eric Rohmer / France / 1984 & 1986) ■■■□ / ■■■□ " Qui a deux...
<p style="text-align: justify;">(Eric Rohmer / France / 1984 & 1986)</p> <p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">■■■□</span> / <span style="font-size: medium;">■■■□</span></p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/01/1208096752.jpg" id="media-1563340" alt="Lune 06.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" />"<i>Qui a deux femmes perd son âme, qui a deux maisons perd sa raison</i>". Voilà le sous-titre du quatième film de la série des <i>Comédies et proverbes</i> d'Eric Rohmer. Quatre chapitres égrennent autant de mois, de novembre à février, le premier posant on ne peut plus clairement la situation (qui, comme souvent dans la série, ne colle pas exactement terme pour terme au proverbe choisi). Deux longues conversations entre Louise et son copain Octave et entre Louise et son ami Rémi détaillent le point de départ du récit et semblent déjà en imaginer toutes les conséquences possibles. Le pour et le contre sont pesés, les risques identifiés. De l'instabilité de Louise naît l'intrigue et ce sont ses trajets incessants entre ses deux maisons qui vont rythmer le film. Le générique de début est porté par un panoramique allant de la rue à l'immeuble de banlieue de l'héroïne et logiquement, quand arrivera celui de la fin, la caméra bougera dans le sens inverse. Ces mouvements qui parsèment <b><i>Les nuits de la pleine lune</i></b> ne se limitent pas à accompagner les déplacements des personnages mais font entrer en jeu une problématique sociale en abordant la question des "nouvelles villes" naissant aux abords des grandes agglomérations et provoquant des mutations importantes dans les modes de vie (avec cette attention à l'environnement, nous avons là l'une des composantes du cinéma de Rohmer qui fait que celui-ci peut être qualifié à la fois d'intemporel et de précisemment daté).</p> <p style="text-align: justify;">L'idée du trajet, au-delà de la mesure d'un territoire, est reprise pour aborder l'intime, Louise allant d'un partenaire à l'autre. Mais elle n'est pas la seule car ici chaque rencontre, quasiment chaque salutation, semble porter en germe une histoire possible. Donnant à sentir régulièrement une circulation des désirs, le film est sur ce point l'un des plus francs de son auteur.</p> <p style="text-align: justify;">"<i>Tu donnes l'image de quelqu'un de complètement éthéré alors que, en réalité, tu es tout à fait physique.</i>" La remarque que fait Octave à Louise pourrait après tout s'appliquer à Rohmer. Dans <i>Les nuits de la pleine lune</i>, la parole est primordiale, comme toujours, mais elle laisse aussi toute sa place à l'expression corporelle. Notons d'abord que les personnages conversent souvent en faisant autre chose en même temps (préparer un thé, s'habiller...), ce qui dynamise leurs bavardages. Ensuite, Rohmer les filme dans tous leurs états, y compris les moins grâcieux puisque nous les voyons, hommes ou femmes, dénudés, essuyant leur transpiration ou changeant de vêtements. Si le cliché veut que chez ce cinéaste, tous les acteurs jouent de la même façon et prennent la même diction, il faut ici nuancer les choses. La distribution apparaît en effet au départ, très hétérogène. Fabrice Lucchini s'installe dans son rôle d'écrivain mondain (terme que son personnage réfute assez brillamment). Pascale Ogier joue de son corps très mince, de ses intonations de jeune fille et nous touche particulièrement lorsqu'elle laisse éclater ces sortes de crises de nerfs calmes. Tchéky Karyo est le plus étonnant des trois car le plus "déplacé", Rohmer se servant magnifiquement de son allure lourde, de son regard toujours au bord de l'explosion et en même temps terriblement las. Ces différences de jeu, essentiellement dûes aux corps des comédiens (et auxquelles il faut ajouter l'apparition de Laszlo Szabo, apportant tout à coup un autre registre, une vision plus globalisante et moins terre à terre), le cinéaste en fait une force structurante de son récit. D'ailleurs, ce qui reste le mieux en tête après une première vision des <i>Nuits de la pleine lune</i> a peu à voir avec l'image traditionnelle véhiculée par le cinéma de Rohmer puisque reviennent en mémoire avant tout ces longues séquences de danse et ces scènes de ménage entre Louise et Rémi.</p> <p style="text-align: justify;">D'autres éléments contredisent la thèse d'un cinéma bavard et ennuyeux. Entre en jeu un véritable plaisir du récit, à tel point qu'il ne faudrait peut-être pas grand chose pour que l'on bascule à certains moments dans un film de genre. On l'a dit, tous les possibles sont envisagés dès le départ, mais à cela s'ajoutent ensuite des fausses-pistes, des méprises et des revirements. Octave se voit traité de flic, un simple passage aux toilettes d'un bar provoque un moment de suspense et pendant quelques secondes l'escalier que gravit Louise et qui mène à la chambre de Rémi prend une allure hitchcockienne. On le voit donc, au-delà de sa rigueur, le cinéma de Rohmer ne manque pas de surprises.</p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/00/704983254.jpg" id="media-1563349" alt="Rayon 08.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" />Expérience inédite pour Eric Rohmer que ce <b><i>Rayon vert</i></b>. Après avoir laissé Pascale Ogier décorer les appartements de son personnage des <i>Nuits de la pleine lune</i>, il laisse cette fois-ci Marie Rivière et les acteurs l'entourant collaborer au scénario et aux dialogues, sous forme d'improvisations développées à partir d'une certaine trame. A la mise en scène de suivre. Rohmer délaisse donc quelque peu sa position d'organisateur au regard acéré et sollicite moins son oeil de plasticien. Nous perdons alors en rigueur ce que nous gagnons en naturel et en liberté. Frappent ici la simplicité des gens filmés et de leurs propos, l'abondance des scènes de repas décontractés, un goût pour la déambulation purement documentaire et l'étirement de séquences <i>a priori</i> sans enjeu dramatique. Devant ce cinquième opus de la série <i>Comédies et proverbes</i>, on ne peut que se faire à nouveau la remarque : Eric Rohmer est sans doute, parmi les grands auteurs de la Nouvelle Vague, celui qui est resté le plus fidèle aux principes techniques, esthétiques et narratifs du mouvement.</p> <p style="text-align: justify;">S'étalant sur une période de vacances estivales, le récit en épouse le rythme particulier, au gré de balades et de rencontres, sans réels soucis d'équilibre temporel (une longue semaine à Cherbourg puis un séjour expéditif de quelques heures à la montagne, des scènes très courtes ou des discussions attablés sans fin) ni d'homogénéité de registres (séquences de drague ludiques ou pathétiques, échanges profonds ou prosaïques, agitation des groupes ou plages solitaires). C'est aussi peu de dire que Rohmer s'attache à son héroïne, soumettant tout son film à ses hésitations et ses états d'âme. Ne se remettant pas d'une rupture sentimentale, lâchée par une amie au moment de partir avec elle en Grèce, ne sachant plus que faire, Delphine est mal dans sa peau. Les autres ne cessent de la pousser à "se bouger", à extérioriser et à donner d'elle ce qu'elle ne veut pas. Mais Delphine reste farouchement fidèle à sa vision romantique de l'existence, quitte à passer par de terribles moments de dépression.