Last posts on 70s2024-03-29T13:20:08+01:00All Rights Reserved blogSpirithttps://www.hautetfort.com/https://www.hautetfort.com/explore/posts/tag/70s/atom.xmlEdouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlLes Démoniaques (Jean Rollin, 1974)tag:nightswimming.hautetfort.com,2018-12-27:61156372018-12-27T12:20:21+01:002018-12-27T12:20:21+01:00 ° "Film expressionniste de Jean Rollin", comme il est écrit au générique, de...
<div dir="auto">°<div dir="auto" style="text-align: justify;">"Film expressionniste de Jean Rollin", comme il est écrit au générique, de par son sujet (des naufrageurs, une vengeance, une malédiction), ses éclairages, ses cadrages et sa direction d'acteurs. Réalisé entre <em>La Rose de fer</em> et <em>Lèvres de sang</em>, deux "réussites" (il faut toujours relativiser avec Rollin), celui-ci est très pénible à suivre, les défauts de ce cinéma passionné mais aléatoire sautant cette fois à la figure, jamais effacés par quelque vision fantastique, poétique ou érotique (la nudité y est pourtant régulière). Tournant en rond entre trois décors, les acteurs ne s'en sortent pas et rendent plusieurs scènes risibles par leur outrance ou par leur manque de rigueur, à l'opposé de l'inquiétude recherchée.</div></div>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlL'emmerdeuse blondetag:nightswimming.hautetfort.com,2013-07-26:51280772013-07-26T22:52:00+02:002013-07-26T22:52:00+02:00 Catherine Deneuve a-t-elle jamais été aussi blonde que dans Le Sauvage ,...
<p style="text-align: center;"><img id="media-4194988" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/02/3864571819.jpg" alt="deneuve,rappeneau,france,70s" /></p><p style="text-align: justify;">Catherine Deneuve a-t-elle jamais été aussi blonde que dans <em>Le Sauvage</em>, l'agréable comédie de Jean-Paul Rappeneau (meilleure que me le laissaient croire de vagues souvenirs) ? Est-ce le bronzage ou la nature luxuriante qui réhausse ici cette blondeur ? Toujours est-il que ses cheveux y sont si blonds qu'ils tirent presque, par moments, vers le blanc (quand ils ne sont pas mouillés, bien sûr : là, ils brunissent par endroits et se chargent de tout leur poids, donnant à voir des changements de forme et de couleur aussi spectaculaires que les revirements émotionnels du personnage).</p><p style="text-align: justify;">Cette blondeur/blancheur éclate et éblouit comme une glace reflète soudain le soleil à la faveur d'un mouvement imprévu et nous brûle la rétine. Yves Montand, lui, veut rester seul, ne pas être dérangé sur son île déserte et vivre tranquillement son fantasme de robinsonade. Seulement, ce reflet blond n'arrête pas de surgir et de le faire sursauter, ce reflet ou ce qui signale sa présence : la voix qui résonne tout à coup, un moteur qui démarre... Ne pas porter son regard sur l'emmerdeuse blonde est impossible tant celle-ci attire l'attention, l'exige même. Le problème pour Montand, c'est que, à la regarder, l'aveuglement est assuré, parfois pour des semaines (très joli passage de la révélation de l'ellipse de la construction du radeau, lorsqu'il lui répond qu'il a eu la grippe la semaine passée : on réalise alors par cet échange qu'ils ne se sont ni parlé ni croisé pendant plusieurs jours, bien qu'ils vivent l'un à côté de l'autre !). Il arrive pourtant que l'intensité lumineuse baisse. Lorsque Deneuve sort de l'eau et se hisse, trempée, sur le ponton, elle se trouve plongée dans le rouge orangé du soleil couchant derrière elle, belle image de carte postale. Seulement, Montand refuse alors de la voir. Excédé qu'il est par la perte de son bateau, il se barricade, ferme les yeux en même temps que tous les volets de sa maison.</p><p style="text-align: justify;"><em>Le Sauvage</em>, c'est l'histoire d'un couple qui se forme en s'écharpant, histoire que l'on aimerait d'ailleurs délestée de toute autre présence, les récits naturels, inconséquents, lâchés comme en passant, tête blonde en l'air, de ses aventures d'antan par Deneuve se suffisant à eux-mêmes. <em>Le sauvage</em>, c'est surtout cette folle crinière blonde qui ne cesse de s'agiter sur le fond vert des plantes et des arbres exotiques. Moins mince que ne l'était sa sœur onze ans plus tôt quand elle tournait <em>L'homme de Rio</em> avec Philippe De Broca, Catherine Deneuve impose sa présence avec toute l'énergie et la franchise nécessaires. Sur le jaune du sable ou le bleu de l'océan se dessinent ses courbes, silhouette rendue plus nette et attirante encore par les chemises régulièrement mouillées et entrouvertes, qu'elle ne tarde d'ailleurs pas trop, pour notre bonheur, à enlever. L'éblouissement ne tient donc pas seulement au jeu, déjà précieux, de la chevelure.</p><p style="text-align: justify;">Peu vraisemblable apparaît le dénouement dans une communauté de campagne mais l'important est ailleurs. Les cheveux de Deneuve sont maintenant recouverts d'un chapeau de papier. Seules quelques boucles s'en échappent sur les côtés, comme un piquant rappel. Montand revient à elle. Nul doute qu'elle saura par la suite l'habituer progressivement à supporter la vue de sa fabuleuse blondeur.</p><p style="text-align: center;"><img id="media-4194991" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/00/3832032559.JPG" alt="deneuve,rappeneau,france,70s" /></p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.html>tag:nightswimming.hautetfort.com,2013-07-02:51126702013-07-02T21:20:00+02:002013-07-02T21:20:00+02:00 Entremêlement > Alternance Fluidité > Superposition Humour >...
<p style="text-align: center;">Entremêlement > Alternance<br />Fluidité > Superposition<br />Humour > Gaudriole<br />Action > Gesticulation<br />Dynamique > Accéléré<br />Personnages > Figurines<br />Belmondo > Belmondo<br />Les Mariés de l'An Deux > Cartouche<br />Rappeneau > De Broca</p><p style="text-align: center;"><img id="media-4168101" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/02/1675621002.jpg" alt="maries.jpg" /></p><p style="text-align: center;"><img id="media-4168102" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/00/1949154389.jpg" alt="Cartouche.jpg" /></p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.html1974, une partie de campagnetag:nightswimming.hautetfort.com,2012-12-11:49241392012-12-11T23:01:00+01:002012-12-11T23:01:00+01:00 Pré senté au 23e Festival International du Film d'Histoire de Pessac...