</p> <p style="text-align: justify;">Si la jeune femme ne sait jamais vers où et vers qui aller, plutôt que d'instabilité, il faut parler d'un état <i>vague</i>. Nous sommes en effet souvent au bord de la mer mais, plus sérieusement, c'est de cette manière que Delphine définit elle-même son rapport au monde et aux autres à l'occasion de sa discussion à coeur ouvert avec la jeune suédoise. Et d'ailleurs, pourquoi tout devrait-il toujours être clair et transparent ? La sincérité et le bien-être doivent-ils nécessairement passer par l'extraversion ? Faisant sien ce rapport imprécis et fuyant de Delphine à ce qui l'entoure, le film avance ainsi comme à tâton mais laisse glisser par en-dessous le sentiment qu'il y a tout de même, au bout, un point précis à atteindre. Il ne peut advenir qu'un seul dénouement. Comme Delphine, nous croyons à cette rencontre possible. Des signes balisant sa route la conforte dans cette espérance (les apparitions de ces cartes à jouer, de ces affiches et de ces couleurs pourraient l'abuser mais elle reste lucide dans sa superstition, admettant que dans son état si réceptif, elle peut très bien sur-interpréter ces clins d'oeil du destin).</p> <p style="text-align: justify;">Passés les instants de déceptions et les heures trop calmes, le grand moment de la rencontre rêvée arrive enfin, dans un hall de gare. Et ce chamboulement se voit immédiatement sur le visage de Dephine (Marie Rivière est éblouissante) et dans ces gestes. La boule qui lui pesait dans le ventre a disparu d'un coup et elle ne peut plus se contenir. Elle dit tout, tout de suite. Préparées par le faux-rythme de tout ce qui précédait, les dix dernières minutes du <i>Rayon vert</i> affirment magnifiquement une croyance dans le cinéma et dans son pouvoir d'émotion et d'émerveillement. Chaque élément a tendu vers cet instant où tout fait sens, où, selon l'adage, on voit en soi et en ses proches. Là, sur cette falaise, face au soleil couchant, un phénomène météorologique parfaitement connu est aussi un événement magique, Baudelaire ("<i>Ah ! Que le temps vienne. Où les coeurs s'éprennent</i>", sous-titre du film) et Jules Verne dialoguent, le cinéma devient à la fois peinture et musique, le début (d'un amour) et la fin (d'une journée, d'un récit) se rejoignent. Comme un faisceau lumineux, tout converge, et cela avec l'économie de moyens habituelle au cinéaste. Si <i>Le rayon vert</i> n'est pas la plus pure des oeuvres de Rohmer, c'est assurément l'une des plus émouvantes.</p> <p> </p> <p>(Chroniques dvd pour <a href="http://www.arkepix.com/kinok/index.html"><i>Kinok</i></a>)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlRequiem pour un massacretag:nightswimming.hautetfort.com,2008-11-12:18937982008-11-12T17:05:00+01:002008-11-12T17:05:00+01:00 (Elem Klimov / URSS / 1985) ■■■□ 1943. La Biélorussie est occupée...
<p>(Elem Klimov / URSS / 1985)</p> <p><span style="font-size: medium;">■■■□</span></p> <p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/02/664724061.jpg" alt="requiem.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" id="media-1389789" />1943. La Biélorussie est occupée par les nazis. Le jeune Floria trouve un fusil et s'engage auprès des partisans. Comme celui de la Glasha, la fille avec qui il partagera quelques brefs instants de liberté, son regard sera vite confronté à l'innommable.</p> <p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><strong>Le heurt</strong></p> <p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;">Glasha à un visage étrange : rond et pâle, il est transpercé de deux yeux d’un bleu clair irréel. Belle et terrifiante à la fois, menaçant toujours de sombrer dans la folie, la jeune fille peut passer en quelques secondes des larmes au rire. A Glasha et à quelques autres, Elem Klimov consacre de nombreux gros plans, en conférant à ceux-ci un caractère surnaturel par la brutalité du montage. Tout le film est vu par les yeux du garçon Floria. On le sait, les enfants ont tous cette étonnante capacité à changer en un instant d’état émotionnel. En conséquence, le monde décrit dans <em><strong>Requiem pour un massacre</strong></em> (<em>Idi i smorti</em>) sera sans cesse soumis à des ruptures brutales.</p> <p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;">Dès le début, le montage heurté, la variété des échelles de plans dans une même séquence et la variation des niveaux sonores déroutent. La réalité de la guerre se faisant de plus en plus oppressante, la sensation ne fera que s’accentuer à coups de raccords brutaux. Explosions soudaines des obus trouant le paysage, sifflement des balles… Un homme est vivant. Dans le plan suivant, il est déchiqueté. La dislocation se rencontre aussi dans les dialogues. Le symbolisme les contamine et les rend parfois déplacés ou tout simplement incompréhensibles.</p> <p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><strong>Le viscéral</strong></p> <p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;">Cette esthétique du choc prend aux tripes. Par l’utilisation de focales déformantes, les visages rouges de rage, baignés de larmes ou éclatant de rire tirent vers la grimace. Par le filmage en caméra portée, les courses nous font respirer difficilement. Un gamin fait le chien, un os dans la bouche, un autre se met la tête dans la boue, telle une autruche.</p> <p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;">Le son participe aussi de cette volonté de nous plonger dans le chaos. Suite au bombardement de la forêt, Floria perd de l’audition. La surdité passagère et les sifflements qui l’accompagne se répercutent alors sur la bande-son. L’effet est connu mais Klimov est sans doute l’un des premiers à en avoir ainsi tiré parti et il le prolonge de façon radicale pendant une bonne demie-heure, saturant l’ambiance sonore de musique bourdonnante, d’éclats ou de bruits étouffés.</p> <p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;">La partie centrale, la meilleure du film, transmet de manière inédite le sentiment de la peur. Courses affolées et pauses se succèdent. La forêt change d’aspect au gré des bombardements ou des averses, tantôt lumineuse, tantôt maléfique. L’ennemi est invisible. Après la survie dans le bois, le retour au village mort (extraordinaire séquence) nous dévoile la vérité d’un terrible hors-champ, vu du coin de l’œil.</p> <p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;">Il y a cependant un risque : le viscéral peut limiter la réflexion.</p> <p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><strong>La représentation</strong></p> <p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;">En épousant le regard de l’enfant, Klimov a d’abord privilégié le motif de la trace pour rendre compte de la violence : nuages de terre provoqués par les mines et les obus, chemins lumineux des balles dans la nuit et cadavres, lambeaux, plaies. L’hyper-réalisme se lestait de métaphores.</p> <p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;">Arrive le trou noir du film, le point vers lequel tout converge : l'anéantissement d'un village entier par un détachement SS. Le cinéaste passe alors à une description frontale d'un processus d'extermination. Rien de plus difficile. Pour représenter la barbarie, resserrer sur un seul personnage permet généralement de faire passer toute la souffrance imaginable, mais filmer des mouvements de foule, englober des centaines de victimes peut provoquer, par réflexe défensif sans doute, le retrait du spectateur, qui ne veut alors voir que des figurants en train de crier. J'ai suffisamment insisté ailleurs sur mon désaccord avec la position critique voulant poser un interdit absolu sur la question de la représentation des atrocités nazies pour m'étonner ici que personne ne trouve à redire sur ce long passage de <em>Requiem pour un massacre</em>. Je ne suis pas sûr que travailler la durée des séquences et la perception auditive suffise pour que l'on place Klimov au-dessus du débat, alors que l'on en finit plus de déblatérer sur tel travelling ou telle pomme de douche, reléguant des cinéastes, peut-être moins brillants mais pas moins honnêtes, au rang d'irresponsables. Non, Elem Klimov n'a pas réalisé l'impossible et son morceau de bravoure est moins fort que l'heure et demie qui le précède.</p> <p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;">Ce sentiment est conforté ensuite par une séquence tout aussi ambiguë dans sa manière : celle de la vengeance. Pour peindre l'horreur du massacre des villageois, Klimov a choisi de mettre l'accent sur la bouffonnerie bravache et révoltante des bourreaux, plutôt que de les montrer par exemple plein de froideur inexplicable. A peine quelques minutes plus tard, par une ellipse collant quasiment l'une à l'autre les deux séquences de façon assez gênante, il montre les dignes partisans face aux piteux pantins nazis faits prisonniers. Il s'autorise de plus, au cas où, un insert d'images d'archives des camps de la mort : la piqûre de rappel se fait coup de marteau sur le crâne. La fin de <em>Requiem pour un massacre</em> laisse un arrière goût de religiosité et de patriotisme et l'ombre de ce que l'on appelait alors le cinéma officiel plane.</p> <p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><em>In extremis</em>, le bruit et la fureur retrouvent un vecteur plus symbolique lorsque Floria tire sur le portrait d'Hitler, tentant littéralement de refaire l'histoire puisque défilent sous nos yeux, dans un grand fracas et à l'envers, des images d'archives de la guerre remontant à la source : le visage du petit enfant Adolf. C'est bien dans ce registre que Klimov est le plus convaincant.</p> <p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><strong>L'anti-Malick</strong></p> <p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;">Après le bombardement, apparaît sous les yeux des deux jeunes gens un étrange oiseau, une sorte d'échassier gracieux se déplaçant avec précaution au milieu de la végétation calcinée. Chez Terrence Malick, la présence animale, au-delà de son étrangeté et de sa poésie, renvoie à l'immuabilité et à l'indifférence de la nature face à la folie humaine. Chez Klimov, l'animal est déplacé, détourné, dépossédé : la vache doit courir, le lémurien est réduit à un objet décoratif, sur l'épaule d'un officier allemand.</p> <p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;">Malick nous baigne de spiritualité mais questionne sans cesse l'idée de Création. On dirait, à première vue, que Klimov se préoccupe moins de la dimension spirituelle. Elle me semble pourtant souterraine et le sacré finit par recouvrir certaines images. Il est posé tel quel. Il n'y a pas, ici, d'interrogation.</p> <p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;">Quand Klimov recherche la sidération du spectateur par le heurt, Malick embrasse le monde harmonieusement et bâtit une oeuvre musicale. </p> <p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;">Le cinéma de Malick est empreint de mélancolie mais nous tire vers la lumière. Klimov fait s'entrechoquer rires et larmes dans un voyage vers le néant, l'impensable.</p> <p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><strong>Requiem pour un massacre...</strong></p> <p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;">...est une oeuvre éprouvante, un choc plastique indéniable et une source de problèmes.</p> <p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"> </p> <p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;">A lire aussi sur <a href="http://inisfree.hautetfort.com/archive/2008/07/20/va-et-regarde-sous-le-marronnier.html">Inisfree</a> et sur <a href="http://alapoursuiteduvent.blogspot.com/2008/07/requiem-pour-un-massacre-elem-klimov.html">A la poursuite du vent</a>.</p> <p> </p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlLes sièges de l'Alcazartag:nightswimming.hautetfort.com,2008-10-30:18665462008-10-30T13:41:29+01:002008-10-30T13:41:29+01:00 (Luc Moullet / France / 1989) ■■□□ Dans les années 50 à Paris,...
<p style="text-align: justify;">(Luc Moullet / France / 1989)</p> <p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">■■□□</span> </p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/02/278022234.jpg" alt="siegesalcazar.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" id="media-1355414" />Dans les années 50 à Paris, Guy, critique aux <em>Cahiers du Cinéma</em>, fréquente la salle de l'Alcazar pour y voir notamment les films de Vittorio Cottafavi, son cinéaste favori. Un soir, il y aperçoit Jeanne, qui écrit, elle, dans <em>Positif</em>. Au fil des séances, les deux vont jouer au chat et à la souris, leurs prises de becs cachant certainement une réelle complicité.</p> <p style="text-align: justify;">Ce film de Luc Moullet titillait ma curiosité depuis longtemps par son sujet. L'histoire de la rivalité développée, quasiment dès leurs premières années, entre les deux grandes revues cinéphiles françaises m'a toujours beaucoup intéressé.</p> <p style="text-align: justify;">Premier étrange sentiment : <em><strong>Les sièges de l'Alcazar</strong></em> a été tourné en 1989 et semble pourtant dater, sinon de 1955, l'époque décrite, du moins des années 60. Pensant au départ que le film était plus ancien, il me fallut attendre de reconnaître Sabine Haudepin dans un second rôle pour me persuader de sa date de production. Est-on là en face d'un extraordinaire travail de reconstitution ou est-ce plutôt l'effet secondaire de l'esthétique économe de Luc Moullet ? Défaut ou qualité ? Il faudrait sans doute, pour répondre à ces interrogations, connaître plus avant l'oeuvre du cinéaste (ou demander à des <a href="http://drorlof.over-blog.com/">autorités plus compétentes</a>).</p> <p style="text-align: justify;">Drôle de personnage que ce Luc Moullet et drôle de film que celui-ci. Mais film drôle aussi. Les purs cinéphiles s'amuseront de certaines formules ("<em>Antonioni est le Cottafavi du pauvre</em>" etc...), mais plus que les dialogues, surtout axés sur les capacités de réparties de chaque personnage, ce sont les trouvailles de la scénographie qui charment. La caméra reste la plupart du temps dans le cinéma et les meilleurs moments mettent en scène le corps de Guy, les positions qu'il doit prendre pour tenir sur les petits sièges inconfortables. Plus que les private jokes, c'est le burlesque léger de Moullet qui séduit. Le film offre ainsi de très jolis plans de Guy, assis au milieu des gamins des deux premiers rangs.</p> <p style="text-align: justify;">Dans le rôle principal, Olivier Maltinti est remarquable et ses duos avec Elizabeth Moreau (Jeanne) et surtout Micha Bayard (l'irascible ouvreuse) sont assez réjouissants. Le reste est plus inégal, Moullet étant l'un des rares cinéastes à ne pas couper les hésitations et les erreurs de dictions de ses comédiens. Autre bémol, le montage intègre de longs extraits de films de Cottafavi, pas forcément nécessaires.</p> <p style="text-align: justify;">Sympathique et très plaisant, partant d'un sujet précis et n'en déviant jamais, restant confiné, <em>Les sièges de l'Alcazar</em> subit un peu le contrecoup de sa rigueur. Et se pose alors la question : peut-il résonner au-delà d'un petit cercle de passionnés ?</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlLe Malin & Au-dessous du volcantag:nightswimming.hautetfort.com,2008-10-27:18570252008-10-27T13:27:49+01:002008-10-27T13:27:49+01:00 (John Huston / Etats-Unis / 1979 & 1984) ■■■□ / ■■ □ □ S'il y...