<p style="text-align: center;"><img id="media-3878735" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/3640031988.jpg" alt="depardon,france,documentaire,70s,2000s" /></p><p style="text-align: right;"><span><span>Pré</span>senté au 23e <a href="http://www.cinema-histoire-pessac.com/">Festival International du Film d'Histoire de Pessac</a></span></p><p style="text-align: justify;">L'histoire de <strong><em>1974, une partie de campagne</em></strong> (dont le premier titre était <em>50,81%</em>) est connue. Cette année-là, Raymond Depardon filme Valéry Giscard D'Estaing, à sa demande, pendant la campagne pour l'élection présidentielle. Voyant le résultat, ce dernier refuse la sortie en salles (il se justifiera plus tard, de façon peu convaincante, en avançant que le film n'y était pas destiné). Le blocage dura jusqu'en 2002.</p><p style="text-align: justify;">De cette campagne, Depardon a tiré une série d'impressions, des sensations, quelques piques. Loin de faire un compte-rendu, il a fractionné, coupé, monté, éludé (le titre le dit astucieusement : nous avons là une portion). Il a rendu la course effrénée des rendez-vous, des réunions et des meetings, le tout ayant l'apparence d'un mélange. Un mélange des discours, notamment. A ceux-ci ne sont en effet jamais accordés une durée, un cadre, une mise en perspective qui les rendraient intelligibles. Par conséquent, le programme du candidat n'est aucunement présenté. La machinerie politique, Depardon, en adepte du cinéma-direct, préfère l'aborder en montrant les à-côtés, les petits faits, les bribes. Les grandes réunions publiques sont filmées, la plupart du temps, de derrière la tribune, avec donc Giscard de dos. Peut-être doit-on chercher par ici les raisons du refus giscardien concernant l'exploitation en salles. Ici, dans l'escamotage de son discours, plutôt que dans la captation de détails de comportement pouvant toucher au ridicule, comme la manie du coup de peigne.</p><p style="text-align: justify;">Ce qui frappe dans ces images de 74, c'est le désir absolu du candidat d'incarner la nouveauté. Giscard se veut moderne et cherche une nouvelle façon de faire de la politique : il mène une campagne à "l'américaine", dynamique, rythmée, en lien constant avec les médias, en collaboration avec une armée de consultants. Et à cette organisation doit prendre part le documentariste, supposé rendre compte de l'histoire en marche comme le fit Robert Drew au début des années soixante quand il filma John F. Kennedy dans son fameux <em>Primary</em>. Bien sûr, le dévoilement qu'impose le pacte n'est pas sans risque et Giscard le sait pertinemment. Sur ce point, les quelques coups d'œil qu'il peut lancer à la caméra juste après avoir lâché une vacherie sur un adversaire ou un allié en disent long et sont assez savoureux, donnant presque à entendre : "Voilà, c'est dit, c'est enregistré, tant pis, on verra bien plus tard...". Toutefois, il est sinon étrange du moins piquant de voir que cette modernité est revendiquée au cours d'une campagne pendant laquelle, entre les deux tours, Giscard décide de faire le moins de vagues possibles, d'être le candidat qui rassure les français, quasiment de "<em>ne rien faire</em>" afin de ne pas commettre l'erreur qui lui coûterait la victoire tendant ses bras.</p><p style="text-align: justify;">Intégré à ce programme, Depardon cherche (et trouve) bien sûr son espace de liberté. Sa position, il l'assume. Esthétiquement d'abord : des éclairages violents sont braqués sur le candidat lorsqu'il conduit sa DS ou lorsqu'il rentre à son domicile tard dans la nuit et la façon dont il est filmé à son appartement ministériel, dans l'attente des résultats, passant sans cesse du salon au balcon, permet à la fois l'observation des faits et gestes et la prise de conscience de la "fabrication", de la "mise en scène" qu'il organise pour le cinéaste. On remarque également que Depardon place régulièrement dans son champ la presse et les photographes, créant un étonnant effet de miroir et semblant même parfois désarçonner, par sa position, ces derniers (six ans plus tard, notre homme réalisera <em>Reporters</em>). Ainsi, la vision est en quelque sorte circulaire ; parcellaire, l'ensemble paraît pourtant complet.</p><p style="text-align: justify;">La projection à laquelle j'ai assisté fut un peu pénible. Les personnes dans le public ne venaient pas voir le film pour les mêmes raisons. Certains venaient y retrouver une époque et des têtes disparues, et revoir Giscard. Pour s'en moquer le plus souvent, pour réagir d'un air entendu à la moindre réplique un peu tranchante sur l'air, ironique, de "Il est vraiment fort" ou "C'est tout lui ça". Comme si le film était une charge, et une charge faite aujourd'hui. Or, bien que les attitudes risibles soient nombreuses et que le masque ne puisse s'empêcher de tomber pour révéler l'homme hautain et avide, il me semble que l'on peut se garder de s'esclaffer devant ces manières de monarque éclairé (et je me demande à quoi aurait ressemblé et comment serait reçu aujourd'hui le film s'il avait pris pour objet un homme de gauche). Car à bien y regarder une question se pose, à mon sens, dans cette <em>Partie de campagne</em>. Pour insister tellement sur les caméras et les appareils photo, Depardon doit tout de même nous glisser par là que si ce cirque politique et ce point de basculement médiatique sont bien relayés par les journalistes, derrière l'objectif, il n'y a pas que le reporter, il y a aussi notre regard à nous. Les responsabilités de la dérive du politique au médiatique ne seraient donc peut-être pas toutes regroupées d'un seul côté du pupitre ?</p><p> </p><p><span style="font-size: xx-large;"><strong>***<span style="color: #999999;">*</span></strong></span></p><p><img id="media-3878736" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/02/356885724.jpg" alt="depardon,france,documentaire,70s,2000s" /><strong>1974, UNE PARTIE DE CAMPAGNE</strong> (ou <strong>50,81%</strong>)</p><p>de Raymond Depardon</p><p>(France / 90 min / 1974-2002)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlLa classe ouvrière va au paradistag:nightswimming.hautetfort.com,2012-12-06:49192422012-12-06T22:49:06+01:002012-12-06T22:49:06+01:00 Pré senté au 23e Festival International du Film d'Histoire de Pessac...
<p style="text-align: center;"><img id="media-3871552" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/01/2835657205.jpg" alt="laclasseouvriere.jpg" /></p><p style="text-align: right;"><span><span>Pré</span>senté au 23e <a href="http://www.cinema-histoire-pessac.com/">Festival International du Film d'Histoire de Pessac</a></span></p><p style="text-align: justify;">Prenons une séquence de ce célèbre film d'Elio Petri, celle de la baise dans la petite Fiat de l'ouvrier Massa, le héros, qui déflore là une jeune collègue de travail. L'inconfort des postures y est souligné par une caméra scotchée aux visages grimaçant et aux corps morcelés. Le déshabillage est difficile, les jambes et les bras se cognent, la montée est laborieuse. La longueur insistante de la séquence ainsi que la logorrhée masculine, les commentaires incessants que suscite chez le mâle le moindre geste, accentuent le grotesque de la situation mais surtout, épuisent le spectateur. Le découpage, qui ne s'embarrasse pas, bien au contraire, de mouvements aléatoires de caméra et de raccords insignifiants, achève de rendre tout cela informe.</p><p style="text-align: justify;"><strong><em>La classe ouvrière va au paradis</em></strong>, qui obtint en 1972 une demi-palme d'or à Cannes (l'autre moitié allant à <em>L'Affaire Mattei</em> de Francesco Rosi), est, sur toute sa longueur, à l'image de cette séquence. Criant le discours confus de son metteur en scène, Gian Maria trucule à Volonté (le mégaphone est un objet important dans le récit et l'univers de l'usine qui est arpenté pousse les voix à s'élever sans cesse). Eructant sur toute la surface de l'écran, il bouffe toutes les scènes passant à sa portée, le visage en sueur. S'appuyant une nouvelle fois sur cet ogre, Elio Petri veut réaliser un film comique, ironique, pamphlétaire, qui renvoie dos à dos toutes les parties : patrons, petits chefs, syndicalistes, étudiants gauchistes... Personne n'échappe au bruyant jeu de massacre. Tout le monde baigne dans la médiocrité et la laideur. Dans cette caricature, les changements de cap ne peuvent se faire qu'à la suite de revirements brutaux : c'est la perte d'un doigt lors d'un accident sur son outil de travail qui fait passer Massa du rôle de stakhanoviste lêche-cul à celui de leader de la contestation sociale.</p><p style="text-align: justify;">Si il y a un intérêt à voir aujourd'hui <em>La classe ouvrière va au paradis</em>, disons qu'il se trouve dans la façon dont l'œuvre nous fait sentir combien la société italienne des années soixante-dix était sous tension. L'abrutissement que provoque le travail à la chaîne y est également rendu avec force, par l'intermédiaire de la bande sonore saturée et de la partition d'Ennio Morricone, tantôt martiale, tantôt angoissante, tantôt westernisante. Sous ces coups de butoirs stylistiques, l'usine devient le lieu (carcéral, comme l'indiquent toutes ces grilles et les appels à la liberté des manifestants au-dehors) d'un combat intense et sans merci.</p><p style="text-align: justify;">Mais le film avance comme un bulldozer sans conducteur, cogne comme un marteau-piqueur sans manœuvre. Une agitation sans but, sinon sans objet, le caractérise. De même qu'une mise en scène assez étouffante. Sortant de la projection essoré, on se demande tout de même comment cette équipe avait pu pondre deux ans auparavant une <em>Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon</em> aussi passionnante en comparaison (et, dans notre souvenir, aussi maîtrisée).</p><p> </p><p><span style="font-size: xx-large;"><strong>*<span style="color: #999999;">***</span></strong></span></p><p><img id="media-3871578" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/15269719.jpg" alt="laclasseouvriere00.jpg" /><strong>LA CLASSE OUVRIÈRE VA AU PARADIS</strong> (<em>La classe operaia va in paradiso</em>)</p><p>d'Elio Petri</p><p>(Italie / 125 min / 1971)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlTaking offtag:nightswimming.hautetfort.com,2012-12-04:49170312012-12-04T22:36:07+01:002012-12-04T22:36:07+01:00 Pré senté au 23e Festival International du Film d'Histoire de Pessac...