<p style="text-align: justify;">(John Huston / Etats-Unis / 1979 & 1984)</p> <p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">■■■□</span> / <span style="font-size: medium;">■■</span><span style="font-size: medium;">□</span><span style="font-size: medium;">□</span></p> <p style="text-align: justify;">S'il y a un cinéaste qui a tenté de prouver pendant toute sa carrière que, malgré l'adage, un grand livre pouvait donner naissance à un grand film, c'est bien John Huston. Démarrant en 1941 avec un classique du film noir tiré de Dashiell Hammett (<i>Le faucon maltais</i>) et finissant quarante-six ans plus tard par un ultime chef d'oeuvre trouvant son origine dans une nouvelle de James Joyce (<i>Gens de Dublin</i>), sa filmographie n'a cessé de s'enrichir de travaux d'adaptations ambitieuses. Huston a mis ainsi en images les mots, entre autres, de Herman Melville (<i>Moby Dick</i>), Romain Gary (<i>Les racines du ciel</i>), Tennesse Williams (<i>La nuit de l'iguane</i>), Carson McCullers (<i>Reflets dans un oeil d'or</i>), Rudyard Kipling (<i>L'homme qui voulut être roi</i>). Les résultats à l'écran furent plus ou moins probants mais toujours, au minimum, intéressants. Le coffret de Carlotta offre deux autres exemples de cet exercice hustonien avec <i>Le Malin</i> et <i>Au-dessous du volcan</i>.</p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/352054512.jpg" alt="Malin 01.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" id="media-1348155" name="media-1348155" /><i><b>Le Malin</b></i> (<i>Wise blood</i>), que John Huston réalise en 79, est une oeuvre très étonnante, virulente et inspirée. A cent lieues d'un ouvrage routinier signé par un vieux maître, ce film est en fait plus proche des chemins de traverses empruntés par Rafelson ou Altman à la même époque. Tourné de manière indépendante, loin de Hollywood, <i>Le Malin</i> dépeint une Amérique des campagnes et des petites villes grouillant de marginaux, asociaux et autres illuminés, et si le récit reste simple, il peut laisser en suspens certains éléments, abandonner certaines destinées, en allant à rebours de certaines habitudes narratives.</p> <p style="text-align: justify;">Car tout tourne ici autour d'un seul homme : Hazel Motes, jeune homme étrange qui, de retour de la guerre, veut enfin faire "<i>des choses qu'il n'a jamais fait avant</i>". Avec l'énergie des grands obsessionnels, il tentera de prêcher et de fonder l'Eglise de la Vérité, une église du Christ sans le Christ. Mais Hazel ne semble attirer que des <i>freaks</i> aussi dérangés que lui. Pire : ces rencontres n'aboutissent à rien de bon. Les différents personnages du <i>Malin</i> semblent tous enfermés dans leur monde, donnant à voir une somme de solitudes et des cellules autarciques qui ne communiquent pas. Les divers partenariats possibles sont immédiatement voués à l'échec, à moins qu'ils ne reposent sur une filiation (et dans ce cas-là, l'aliénation est totale : le grand-père prédicateur de Hazel est responsable du traumatisme de son petit-fils et Sabbath semble s'enfoncer dans la même folie que son père, faux-prophète aveugle). Les couples ne se forment que pour un instant, le temps d'assouvir quelques pulsions naturelles. Ce décalage constant, Huston arrive à le faire sentir parfaitement dans les dialogues qui, le plus souvent, n'avancent pas par questions-réponses mais plutôt comme des monologues sourds, exactement parallèles.</p> <p style="text-align: justify;">Ces gens-là sont tellement hors du commun, leurs actions et leurs propos nous mènent si près de l'absurde que le cinéaste n'a pas besoin d'en rajouter dans la bizarrerie par sa mise en scène. Le filmage est donc simple, très libre, à l'image de ces déambulations urbaines que la caméra capte en de longs plans-séquences.</p> <p style="text-align: justify;">La charge contre les prédicateurs est féroce : menteurs, avides, racistes... Tous semblent au bord de la caricature. Pourtant, Huston parvient à donner à chacun une réelle épaisseur et à garder pour son guide dans ce monde-là, Hazel, une sympathie évidente. Brad Dourif est ici prodigieux d'un bout à l'autre. Et parmi les excellents seconds rôles, on ne peut que s'enthousiasmer devant la performance de Harry Dean Stanton en aveugle douteux et celle d'un irrésistible Ned Beatty en prédicateur country et opportuniste.</p> <p style="text-align: justify;">Tendresse pour les paumés qui n'exclue pas, bien au contraire, une progression vers la noirceur totale, humour décalé et provincial : <i>Le Malin</i> annonce par bien des points le cinéma des frères Coen.</p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/02/240691540.jpg" alt="Volcan 06.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" id="media-1348157" name="media-1348157" />Cinq ans plus tard, Huston s'attaque à nouveau à un gros morceau, en l'occurrence le roman de Malcolm Lowry, paru en 1947 et, comme tous les grands livres, réputé inadaptable. Le récit se concentre sur deux jours, les deux derniers de Geoffrey Firmin, consul britannique de la ville mexicaine de Cuernavaca. Le magnifique générique (une danse de mobiles et figurines squelettiques) et un effet visuel dès les premières minutes, reflétant des cranes dans les lunettes du protagoniste, nous préviennent en effet que le film sera bien la chronique d'une mort annoncée. Mort, remords et ivresse sont les grands thèmes d'<b><i>Au-dessous du volcan</i></b> (<i>Under the volcano</i>).</p> <p style="text-align: justify;">Obliger le spectateur à côtoyer pendant deux heures un alcoolique est une sacrée gageure et nécessite d'être particulièrement sûr de sa direction d'acteur et de son choix de casting. Albert Finney s'en sort avec les honneurs, surtout lorsqu'il est en mouvement, adoptant une démarche exagérément raide et un port régulier de lunettes noires. De même, c'est lorsque Huston filme ses comédiens au milieu du peuple mexicain qu'il tient le mieux son pari, plutôt que dans le cadre de l'hacienda du consul. Là se joue une pièce de théâtre douloureuse à trois personnages. Jacqueline Bisset et Anthony Andrews peinent à s'imposer face à Finney : Yvonne, la femme aimante mais incertaine reste évanescente, et Hugh, le demi-frère, revendique un engagement journalistique qui cadre mal avec sa manière d'être.</p> <p style="text-align: justify;">En ce mois de Novembre 1938, nombreux sont les signes d'une explosion imminente du monde. Hugh revient d'Espagne où les Républicains sont en train de perdre la guerre civile; les miliciens mexicains, financés par les nazis, imposent leur loi dans les campagnes; Munich vient d'être signé. Tout semble déjà trop tard. Trop tard pour la paix, pour le consul et pour son couple. Ne reste plus alors qu'à aller se perdre au Farolito, bar-bordel sordide.</p> <p style="text-align: justify;">Nous nous sommes promenés en plein soleil, au milieu de festivités colorées. Toujours dans les pas du consul titubant, nous passons maintenant, aux dernières lueurs du jour (et par un pont suspendu), à un univers plus inquiétant. L'obscurité aidant, la cruauté et la violence pointent leur nez. Huston termine son film sur cette lente et inéluctable dérive, dans une remarquable progression dramatique. Vers la nuit, la pluie, la boue, le néant. Firmin avait prévenu : "<i>L'enfer a ma préférence</i>".</p> <p align="justify">(Chronique dvd pour <a href="http://www.arkepix.com/kinok/index.html"><i>Kinok</i></a>)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlLe Bon Roi Dagoberttag:nightswimming.hautetfort.com,2008-10-13:18434462008-10-13T23:54:00+02:002008-10-13T23:54:00+02:00 (Dino Risi / France - Italie / 1984) □□□□ Dino Risi à la mise en...