<p style="text-align: center;"><img id="media-3868405" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/02/993939679.jpg" alt="forman,etats-unis,comédie,70s" /></p><p style="text-align: right;"><span><span>Pré</span>senté au 23e <a href="http://www.cinema-histoire-pessac.com/">Festival International du Film d'Histoire de Pessac</a><em></em><strong><em><span><br /></span></em></strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span><strong><em><span>Taking</span> off</em></strong> est un trait d'union. Premier film que <span>Forman</span> réalise aux <span>Etats</span>-Unis, il se trouve être dans sa forme en parfait équilibre entre les deux manières du cinéaste, la tchèque, d'apparence plus libre et plus quotidienne, et l'américaine, plus serrée sur le plan narratif et plus ambitieuse dans ses sujets (la globalité de la filmographie, une fois réunie, étant absolument passionnante).</span></p><p style="text-align: justify;"><span>Ici, le cadre est américain, ô combien : il s'agit de celui d'une ville, de ses jeunes hippies et de leurs bourgeois de parents. Mais le ton reste tchèque. L'histoire tient en quelques lignes. L'adolescente <span>Jeannie</span> <span>Tyne</span> participe à un concours de chant, y rencontre un jeune homme et part quelques jours avec lui. Pendant ce temps, sa mère et son père s'inquiètent, la recherchent dans les bars de la ville, adhèrent à une association de parents ayant de la même façon "perdus" leurs enfants rebelles, tentent de la comprendre en fumant des joints et en se laissant entraîner dans une sorte de <em>strip poker</em>.</span></p><p style="text-align: justify;"><span><span>Forman</span> débarquant de l'étranger, on pouvait craindre une approche superficielle et pleine de clichés de la jeunesse américaine de 1970. Son regard n'étant pas dénué d'ironie, on pouvait également redouter une vaste moquerie. Mais rien de tout cela ne transparaît dans <em>Taking off</em>. Si le cinéaste et son ami Jean-Claude Carrière souhaitaient au départ plonger dans l'univers hippie, ils en sont revenus rapidement, trouvant que le plus intéressant se trouvait du côté des parents. L'angle ainsi légèrement modifié a permis de trouver la bonne distance. <span>Forman</span> peut s'amuser de ce qu'il voit mais n'est jamais méprisant, qu'il se place d'un côté ou de l'autre de la barrière générationnelle.</span></p><p style="text-align: justify;"><span>Le concours de chant, monté en parallèle et s'entremêlant avec la recherche des adultes, prend toute la première partie, semble même durer tout le long du film tant la mise à scène de <span>Forman</span> opère de chevauchements, de dilatations, tant elle se développe sur un rythme musical (la musique serait l'une des seules liaisons encore possibles entre les deux générations, c'est en tout cas la musique qui fait tenir ensemble le plus fermement, d'un plan à l'autre, les deux univers filmés ici). Ce concours est l'occasion d'une galerie de portraits, muets ou chantés, plus ou moins brefs, ingrats et touchants. Les jeunes de <em>Taking off</em> sont peu loquaces et, comme le montre le dernier et indéchiffrable regard que lance <span>Jeannie</span> à son père (et à la caméra), gardent leur mystère. <span>Forman</span>, à l'inverse des parents du film, ne cherche pas l'explication sociologique et semble faire ainsi la présentation la plus juste possible.</span></p><p style="text-align: justify;">Un trait d'union, c'est aussi ce que cherchent à redessiner les parents désemparés. Brutalement d'abord, puis plus posément, dans une tentative de compréhension du phénomène par un mimétisme maladroit et entravé. Mais le fossé générationnel est trop large. Seule la mise en scène de Forman le comble, par ses enjambements, ses effets de miroir, son attention égale, ses méthodes partagées. Liberté est laissée aux acteurs et aux personnages, comme aux apprentis-chanteurs pris sur le vif par la caméra. Elle permet d'obtenir notamment des scènes d'ivresse parmi les meilleures jamais réalisées (fait plus notable encore que la (trop ?) fameuse séquence d'initiation au cann<span>abis). Balançant entre le désordre organique peu ragoûtant, l'abolition grisante des repères, le pathétique gestuel et le sublime burlesque, elles comptent parmi les nombreux exemples d'abandon du corps que propose le film. Abandon jusqu'au ridicule mais assumé et non avilissant, un ridicule "vrai" et vivant. Dans ce registre, Forman a poussé avec bonheur <span>Lynn</span> Carlin (l'un des beaux visages du <em>Faces</em> de Cassavetes) et surtout <span>Buck</span> Henry, en père génialement à côté de la plaque.</span></p><p style="text-align: justify;">Si le désenchantement pointe dans cette enquête irrésolue sur la jeunesse, l'humour persiste, se déploie même franchement, faisant de <em>Taking off</em>, non seulement un stimulant témoignage sur l'époque mais aussi une excellente comédie.</p><p> </p><p><span style="font-size: xx-large;"><strong>***<span style="color: #999999;">*</span></strong></span></p><p><img id="media-3868410" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/02/106854767.jpg" alt="forman,etats-unis,comédie,70s" /><strong>TAKING OFF</strong></p><p><span>de <span>Milos</span> <span>Forman</span></span></p><p>(Etats-Unis / 93 min / 1971)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlTout va bientag:nightswimming.hautetfort.com,2012-11-27:49104942012-11-27T22:17:00+01:002012-11-27T22:17:00+01:00 Présenté au 23e Festival International du Film d'Histoire de Pessac...
<p style="text-align: center;"><img id="media-3857232" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/01/1111039900.jpg" alt="godard,gorin,france,70s" /></p><p style="text-align: right;">Présenté au 23e <a href="http://www.cinema-histoire-pessac.com/">Festival International du Film d'Histoire de Pessac</a></p><p style="text-align: justify;">Godard, qui avait brutalement viré à l'extrême-gauche, co-réalise en 1972, à nouveau avec Jean-Pierre Gorin, <strong><em>Tout va bien</em></strong>, film qui, sans abandonner la radicalité politique et esthétique épousée aux alentours de 68, bénéficie de moyens plus confortables que les précédents et de la présence de deux stars à son générique.</p><p style="text-align: justify;">Une nouvelle fois, l'œuvre fait mine de se faire devant nous. Des chèques sont signés pour chaque corps de métier, deux vedettes sont engagées, une histoire est inventée... Cette mise en place est commentée par deux voix off, celle d'un homme et celle d'une femme, qui dialoguent moins qu'elles nous apostrophent. Tout de suite, on voit qu'on n'est pas là pour transiger.</p><p style="text-align: justify;">Cela se sait jusque dans les files d'attente devant l'entrée de la salle : "<em>Tu verras, ce n'est pas du tout du cinéma classique, mais au moins, on peut dire que Godard sait toujours capter son époque !</em>" Et l'époque, alors, n'est pas tendre. <em>Tout va bien</em> sera donc peu aimable.</p><p style="text-align: justify;">Dans une usine d'alimentation se retrouvent séquestrés par quelques employés en colère non seulement le patron mais aussi la journaliste venue rencontrer celui-ci et son mari l'accompagnant pour l'occasion, un cinéaste ne tournant plus que des publicités. La journaliste, c'est Jane Fonda. Le cinéaste, c'est Yves Montand. En tant qu'acteurs, Godard n'en fait quasiment rien, ne les ayant convoqués que pour leur apport naturel, leur "persona". Dans les séquences de confessions des personnages se mêlent ainsi indistinctement les éléments du scénario et le passé des acteurs, leurs convictions politiques, leurs façons d'envisager leur métier dans une optique "révolutionnaire" ou "combattante".</p><p style="text-align: justify;">Si la deuxième partie du film est plus intime, recentrée sur leurs rapports, il reste difficile de les trouver remarquables. Quoi qu'il en soit, autour d'eux, tous les autres sont unanimement mauvais. C'est que la partie "séquestration" prend la forme d'un petit théâtre brechtien. La lutte sociale, ponctuée de chants révoltés, est décrite dans des vues en coupe de l'usine où plusieurs pièces sont montrées en même temps à coup de lents travellings et de plans-séquences. Les mouvements des groupes réglés sommairement alternent avec les interventions fièvreuses des ouvriers parlant les yeux dans la caméra. L'intérêt est aussi limité que la vision est tranchée : les gauchistes sont là pour ridiculiser les patrons et les larbins de la CGT.</p><p style="text-align: justify;">Passée l'agitation, le débat se positionne provisoirement au sein du couple. De la crise interne ressort une chose : pour avancer, il est nécessaire que chaque être devienne "<em>l'historien de lui-même</em>", qu'il applique régulièrement son droit d'inventaire. L'aspiration de Godard à la clarté est réelle et louable mais elle passe par trop de confusion, à l'image d'un incompréhensible monologue de Jane Fonda. Sa recherche est peut-être, à ce moment-là, celle d'un gauchisme "pur". C'est en tout cas chez lui une constante : tenter de tirer des idées fortes d'un magma incontrôlable et illisible. Avec <em>Tout va bien</em>, il échoue complètement.</p><p style="text-align: justify;">La valeur esthétique elle-même est médiocre. La France était moche en 1972 et le film nous le rappelle sans peine. Le montage est beaucoup moins spectaculaire qu'en d'autres godardiennes occasions. Tout juste avons-nous droit à quelques reprises de plans et à une poignée de désynchronisations image-son. L'heure est surtout au plan-séquence, démonstratif, laborieux. Le dernier d'importance est proprement insupportable, morne va-et-vient le long des caisses d'un supermarché envahi par un groupe de militants révolutionnaires, une sorte de <a href="http://nightswimming.hautetfort.com/archive/2009/09/18/faut-pas-prendre-les-enfants-du-bon-dieu-pour-des-canards-sa.html"><em>Grand bazar</em></a> sans les Charlots.</p><p style="text-align: justify;">Si on ne doute pas de la sincérité de Godard et si on sait que son virage a aussi produit de beaux fruits, on comprend aisément que ce type de réalisation grotesque ait, à l'époque, suscité des ricanements dans des milieux plus anciennement ancrés à gauche.</p><p style="text-align: justify;"> </p><p><span style="font-size: xx-large; color: #999999;"><strong>****</strong></span></p><p><img id="media-3857241" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/02/2243512939.jpg" alt="godard,gorin,france,70s" /><strong>TOUT VA BIEN</strong></p><p>de Jean-Luc Godard et Jean-Pierre Gorin</p><p>(France - Italie / 95 min / 1972)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlLes trois mousquetaires & On l'appelait Miladytag:nightswimming.hautetfort.com,2012-10-29:48807722012-10-29T21:44:00+01:002012-10-29T21:44:00+01:00 Adaptant Dumas, l'américano-britannique Richard Lester en remontre aux...
<p style="text-align: center;"><img id="media-3814664" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/00/2262187258.jpg" alt="lester,etats-unis,grande-bretagne,aventures,70s" /></p><p style="text-align: center;"><img id="media-3814665" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/01/53868264.jpg" alt="lester,etats-unis,grande-bretagne,aventures,70s" /></p><p style="text-align: justify;">Adaptant Dumas, l'américano-britannique Richard Lester en remontre aux français dans le domaine de l'humour (c'était à prévoir) mais aussi de l'énergie, du rythme, de l'inventivité décorative, de la conduite de récit, de la direction de vedettes, de l'expression visuelle, bref, du cinéma. <strong><em>Les trois mousquetaires</em></strong> et sa suite, <strong><em>On l'appelait</em><em> Milady</em></strong>, ont été tournés dans la continuité, avec la même équipe, ce qui les rend indissociables (contrairement à un troisième volet réalisé bien plus tard, en 1989). Si le deuxième s'étire un peu et paraît légèrement plus bavard et décousu, ils procurent, réunis, un plaisir réel.</p><p style="text-align: justify;">Jouant à fond la carte de l'aventure échevelée, Lester s'amuse à condenser le temps, à accélérer les coups de mains et les sauvetages, à conter en une poignée de plans un voyage de six jours vers Londres, à faire débouler sans crier gare Aramis dans la pièce du château où la belle Constance est retenue prisonnière. Ces emballements étaient annoncés dès le début : D'Artagnan, à peine arrivé à Paris, trouvait le moyen, dans l'école des mousquetaires, de déclencher successivement trois demandes de duel contre lui pour le même jour.