<p style="text-align: justify;">(Dino Risi / France - Italie / 1984)</p> <p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">□□□□</span></p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/01/1987658709.jpg" id="media-1329396" alt="dagobert.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" />Dino Risi à la mise en scène, Gérard Brach et Age au scénario, Coluche, Serrault, Tognazzi et Carole Bouquet devant la caméra... Tout ce beau monde fut réuni en 1984 pour accoucher de cette catastrophe qu'est le <b><i>Bon Roi Dagobert</i></b>.</p> <p style="text-align: justify;">Pendant quelques minutes, devant ce style visuel aussi rude que la campagne hivernale dans laquelle se déroule l'introduction, devant cette succession de dialogues grossiers, devant cet acharnement scatologique, on se dit, bienveillant et au fond désireux de nager à contre-courant de la mauvaise réputation du film, que l'irrespect peut être gage d'authenticité et de vigueur. Il faut malheureusement se rendre très vite à l'évidence. Risi a commis l'erreur de ne pas créer un véritable personnage mais de laisser Coluche faire ses sketchs habituels en habits médiévaux. Ses réflexions et ses onomatopées ponctuant chacune de ses interventions nourrissent un humour anachronique particulièrement pénible. Les deux hommes redresseront semble-t-il la barre, un an plus tard, avec un <i>Fou de guerre</i> apparemment bien plus profond (ce qui n'est pas difficile). Ici, le célèbre comique n'est certes pas le seul à jouer n'importe comment : les grimaces de Michel Serrault ne nous arrache qu'à grand peine quelques sourires et Ugo Tognazzi ne nous offre que le minimum syndical dans un double rôle.</p> <p style="text-align: justify;">Arrivé au bout de ces 115 longues minutes d'un récit à l'intérêt très contestable, aboutissant à un paresseuse histoire de sosie du pape, je n'en retiens qu'une poignée de plans bien composés, un festival de poitrines généreusement offertes et deux plans de Carole Bouquet, l'un accompagnant sa sortie de bain (au lait) et l'autre, très bref, la montrant, épaule découverte et visage rayonnant, en train de jouer avec un serpent lors d'une orgie. C'est peu...</p> <p style="text-align: justify;"> </p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.html1984tag:nightswimming.hautetfort.com,2008-10-04:18269642008-10-04T16:15:00+02:002008-10-04T16:15:00+02:00 (Michael Radford / Grande-Bretagne / 1984) ■■■□ Si vous êtes un(e)...
<p style="text-align: justify;">(Michael Radford / Grande-Bretagne / 1984)</p> <p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">■■■□</span></p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/01/1416817787.jpg" alt="1984.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" id="media-1312044" />Si vous êtes un(e) visiteur(se) régulier(e) de ce blog, vous devez commencer à vous rendre compte de mon inculture littéraire. Je n'étonnerai donc personne en confessant ne connaître du mythique roman de George Orwell que quelques mots (Big Brother, guerre, totalitarisme, écrans...). Le film de Michael Radford ne sera donc pas jugé ici par rapport au livre (vos éventuels commentaires, positifs ou négatifs, sur l'adaptation elle-même sont bien sûr les bienvenus).</p> <p style="text-align: justify;">Vu sans son référent, <em><strong>1984</strong></em>se tient très bien tout seul et dégage une puissance et une cohérence peu commune. La première séquence est dédiée à l'un de ces meetings où des travailleurs sont abreuvés de discours belliqueux, par l'intermédiaire d'un écran géant. Tout en montrant, avec sa caméra balayant la foule, l'instrumentalisation des émotions, le lavage de cerveau et la véhémence de réactions dirigées, le cinéaste laisse deviner quelques espaces libres. Tous, dans la foule, ne font pas exactement les mêmes gestes et pas au même moment, certains regards fuient l'écran, une tête se retourne... Si le mécanisme abrutissant est bien à l'oeuvre, il reste (il restera toujours) du jeu dans la machine, il reste l'irréductible "esprit humain", comme le nommera plus tard Winston Smith.</p> <p style="text-align: justify;">Celui-ci cultive en lui l'une des graines de résistance à un pouvoir autoritaire et tentaculaire qui, sous le prétexte de la guerre, maintient le peuple dans l'ignorance et la pauvreté, ré-écrit l'histoire et s'acharne à annhiler tout libre arbitre. Smith résiste tout d'abord en passant par l'écriture. Sur un cahier, à l'abri du regard de Big Brother, il ré-apprend à utiliser une langue que les dirigeants s'escriment à simplifier, à contrôler, à expurger, avec la même énergie qu'ils mettent à broyer les consciences individuelles. Il s'agit pour lui d'exercer par là une subjectivité qui lui est refusée (exercer car cela demande un réel effort).</p> <p style="text-align: justify;">Parallèlement, Winston Smith s'engage sur une autre voie, tout aussi déviante au regard des autorités : celle de la passion amoureuse. Dans un monde où la voix du Maître se félicite de la chute du nombre de mariages, où l'on fait voeu de célibat et où l'on combat la recherche de l'orgasme, un nouveau couple se forme, décidé à assumer ses pulsions. "<em>I want you</em>" ne cessent de se dire Winston et Julia. L'appauvrissement imposé du langage redouble l'impact et la crudité de ces situations. La révélation soudaine des corps dans leur nudité crée le même choc. Ceux-ci se détachent des murs gris de la chambre et s'opposent aux uniformes qui sont partout. Rarement mise à nu d'une femme à l'écran (et d'un homme, mais, comme d'habitude, un peu moins) n'aura été autant justifiée scénaristiquement, esthétiquement et moralement.</p> <p style="text-align: justify;">Dans le rôle de Julia, Suzanna Hamilton est une découverte, et pas seulement plastique, tant elle fait preuve de sensibilité. L'actrice n'est pas la seule à être digne de louanges. John Hurt traverse le film avec son corps souffrant et sa force intérieure. Devant lui se dresse un prodigieux et massif Richard Burton (dans son dernier rôle), qui incarne la toute puissance dictatoriale avec le minimum d'effets. Leur face à face final est d'anthologie.