</p><p style="text-align: justify;">Toutefois, les films ne sont pas que courses effrenées, le cinéaste s'entendant aussi pour ménager des pauses et pour dessiner des bifurcations. Sa narration provoque de multiples surprises : un flash-back inattendu qui s'enclenche, des projets ou des tentatives qui tournent court, des actions montées en parallèle qui dynamisent... Si dans le premier épisode le foisonnement oblige à ne guère développer, une fois qu'elle a été dessinée à grands traits (essentiellement par la manière de se battre), la personnalité des trois mousquetaires amis de D'Artagnan, ce manque est en partie comblé dans le deuxième par l'éclairage porté sur une plaie mal cicatrisée chez Athos, le plus tourmenté, physiquement et mentalement.</p><p style="text-align: justify;">Richard Lester a réussi avec cette adaptation un étrange mélange de comédie et de réalisme, l'une se nourrissant de l'autre et inversement. Le souci du détail historique n'est jamais plus évident que lors des duels et ceux-ci sont à la fois crédibles et comiques. Comme dans la réalité, ils fourmillent d'actes manqués, de ratages, de glissades, de bottes secrètes se révélant plus dangereuses pour celui qui les exécute que pour son adversaire. Tout cela, Lester ne le gomme pas, il s'en sert au contraire pour faire rire aussi bien que pour imposer un réalisme énergisant. Pendant ces combats, les accessoires les plus triviaux sont mis à contribution (Porthos, ni très courageux, ni très bon escrimeur, est un spécialiste), les différences de corpulence ont leur importance (Athos se bat avec sauvagerie, toute sa masse et son souffle en avant, alors que l'élégant Aramis rivalise de dextérité et d'astuces), les épées font leur poids.</p><p style="text-align: justify;">Nullement présentés comme des modèles, les mousquetaires ne reculent pas devant les entourloupes, accumulent maîtresses, nuits alcoolisées et dettes de jeu. Ils sortent également, la plupart du temps, exténués ou blessés de leurs combats. Ils peuvent ainsi partir à quatre pour l'Angleterre et vite être réduits à l'inaction, à l'exception d'un D'Artagnan obligé de se débrouiller seul dans sa mission. L'image légendaire est gentiment écornée. A la fin de leur ultime combat, D'Artagnan et Rochefort finissent littéralement à quatre pattes. Auparavant, ils avaient eu toutes les peines du monde à s'affronter dans la nuit noire d'une forêt seulement éclairée par leur lanterne respective, puis en plein jour sur une rivière gelée rendant leur maintien debout impossible. Assurément singuliers, les duels de Lester ne cherchent pas l'originalité pour l'originalité. Ils provoquent un retour au réel qui démythifie les figures sans que nous leur retirions notre sympathie, l'humour et le plaisir du spectacle aidant. L'érotisme, aussi : Milady, entravée par sa longue chemise de nuit, a ces gestes magnifiques pour la relever sans cesse de la main gauche et tenir de la droite sa dague empoisonnée lui servant à tenir en respect D'Artagnan, son amant d'un soir.</p><p style="text-align: justify;">Cheminant entre les Monty Pythons pour certains traits d'humour liés à la représentation du peuple (comme l'aubergiste légèrement dérangé qui finit par réellement passer pour fou aux yeux de tous) et Peter Greenaway pour l'étrange monumentalité et l'éxubérance esthétique caractérisant la cour du roi (ce rapprochement étant, bien sûr, un anachronisme : en 73, Lester visait plutôt le cinéma baroque de Ken Russell, auquel il emprunte d'ailleurs Oliver Reed), ce diptyque se permettant de faire passer le soleil brûlant d'Espagne pour une ambiance française bénéficie d'une distribution hors pair qu'il est difficile de ne pas passer en revue. Michael York est un tempétueux (et souvent peu sensé) D'Artagnan, encadré par trois mousquetaires complémentaires, l'imposant Oliver Reed en Athos, le distingué Richard Chamberlain en Aramis et le filou Frank Finlay en Porthos. Constance, jeune femme en péril, se présente sous les formes avenantes de Raquel Welch, parfaite en miss catastrophe attirante et moins idiote qu'elle n'en a l'air. Geraldine Chaplin est une douce reine de France, Jean-Pierre Cassel un souverain ridicule, Charlton Heston un Richelieu fatigué mais vif d'esprit, Christopher Lee un Rochefort borgne, agile et séduisant (en habit rouge, tel un Dracula, il peut, sans s'en rendre compte, remplir de sang la baignoire de Milady). Quant à Faye Dunaway...</p><p style="text-align: justify;">Partant d'aventures masculines, <em>Les trois mousquetaires</em> se révèle un film très féminin. Au-delà de l'importance scénaristique des intrigues amoureuses et d'une affriolante bien que violente bagarre entre Milady et Constance, il faut remarquer par exemple que la plupart des combats de cet épisode se déroulent dans des endroits réservés aux femmes (salle des blanchisseuses, couvent) ou au plus près de ceux-ci (sous les balcons de Milady). Puis, comme l'indique bien, pour une fois, le titre français, le récit se met à tourner, dans le deuxième volet, autour de la vengeance de Milady. Lester fait là de Faye Dunaway l'incarnation du mal absolu à travers ce personnage de courtisane portant la marque infâmante des catins et se jouant en retour des hommes avec une ténacité incomparable. De magnifiques gros plans (et pas seulement sur son décolletté) lui sont octroyés. On en arrive à souhaiter qu'elle survive, au loin, la-bas, entre les mains du bourreau. Auparavant, même les figurants avaient peu de chances de trépasser, mais au final, trois morts assombrissent le paysage, fulgurantes et d'autant plus cruelles. Ultime mélange réussi, ultime plaisir.</p><p style="text-align: justify;"> </p><p><span style="font-size: xx-large;"><strong>***<span style="color: #999999;">*</span></strong>/<strong>***<span style="color: #999999;">*</span></strong></span></p><p><img id="media-3814666" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/343487447.jpg" alt="lester,etats-unis,grande-bretagne,aventures,70s" /><img id="media-3814668" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/02/389868873.jpg" alt="lester,etats-unis,grande-bretagne,aventures,70s" /><strong>LES TROIS MOUSQUETAIRES</strong> (<em>The three musketeers</em>)</p><p><strong>ON L'APPELAIT MILADY</strong> (<em>The four musketeers</em>)</p><p>de Richard Lester</p><p>(Grande-Bretagne - Etats-Unis - Espagne - Panama / 105 & 108 min / 1973 & 1974)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlTrois films de Richard C. Sarafiantag:nightswimming.hautetfort.com,2012-09-24:48370742012-09-24T22:16:00+02:002012-09-24T22:16:00+02:00 Point limite zéro Un homme chargé de livrer des voitures pour un...
<p style="text-align: center;"><img id="media-3760556" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/02/795623435.jpg" alt="sarafian,etats-unis,western,70s" /></p><p style="text-align: center;"><img id="media-3760558" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/02/4252511850.jpg" alt="sarafian,etats-unis,western,70s" /></p><p style="text-align: center;"><img id="media-3760559" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/01/1061538376.jpg" alt="sarafian,etats-unis,western,70s" /></p><p style="text-align: justify;"><strong>Point limite zéro</strong></p><p style="text-align: justify;">Un homme chargé de livrer des voitures pour un commanditaire décide un jour, sans autre raison apparente qu'un simple pari avec un ami, de rallier Denver à San Francisco en quinze heures, au volant d'une Dodge Challenger blanche. Filant à toute allure, il se retrouve avec les polices de plusieurs états aux trousses mais devient aussi, dans ce laps de temps, une sorte de héros pour la jeunesse rebelle américaine.</p><p style="text-align: justify;"><strong><em>Point limite zéro</em></strong> n'est que l'histoire de ces heures-là, borné qu'il est par un départ et une arrivée, relatant un trajet le long duquel se font quelques rencontres et passent plusieurs frissons. A première vue, il n'est axé que sur le partage du plaisir transgressif de la vitesse excessive, plaisir éprouvé par Kowalski, le personnage principal. Celui-ci paraît plutôt impénétrable mais assez rapidement, des retours en arrière commencent à éclairer son passé, d'une manière à la fois directe dans leur forme et étrange dans leur déboulé, et, parallèlement, les rencontres qu'il fait sont si décalées, si abruptes, qu'elles en deviennent plus métaphoriques que factuelles (il semble établir une communication télépathique avec un DJ noir et aveugle relatant ses exploits sur une radio de campagne).</p><p style="text-align: justify;">Hachant le récit de la course, les flash-backs déboulent sans être annoncés et paraissent vraiment appartenir à un autre temps. Ils donnent l'impression que Kowalski pourrait avoir eu d'autres vies que la sienne, qu'il a été un flic, un soldat, un coureur automobile, un cascadeur, un convoyeur... Il semble clair que dans <em>Point limite zéro</em> Sarafian effectue un état des lieux de l'Amérique, à travers les contradictions de son personnage, monolithique et affichant pourtant de multiples facettes, mais également à travers les représants de la contre-culture qu'il convoque à l'arrière plan, les autorités et les observateurs immobiles. Et ce constat n'est guère reluisant. Kowalski, d'ailleurs, ne se prend jamais lui-même pour un héros, passe au départ pour un simple excité prenant du speed, coupe le sifflet du DJ lorsqu'il en a assez, exprime finalement, par son geste, un profond désespoir.</p><p style="text-align: justify;">Le film de Sarafian, bien que fonçant tout droit vers son but, prend donc plusieurs dimensions. L'une des choses les plus surprenantes est qu'il joue sans cesse du contraste pour en faire son style même. Un plan pourrait le symboliser : une voiture sur la route, au fond du paysage, loin de nous, sans bruit, finit par nous passer sous le nez dans un boucan terrible. Le mixage, sur les plans ou entre eux, multiplie les sauts de valeurs sonores : on passe du silence au bruit, de l'agitation à la stagnation, du lointain au rapproché. Dans le même but, une musique calme peut accompagner une scène de violence et le DJ peut s'exciter dans son local vitré devant les badauds de la rue. Touchant au son comme à l'image, ce type d'organisation donne son dynamisme et son intérêt esthétique au film.</p><p style="text-align: justify;"><em>Point limite zéro</em> se vit rapidement apposer le cachet "culte". Il a été récemment l'une des plus évidentes sources d'inspiration de Nicolas Winding Refn pour son magnifique <a href="http://nightswimming.hautetfort.com/archive/2011/11/14/drive.html"><em>Drive</em></a>. Je souhaitais le revoir depuis plus de vingt ans, depuis que sa dernière séquence s'était imprimée sur ma rétine d'adolescent pour constituer l'un de mes premiers souvenirs cinématographiques (ou plutôt vidéographique dans ce cas précis). Il ne m'a pas déçu.</p><p style="text-align: justify;">Cette agréable révision m'a poussé à découvrir deux autres titres du cinéaste.</p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><strong>Le convoi sauvage</strong></p><p style="text-align: justify;"><strong><em>Le convoi sauvage</em></strong> a une réputation presque aussi flatteuse que <em>Point limite zéro</em>. C'est pourtant, à mon sens, un film inférieur et laissant apparaître plus crûment les travers dans lesquels la mise en scène de Sarafian peut tomber. D'ambition, ce western "moderne" n'en manque pas. C'est même cela qui l'écrase, le cinéaste n'ayant, par son style, pas tout à fait les capacités d'atteindre les hauteurs envisagées.</p><p style="text-align: justify;">Le film commence par nous cueillir à froid de manière impressionnante : Zachary Bass (Richard Harris), éclaireur d'un convoi de trappeurs est surpris par l'attaque féroce d'un grizzly qui le laisse déchiqueté, uniquement suspendu à un improbable souffle de vie. Abandonné par ses acolytes qui croient ses heures comptées dans cette contrée peuplée de loups et d'indiens, il va s'extraire de son trou déjà creusé, retrouver des forces et rattraper le convoi, bloqué plus loin.</p><p style="text-align: justify;">Zachary Bass commence donc par mourir pour mieux renaître. Renaître grâce à la nature, aux tapis de végétaux qui l'ont protégé, aux animaux qui l'ont nourri. Le titre original, <em>Man in the wilderness</em>, est bien plus parlant et adapté que le titre français car c'est effectivement l'histoire d'une survie en pleine nature qui est contée là. Dès lors, suivre les efforts de l'homme seul et blessé, c'est accepter la répétition, la lenteur, le silence, le surplace, au moins pour un temps. C'est en usant d'un réalisme poussé que Sarafian nous montre cette lutte. Or cette approche radicale, si elle permet de prendre ses distances avec un système narratif classique, n'est pas forcément synonyme d'allègement : le cinéaste a ici recours à un symbolisme appuyé. L'anecdote, véridique, est surtout pour lui l'occasion de traiter un grand sujet, le rapport de l'homme à la nature, auquel il ajoute deux autres, la volonté divine et l'emprise du père.</p><p style="text-align: justify;">Les dialogues se font alors rares et signifiants, la mise en scène à la fois grandiose et terre à terre, l'ambiance aux confins de l'onirisme. Des flash-backs s'insèrent là aussi. Dans <em>Point limite zéro</em>, ceux-ci en disaient finalement peu sur Kowalski car "arbitrairement" distribués, obscurs dans leurs transitions, peu liés au présent du personnage. Dans <em>Le convoi sauvage</em>, intégrés pour éloigner l'ennui, ils expliquent très clairement un passé et orientent notre regard.</p><p style="text-align: justify;">Une autre qualité repérable dans le kaléidoscope du précédent film se transforme ici en défaut : la recherche de l'effet visuel. Se multiplient les plans voilés, par les branchages ou les herbes, ainsi que les plans subjectifs épousant le regard du mourant. Le problème est que la place qui nous est accordée par ces procédés est changeante, que le manque de rigueur nous gêne comme lorsqu'une séquence de caméra subjective nous met soudain dans la peau d'un loup alléché par l'odeur du sang.</p><p style="text-align: justify;">Ces scories gâche malheureusement des scènes fortes : un mystérieux discours proféré par un chef indien, l'accouchement d'une femme en pleine forêt... Mais il en reste quelques unes et c'est bien dans l'action que le style de Sarafian passe le mieux. Sans musique, l'incroyable attaque du grizzly et le sauvage combat final marquent l'esprit. Des images impressionnantes et inattendues sont créées, tel celles qui montrent ce bateau trainé entre les arbres et en haut des collines bien avant le <em>Fitzcarraldo</em> d'Herzog.</p><p style="text-align: justify;">Mais la meilleure idée du film est sans doute d'avoir demandé à John Huston de jouer le "père", le responsable du convoi. Avec lui s'avancent les ombres de l'African Queen et de Moby Dick. La folle entreprise qui nous est racontée ici n'a rien à envier à celles dont le réalisateur du <em>Trésor de la Sierra Madre</em> était friand. C'est une épopée qui se termine dans une eau boueuse et impraticable, une épopée démesurée et vaine que l'on aurait aimé moins pesante sur les épaules de Sarafian.</p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><strong>Le fantôme de Cat Dancing</strong></p><p style="text-align: justify;">C'est en s'extirpant des remous mal maîtrisés du <em>Convoi sauvage</em> que l'on apprécie probablement le mieux la simplicité narrative et esthétique du <strong><em>Fantôme de Cat Dancing</em></strong>, au moins jusqu'à un certain point.</p><p style="text-align: justify;">L'histoire, celle d'un gang de braqueurs de train en fuite et "kidnappant" au passage une femme fuyant son mari, se suit avec intérêt malgré son évolution assez classique ménageant embûches, dangers, rejets/rapprochements des protagonistes, éliminations progressives des comparses. Sarafian s'est calmé au niveau de la mise en scène, s'occupant avant tout de ses personnages. Sarah Miles donne l'image d'une femme intéressante, surprenante, indépendante sans le savoir. A ses côtés, Burt Reynolds est très bon dans un registre sobre, protecteur et hanté.</p><p style="text-align: justify;">Hanté, oui, car bien sûr, Sarafian ne peut s'empêcher tout de même de charger la mule en recourant à ses inévitables flash-backs explicatifs. Reynolds avait une femme, a abandonné un fils, bref, a vécu un drame. Une fois l'amour scellé, une fois les gêneurs écartés, cet autre western est encore loin de son terme et peine quelque peu à rester stimulant. Le cinéaste ne possède certainement pas la sensibilité nécessaire, il est un homme de l'action et du mouvement qui, lorsqu'il se met à penser, pense un peu trop large. Au-delà de ces trois films, sa carrière semble être malheureusement peu remarquable.</p><p> </p><p><span style="font-size: xx-large;"><strong>***<span style="color: #999999;">*</span></strong>/<strong>**<span style="color: #999999;">**</span></strong>/<strong>**<span style="color: #999999;">**</span></strong></span></p><p><img id="media-3760560" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/00/1080915846.jpg" alt="sarafian,etats-unis,western,70s" /><img id="media-3760561" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/00/2525082411.jpg" alt="sarafian,etats-unis,western,70s" /><img id="media-3760562" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/2522091863.jpg" alt="sarafian,etats-unis,western,70s" /><strong>POINT LIMITE ZÉRO</strong> (<em>Vanishing point</em>)</p><p><strong>LE CONVOI SAUVAGE</strong> (<em>Man in the wilderness</em>)</p><p><strong>LE FANTÔME DE CAT DANCING</strong> (<em>The man who loved Cat Dancing</em>)</p><p>de Richard C. Sarafian</p><p>(Etats-Unis / 100 min, 104 min, 120 min / 1971, 1971, 1973)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlA l'abordage des... Valseusestag:nightswimming.hautetfort.com,2012-07-17:47833362012-07-17T13:28:00+02:002012-07-17T13:28:00+02:00 Chez l'ami Mariaque, ma troisième contribution, concernant un film qui fait...