</p> <p style="text-align: justify;">Michael Radford a su créer l'atmosphère pesante adéquate avec sobriété, lestant tous les décors d'une réelle présence. Il obtient un équilibre parfait entre flash-backs, divagations et réalité jusqu'à égarer doucement son spectateur. Dans la chambre, de très simples mouvements d'appareil partent de l'écran mural pour cadrer dans un recoin Winston Smith écrivant sur son journal. De beaux fondus enchaînés parsèment l'oeuvre, le plus marquant et le plus étrange nous amène vers un plan où Richard Burton tient dans ses bras John Hurt, qu'il vient de torturer. Le retour d'images identiques n'ennuie pas, la répétition étant l'un des fondements de la société décrite. L'utilisation de la musique participe pleinement à l'ambiance. Elle est signée par Dominic Muldowney et le fameux groupe électro-pop Eurythmics (sur la bande-son, pas de tube comme <em>Sex crime</em>, la voix d'Annie Lennox ne s'entendant que sur le générique de fin, mais des boucles synthétiques tout à fait pertinentes).</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlCrimes et délitstag:nightswimming.hautetfort.com,2007-11-04:12979322007-11-04T23:12:00+01:002007-11-04T23:12:00+01:00 (Woody Allen / Etats-Unis / 1989) ■■■□ Petit évènement personnel :...
<p align="justify">(Woody Allen / Etats-Unis / 1989)</p> <p align="justify"><font size="4">■■■□</font></p> <p align="justify"><img name="media-644134" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/00/fae0a808ac60e3552c8d426df6dc826c.jpg" alt="b3612605106e5fabdf89b630af427fb4.jpg" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0px; border-width: 0px" id="media-644134" />Petit évènement personnel : je connais enfin tous les longs-métrages de Woody Allen. Car mis à part <em>Scoop</em>, dont j'ai sous le coude un enregistrement et le tout récent <em>Rêve de Cassandre</em>, que je m'empresserai d'aller voir ces jours-ci, il ne me restait plus qu'à découvrir ce <em><strong>Crimes et délits</strong></em> (<em>Crimes and misdemeanors</em>), cru 89 de son auteur et l'un des plus vantés de la période. Si ce n'est finalement pas, pour moi, l'un des sommets de l'oeuvre allenienne, cet opus se révèle tout à fait passionnant et figure bien parmi ses belles réussites (réussites qui, depuis <em>Annie Hall</em> en 77 sont majoritaires dans cette filmographie imposante, aux côtés de travaux mineurs mais toujours agréables, et selon moi, d'un seul ratage, pourtant alléchant sur le papier, le <em>Hollywood ending</em> de 2002).</p> <p align="justify"><em>Crimes et délits</em> déroule parallèlement deux histoires : celle d'un riche ophtalmologue, Judah Rosenthal (Martin Landau), encombré d'une maîtresse de plus en plus vindicative et se laissant entraîner vers le pire pour régler ce problème et celle de Clifford Stern (Woody Allen), documentariste underground, obligé de réaliser un portrait filmé très conventionnel de son beau-frère, cinéaste star. Depuis toujours, Allen est un adepte du coq à l'âne. Rarement pourtant, jusqu'à ce film, aura-t-il laissé vagabonder sa narration, multipliant les personnages et les micro-intrigues au hasard des rencontres des principaux protagonistes (voir par exemple, le récit, illustré à l'image, dans lequel se lance tout à coup la soeur de Clifford). Plus tard, cette déconstruction ré-apparaîtra, encore plus maîtrisée sans doute (<em>Harry dans tous ses états</em>, <em>Melinda et Melinda</em>). Ici, elle donne une impression de trame un peu foutraque, mais très séduisante dans ses à-coups mêmes. Allen ne se contente d'ailleurs pas d'excroissances scénaristiques. Il place des extraits de vieux films qui sont vus au cinéma par Clifford et qui en même temps commentent savoureusement les événements dramatiques du récit. Il insert des plans remémorés ou fantasmés par Judah, en rapport à sa liaison extraconjugale. Il fait converser celui-ci avec sa famille, revenue de l'au-delà, au cours d'une séquence extraordinaire, qui débute dans l'émotion de la visite de sa maison d'enfance et qui se termine en débat familial irrésistible autour de l'identité et des croyances juives.</p> <p align="justify">Parallèles, les deux histoires principales donnent lieu à peu de croisements, sinon un mariage final où se rencontrent pour la première fois Judah et Clifford. Toute la partie consacrée à l'ophtalmologue, élevée au rang de tragédie, frappe par sa noirceur, que rien ne vient atténuer, et qui annonce, la sauvagerie du crime en moins, <em>Match point</em>. Celle qui se concentre sur Clifford est plus dans la lignée des (auto-)portraits habituels de Woody Allen. Elle parvient toutefois à surprendre régulièrement, tant dans le registre comique (les affrontements impayables entre Clifford et son beau-frère insupportable de suffisance, personnage interprété brillamment par Alan Alda et "sauvé" finalement en quelques phrases par sa nouvelle femme Halley, chipée à Clifford) que dans l'émotion (les jolies hésitations amoureuses entre Woody Allen et Mia Farrow).</p> <p align="justify">De ce film aux tons multiples, et parmi les nombreuses pistes ouvertes, insistons enfin sur ce mystérieux personnage de rabbin qui devient aveugle au fur et à mesure. Ben (Sam Waterston), autre beau-frère de Clifford, visite régulièrement Judah pour ses ennuis de santé visuelle, lui explique sa façon de voir les choses, ne se plaint jamais de ce médecin qui est manifestement incapable de le soigner, tellement il s'intéresse peu aux autres, et se voit offrir le dernier plan du film, quelques pas de danse aveugles, traces d'une de ces autres tragédies qui auront parcouru souterrainement l'oeuvre, masquées par le cauchemar de film noir qu'a vécu l'égoïste Judah.</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlLe jour des morts-vivantstag:nightswimming.hautetfort.com,2007-10-27:12870682007-10-27T22:50:00+02:002007-10-27T22:50:00+02:00 (George A. Romero / Etats-Unis / 1985) ■■□□ Conçu comme le troisième...