<p style="text-align: justify;">Chez l'ami Mariaque, ma troisième contribution, concernant un film qui fait encore son petit effet, en ligne <a href="http://eightdayzaweek.blogspot.fr/2012/07/les-valseuses.html">ICI</a>.</p><p style="text-align: center;"><img id="media-3672230" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/00/1274171167.jpg" alt="lesvalseuses.jpg" /></p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlLa femme scorpion & Elle s'appelait Scorpiontag:nightswimming.hautetfort.com,2012-04-09:46725942012-04-09T23:23:00+02:002012-04-09T23:23:00+02:00 Même si on pioche avec parcimonie dans le monde du film de genre et de...
<p style="text-align: center;"><img id="media-3530411" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/00/2820132002.jpg" alt="Ito,Japon,70s" /></p><p style="text-align: center;"><img id="media-3530417" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/00/865463670.jpg" alt="Ito,Japon,70s" /></p><p style="text-align: justify;">Même si on pioche avec parcimonie dans le monde du film de genre et de série, on s'aperçoit assez vite que les productions japonaises des années 60 et 70 se distinguent plus souvent que d'autres par deux caractéristiques qui font notamment le prix de cette <strong><em>Femme scorpion</em></strong> proposée par la Toei en 1972 : l'esthétisme forcené de la mise en scène et ses implications politiques.</p><p style="text-align: justify;">Le réalisateur, Shunya Ito, profite de l'explosion des formes cinématographiques ayant eu lieu pendant la décennie précédente et prolonge leurs effets pour dynamiter la mise en forme de son récit. Longues minutes sans accompagnement musical ou partitions pop décalées, mouvements frénétiques ou très calculés de la caméra, procédés de distanciation ou d'identification, filtres de couleur, sauts d'un registre à l'autre (sadisme, grotesque, fantastique, horreur, érotisme), ralentis, éclairs de violence... L'homme derrière la caméra sachant gérer les changements de rythme, ces diverses possibilités s'expriment de la façon la plus aveuglante quand le récit le commande. Par exemple, après une longue exposition sous forme d'évasion manquée, un flash-back, que l'on attendait pas, prend une forme théatrâle, avec panneaux tournants et lumières de scène.</p><p style="text-align: justify;">On est assez étonné de voir à quel point la maitrise technique et la vigueur narrative caractérisent cette production. Grâce à cette mise en scène faisant feu de tout bois, on échappe (presque) à la monotonie d'une histoire qui n'est finalement qu'une série d'humiliations subies par une belle jeune femme, sa vengeance proprement dite ne tenant que dans les toutes dernières minutes. Bien sûr, le prix à payer est celui des invraisemblances et des ellipses incongrues, mais l'ambiguïté du décor carcéral, d'apparence tantôt réaliste (pour les scènes les plus humiliantes), tantôt onirique, fonctionne assez bien, comme le jeu "primaire" des couleurs, à travers notamment les uniformes des gardiens et des prisonnières, ces femmes souvent magnifiques et dénudées, soumises aux tourments et aux regards lubriques.<br /><br />Le film réveille les bas instincts du spectateur mâle, en montrant des donzelles dominées et outragées. Sauf que... Bien sûr, la femme scorpion est indestrucible. Mais plus profondément encore, Ito, après avoir montré ces violences, renverse la perspective en décrivant la révolte des prisonnières. Et dans ces agressions en retour s'inscrit moins une volonté de vengeance qu'un affrontement inévitable entre hommes au pouvoir et femmes trop longtemps écrasées. C'est ici que le film apparaît clairement politique (sans idéalisme pour autant : le groupe de femmes est aussi traversé de violentes tensions). L'autorité masculine et militaire du Japon est bien la cible. C'est une cérémonie officielle qui est perturbée dès les premières images et surtout, c'est l'emblème national qui est souillé régulièrement, sa nature profonde étant dévoilée dans un plan éloquent : un drap blanc se tache peu à peu en son centre à la suite d'un écoulement de sang.</p><p style="text-align: justify;">Réputé comme étant au moins du même niveau, <strong><em>Elle s'appelait Scorpion</em></strong>, deuxième numéro d'une série qui se poursuivra bien au-delà, déçoit. Le film démarre exactement de la même façon que le premier, par une humiliation dans un cachot et une cérémonie interrompue. Et il se termine en décalquant toujours le modèle : la vengeance ultime se réalise à l'ombre ou en haut des gratte-ciels, en punissant le Mâle à coups de couteaux.</p><p style="text-align: justify;">Entre les deux, Shunya Ito s'efforce pourtant de changer de cadre. Il quitte la prison et suit l'évasion d'un groupe de prisonnières. L'environnement est plus réaliste et la qualité esthétique s'en ressent, tout comme la réflexion politique. Les défauts sont plus criants : l'héroïne est plus un catalyseur qu'autre chose, intouchable et donc moins humaine ; la violence est délavée de ses couleurs pop, devenant plus dérangeante ; les trucs de mise en scène sont d'un usage qui semble moins souple, tendant vers la systématisation (en particulier les panoramiques circulaires ultra-rapides donnant le point de vue de la victime assaillie) ; l'érotisme, bien que plus rare, est mal justifié (deux lesbiennes se pelotent au fond d'une grange, pendant le conciliabule des évadées) ; les excès dans l'interprétation sont légion. Plus mouvementé, ce deuxième volet est paradoxalement plus ennuyeux.</p><p style="text-align: justify;"><br /><br /></p><p><span style="font-size: xx-large;"><strong>**<span style="color: #999999;">**</span></strong></span></p><p><span style="font-size: xx-large;"><strong>*<span style="color: #999999;">***</span></strong></span></p><p><strong><img id="media-3530454" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/02/3685103702.jpg" alt="Ito,Japon,70s" /><img id="media-3530462" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/1922806673.jpg" alt="Ito,Japon,70s" />LA FEMME SCORPION</strong> (<em>Joshuu 701-gô: Sasori</em>)</p><p><strong>ELLE S'APPELAIT SCORPION</strong> (<em>Joshuu sasori: Dai-41 zakkyo-bô</em>)</p><p>de Shunya Ito</p><p>(Japon / 87 min & 90 min / 1972)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlEdvard Munchtag:nightswimming.hautetfort.com,2012-03-27:46530422012-03-27T22:42:34+02:002012-03-27T22:42:34+02:00 Peter Watkins faisant un cinéma d'interpellation, souvent ardu, la...