<p>(George A. Romero / Etats-Unis / 1985)</p> <p><font size="4">■■□□</font></p> <p align="justify"><img name="media-628687" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/02/e09e6c0c9f8c381d8e054475a5317268.jpg" alt="618511f28a9cd2537906111d4f07bf48.jpg" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0px; border-width: 0px" id="media-628687" />Conçu comme le troisième volet d'une trilogie entamée en 1968 avec <em>La nuit des morts-vivants</em> (<em>Night of the living dead</em>) et poursuivie en 1978 avec <em>Zombie, le crépuscule des morts-vivants</em> (<em>Dawn of the dead</em>), avant que Romero ne propose tardivement un quatrième opus (<em>Land of the dead</em>, 2005), <em><strong>Le jour des morts-vivants</strong></em> (<em>Day of the dead</em>) reprend la simplicité du principe narratif établi dès le premier film : un groupe hétéroclite d'une dizaine de personnes se réfugie dans un lieu clos, assiégé par une horde de monstres affamés de chair fraîche. C'est donc en creusant toujours ce même sillon que Romero construit son oeuvre, apportant cependant plusieurs variations. Le nombre de zombies augmente irrémédiablement à chaque fois, tandis que leur apparence et leur différences sont de plus en plus travaillées (parfois avec humour quand on peut distinguer parmi eux une mariée ou une danseuse en tutu). De même, l'aspect visuel des trois premiers épisodes passe d'un noir et blanc oppressant et fauché (<em>Night...</em>), aux lumières vives éclairant un centre commercial (<em>Dawn...</em>), puis aux couleurs froides d'une base militaire souterraine (<em>Day...</em>). Le titre de ce dernier est trompeur puisque, à part une introduction saisissante en plein jour et l'épilogue, nous ne sortirons pas de ce refuge sous terre, vite transformé en piège.</p> <p align="justify">Dans toute la série, il est aisé de saisir le sous-texte politique à travers le choix des personnages les plus lucides (des Noirs, des femmes), le retournement des valeurs de la société américaine (le consumérisme, le patriotisme) et la critique frontale des institutions (politiques et surtout militaires). Dans <em>Day...</em>, selon le schéma habituel, la menace vient autant de l'extérieur que de l'intérieur (par la contamination, puis la transformation en mort-vivant). Ici, des militaires côtoient dans le souterrain des civils, scientifiques ou responsables techniques, et, par leurs actes, redoublent bientôt les risques encourus par chacun. La charge de Romero est sans nuances, pratiquement tous les personnages sont caricaturaux (et on qualifiera pudiquement l'interprétation "d'inégale"). Retardant les scènes d'action proprement dites, le cinéaste laisse s'écouler quelques séquences bavardes et attendues pour faire sentir la montée des tensions dans le groupe. La "sélection" des survivants et des sacrifiés se fait sans surprise.</p> <p align="justify">Si cette prévisibilité, qui s'étant à toute la progression narrative peut gêner, il faut reconnaître qu'elle est au coeur même du projet. Le style de Romero ne se base pas sur l'effet de surprise, ni au général (le déroulement se fait en partant d'une introduction calme pour mener crescendo vers une violence finale paroxystique, signe du pessimisme de l'auteur qui rend toujours inéluctable la fin prochaine de notre civilisation), ni au particulier (les attaques ne font pas sursauter puisque les zombies sont relativement lents). Le cinéaste se veut aussi direct dans ses messages que réaliste dans sa mise en scène. Contrairement à la plupart des films de ce genre, chaque enchaînement est le résultat de réactions réfléchies (bien ou mal), en tout cas parfaitement crédibles par rapport à la menace qui les déclenche.</p> <p align="justify">Ce qui fait la force de <em>Day of the dead</em> (et des deux précédents, par ailleurs plus réussis) est cette façon de filmer l'horreur en face, sans faux-fuyants, dans un style simple, documentaire, scientifique (du côté du médecin légiste disons). Rarement a-t-on vu un tel étalage de tripes, autant d'éviscérassions (les maquillages et les effets spéciaux sont impressionnants). Le spectacle devrait choquer, révulser les spectateurs qui comme moi ne passaient pas leurs soirées adolescentes devant des films d'horreur, mais le sentiment est bien plus complexe. Ces scènes extrêmement gores sont finalement moins dérangeantes que ce bref plan de <em>Night of the living dead</em> où l'on voyait la petite fille commencer à dévorer ses parents dans la cave. Car aussi saignantes que soient ces images, elle sont soutenues par une nécessité absolue en termes de scénario (les morts doivent manger les vivants ou un membre doit être immédiatement amputé après une morsure). L'horreur froide de Romero, aussi poussée soit-elle, est donc moralement légitime : pas de serial killer, pas de torture, pas de jeu malsain avec le spectateur, juste la réalité d'une boucherie animale provoquée par la folie de quelques autorités irresponsables.</p> <p align="justify">PS : Pour l'anecdote, j'ai découvert que c'est un passage du début de ce film, l'appel au mégaphone, sur fond de musique synthétique, pour rechercher d'éventuels survivants dans la ville morte (<em>"Hello, is anybody there ?... Hello... is anybody there ?..."</em>), qui a été retravaillé par Gorillaz pour <em>M1A1</em>, l'un des meilleurs titres de leur premier album, éponyme, paru en 2001.</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlCutter's waytag:nightswimming.hautetfort.com,2007-10-10:12591362007-10-10T13:20:00+02:002007-10-10T13:20:00+02:00 (Ivan Passer / Etats-Unis / 1981) ■■■□ Cutter's way (titre...
<p>(Ivan Passer / Etats-Unis / 1981)</p> <p><font size="4">■■■□</font></p> <p align="justify"><strong><em><img name="media-594535" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/02/7e98146632c9e67284e115cc53ac633c.jpg" alt="dc52759b6730b78296e186a06f3deb3f.jpg" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0px; border-width: 0px" id="media-594535" />Cutter's way</em></strong> (titre original, plus utilisé que <em>La blessure</em>) est un étrange film noir, signé par un cinéaste d'origine tchèque, ayant suivi une trajectoire parallèle à celle de Milos Forman, le succès public en moins (des débuts remarqués dans son pays à une série d'oeuvres en exil aux Etats-Unis). Les premières scènes rendent hommage au genre avec la découverte par Bone (Jeff Bridges) d'un cadavre dans une ruelle battue par la pluie, mais par la suite, Passer ne cessera de s'écarter des codes établis. Difficile de parler de véritable enquête tant les digressions abondent, tant la véracité des faits est peu démontrée. C'est Cutter, ami de Bone et ancien du Vietnam, qui se charge de faire avancer l'intrigue. Il y a bien des événements scénaristiques mais l'ambiance est plutôt celle d'une chronique, d'une ballade avec ses ruptures de tons, dans la veine des Huston et Altman des années 70. Le monde décrit est étrange, entre loose et opulence, sous le climat de Miami. Les rapports entre les personnages sont d'une honnêteté rare. Jamais leur passé respectif n'est explicité. Un ménage à trois (Bone, Cutter et sa femme) semble en place depuis longtemps, plus ou moins accepté par chacun. Une impression de flottement se dégage; toute l'affaire ne pourrait finalement être que délire d'imagination de la part de Cutter. Jusqu'à la fin, nous ne savons pas à quoi nous en tenir. Cela se termine sur un coup de feu coupé par le noir tombant tout à coup sur l'écran, laissant le spectateur dans l'expectative, comme le feront plus tard Tarantino ou Kassovitz. Autre attrait de ce faux polar très attachant : Jeff Bridges, cool, poussé sans cesse à l'action par son acolyte et y allant à contre-coeur.</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlSouvenirs de la maison jaune, Les noces de Dieu & Va et vienttag:nightswimming.hautetfort.com,2007-09-13:12156932007-09-13T00:09:00+02:002007-09-13T00:09:00+02:00 (Joao César Monteiro / Portugal / 1989, 1998 et 2003) ■■■□ / ...
<p align="justify">(Joao César Monteiro / Portugal / 1989, 1998 et 2003)</p> <p align="justify"><font size="4">■■■□</font> / <font size="4">■□□□</font> / <font size="4">■□□□</font></p> <p align="justify"><img name="media-544326" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/00/62e8c40a6be3d5be1392c5780e05cc81.jpg" alt="7e067561bb83a6bbcd792c863e583a8b.jpg" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0px; border-width: 0px" id="media-544326" />Comme beaucoup, ma rencontre avec l'oeuvre de Monteiro date de 1995 avec la sortie de <em>La comédie de Dieu</em>. Avec son physique à la Nosferatu, Monteiro y incarnait lui-même à nouveau Jean de Dieu, vieil homme respectable adorant faire faire des choses perverses à de jolies jeunes femmes invitées chez lui, personnage crée 6 ans plus tôt dans <em><strong>Souvenirs de la maison jaune</strong></em> (le cinéaste est né en 1934 et a commencé à réaliser dans les années 70). Nous sommes ici au coeur d'un cinéma ardu, solitaire, provocateur et hyper-référencé (de multiples citations littéraires se mêlent à des hommages à Murnau, à Stroheim ou à Bunuel), mais très réjouissant quand il est porté par un véritable récit, comme dans ces <em>Souvenirs...</em> (et dans <em>La comédie de Dieu</em>). Dans le film de 89 donc, les pérégrinations de Jean de Dieu dans une pension pour vieillards et prostituées montrent une haine vigoureuse de la mort et du martyr du corps âgé. La vieillesse y est assimilée à la misère. Jean de Dieu est attiré, mais sans illusions, par la jeunesse (son érotisme, sa richesse). Les provocations de langage et les allusions sexuelles incessantes ne sont pas gratuites mais participent du sentiment de l'impossibilité de revenir en arrière pour le vieil homme. Ainsi hanté par la mort, le film prend sur la fin, bizarrement, un virage aussi déconcertant que revigorant pour le personnage avec sa fuite du foyer et son arrivée en asile. Recourant alors au symbolisme, repoussé jusque là, Monteiro termine plutôt sur l'espoir. Jean de Dieu reviendra effectivement dans d'autres films.</p> <p align="justify"><img name="media-544327" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/02/16f37bf7f08adf681f3eae1a0d7ad4c9.jpg" alt="0647b2e0f823480924427bfbbbaea32f.jpg" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0px; border-width: 0px" id="media-544327" />Mais après <em>La Comédie de Dieu</em> et son bel accueil, Monteiro casse son jouet. <em>Le bassin de J.W.</em>(1997) est un délire imbuvable, dont le souvenir lointain m'est encore douloureux (ahh, ce plan de Monteiro de face en train de nous uriner dessus, à nous, spectateurs...). Vu plus récemment, <em><strong>Les noces de Dieu</strong></em> (1998), si il signe le retour de notre héros, n'est pas le travail d'un cinéaste assagi. Refusant d'entrée le réalisme, il théâtralise à l'extrème, usant uniquement de plans séquences verbeux. Le gain au jeu du personnage de la Princesse Elena réveille le spectateur au bout d'une heure. Un clin d'oeil à <em>L'âge d'or</em> puis une scène sexuelle très explicite font espérer. Mais la bifurcation finale, habituelle chez le cinéaste, sous forme de fable (arrestation, asile, prison...) écrase à nouveau le film sous le poids des dialogues, des citations à la Godard, de l'exhibitionnisme de Monteiro et de la longueur inutile. Mais Joana Azevedo est une femme sublime.</p> <p align="justify"><img name="media-544329" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/00/b8697c2f291c20ec9d6a2afb60a2815e.jpg" alt="661e5e564d19d495333038a49a35beec.jpg" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0px; border-width: 0px" id="media-544329" />Joao César Monteiro est mort en 2003, juste après avoir terminé <em><strong>Va et vient</strong></em>. Dans ce dernier film, il va toujours plus loin dans la provocation verbale (et blasphématoire) et surtout dans la rigueur d'un dispositif de mise en scène qui finit par décourager. La narration épouse la répétition des journées de Jean Vuvu (oui, il a changé de nom) : une longue scène plus ou moins perverse dans la maison entre Jean et une nouvelle jeune femme, un trajet en bus pour aller au parc, un long plan silencieux de Jean assis sur un banc, un trajet de retour dans le bus. Les plans séquences gardent les mêmes cadrages d'un bloc à l'autre. Monteiro doit bien rigoler de maltraiter son spectateur de la sorte. Nous, beaucoup moins. Et bien sûr, c'est au bout de 2 heures, alors que l'on va lâcher, que le cycle est brisé et que le film redémarre pour une heure de plus. Le fils de Jean réapparaît en pleine conversation avec une femme flic (trois personnes dans le cadre tout à coup, nous en sommes tout bouleversés), une étrange femme à barbe débarque (scène douce et troublante malgré son énormité), Jean doit être hospitalisé (pour avoir joué avec une certaine sculpture), il sort et croise un ange... Les derniers plans sont beaux (dont un rêve provoquant filmé à la manière des primitifs du muet), mais (Jean de) Dieu que ce fût long.</p> <p align="justify">Monteiro a fait un cinéma à nul autre pareil, l'un des plus exigeants et des plus libres au monde. C'est aussi l'un des rares cinéastes à avoir perpétué l'héritage du surréalisme et de Bunuel. Mais il me reste cette impression que ses quatre derniers films (car il y a en 2000 un <i>Blanche-Neige</i>, film parlé sur un écran noir du début à la fin, que j'avoue ne pas être impatient de voir) sont le résultat d'un art qui se referme sur lui-même à force d'intransigeance et de refus de tout compromis, prompt à satisfaire l'auteur et quelques critiques.</p>