<p style="text-align: center;"><img id="media-3506252" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/00/4008038625.jpg" alt="edvardmunch1.jpg" /></p><p style="text-align: justify;">Peter Watkins faisant un cinéma d'interpellation, souvent ardu, la possibilité de la rencontre nécessite une disponibilité et une attention sans faille de la part du spectateur. Ayant assisté fatigué à une projection des deux heures quarante cinq de la version cinéma d'<strong><em>Edvard Munch</em></strong>, je dois au film une revanche car je n'ai pu l'apprécier comme je l'aurai souhaité et comme, je le soupçonne, il le mérite. Voici tout de même ce que j’en retiens…</p><p style="text-align: justify;">Commençons par dire qu'avec ce si singulier <em>biopic</em> de Munch, Peter Watkins rend l'acte de peindre comme rarement cela a été (ou sera ultérieurement) fait au cinéma. Le contact entre la toile et le pinceau (mais aussi le couteau, puis entre le ciseau et le bois, entre l'instrument de gravure et la plaque...) est filmé au plus près pour que soit transmise la sensation de la matière travaillée, au point que la notion de couleur est ici moins importante que celle d'épaisseur. Munch est un peintre qui s'acharne à superposer et à effacer, qui ajoute des détails pour mieux les recouvrir, qui donne à voir des visages indéterminés.</p><p style="text-align: justify;">La mise en scène recherche une sorte d’équivalence à cet art. Les décors sont repoussés hors du cadre par la focalisation sur les visages et, dans les nombreuses scènes à deux personnages, les zooms permettent de faire le point sur l’un tout en laissant l’autre dans le vague. En ces occasions, les visages sont donc rendus aussi flous que dans les tableaux. Les couleurs dans l’image subissent elles aussi une désaturation comparable à celle qui est à l’œuvre chez le peintre. Elle touche jusqu’au rouge du soleil couchant, aux couleurs primaires des robes des danseuses du <em>music hall</em>.</p><p style="text-align: justify;">Munch est un artiste qui, pour chaque tableau, progresse à travers l’établissement de couches successives, techniquement mais également "psychologiquement", puisqu’il y fait remonter ses blessures familiales (une enfance dramatique où l’ombre de la mort aura été omniprésente) et amoureuses. Et Watkins va faire de même pour structurer son film. Le son, tout d’abord, est traité de manière particulière. Plusieurs pistes se succèdent ou se mêlent : le son de ce qui se déroule à l’écran, les données biographiques classiques d’un récitant, la lecture d’extraits d’un journal écrit par Munch lui-même… Déjà complexe de par ses sources multiples et ses différences de niveaux, cette bande son ne raccorde pas toujours avec l’image et des chevauchements se créent, parfois même des oppositions ou des dissociations. Le montage s’y met aussi. Des flashs-backs, presque subliminaux à certains endroits, comme autant de réminiscences, viennent constamment s’insérer et bouleverser la linéarité du récit. Le plus souvent, une friction se fait ainsi entre des images de la passion amoureuse et celles de l’enfance douloureuse. On ne compte plus les plans de la sœur de Munch mourante qui se voient accolés à ceux évoquant la relation du peintre avec sa maîtresse, prolongeant l’angoisse jusqu’à ces séquences pourtant lumineuses. Il n’est pas excessif de qualifier <em>Edvard Munch</em> de film morbide.</p><p style="text-align: justify;">Les traumatismes et les inquiétudes fondamentales font sans cesse retour. Cela s’accorde avec le travail de Munch qui aime revenir plusieurs fois sur les mêmes motifs et donner vie à des séries. Watkins s’y emploie aussi et cela confère à son film une certaine monotonie. Le récit est stoppé sans signaler de véritable point d’orgue, alors qu’il reste une quinzaine d’années d’activité à traiter. Toute la dernière partie est recouverte de la voix-off du récitant-pédagogue, à peu d’exceptions près, et le cinéaste, y abordant la réception de l’œuvre de Munch par le public et les institutions, insiste énormément sur les rejets qu’elle suscita. Nul doute, alors, que Watkins s’identifie pleinement au peintre.</p><p style="text-align: justify;">Reste encore une chose, à propos d’<em>Edvard Munch</em>, assez mystérieuse : le recours systématique, à l’intérieur des plans de la fiction, au regard caméra. Pas un seul plan sur l’acteur principal qui n’en contienne. Watkins a certes passé sa vie de cinéaste à brouiller les repères servant à distinguer documentaire et fiction mais ici, que veulent dire ces regards ? Ils nous provoquent ? Ils dénoncent l’imposture de la reconstitution ? Ils nous rappellent notre position ? Dans ces moments-là, c’est comme si Edvard Munch, pourtant sujet du film, s’extirpait de la représentation. C’est très étrange.</p><p style="text-align: justify;"> </p><p><span style="font-size: xx-large;"><strong>**<span style="color: #999999;">**</span></strong></span></p><p><img id="media-3506253" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/00/2831982730.jpg" alt="edvardmunch.jpg" /><strong>EDVARD MUNCH</strong></p><p>de Peter Watkins</p><p>(Norvège - Suède / 165 min / 1974)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlSolotag:nightswimming.hautetfort.com,2012-03-09:46254072012-03-09T23:17:00+01:002012-03-09T23:17:00+01:00 Bien que je savais la réputation de ce film-là bonne, la découverte...
<p style="text-align: center;"><img id="media-3480146" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/02/4133308535.jpg" alt="mocky,france,polar,70s" /></p><p style="text-align: justify;">Bien que je savais la réputation de ce film-là bonne, la découverte de <strong><em>Solo</em></strong> a été pour moi, assez peu familier du cinéma de Jean-Pierre Mocky, une excellente surprise. Laisser-aller technique, facilité des caricatures, raccourcis narratifs... tout ce qui est habituellement retenu, à tort ou à raison, pour poser les limites du travail du bonhomme s'effacent ici ou bien sont retournées à son avantage.</p><p style="text-align: justify;"><em>Solo</em>, tourné en très peu de temps, est un film qui va vite, toujours en mouvement. Devant une caméra extrêmement mobile, soumise à un découpage nerveux, l'histoire racontée est celle d'une course poursuite entre la police et un groupe d'anarchistes ayant décidé de passer à l'action terroriste. A cette poursuite s'ajoute une autre : Vincent, violoniste et arnaqueur de bourgeois(es), court après le chef de la bande, qui n'est autre que son jeune frère, Virgile, dans le but de limiter les dégats et le protéger. Le sentiment d'urgence est donc redoublé. Régulièrement, le montage se fait parallèle et montre deux actions en cours simultanément, entrelaçant ainsi les trajectoires et préparant une fin douloureusement ironique, au cours de laquelle les retrouvailles ne pourront se faire malgré la proximité. D'une séquence à l'autre ou d'un plan à l'autre, nous sautons souvent par ellipses et ces accélérations libèrent presque un parfum d'irréalité. Les personnages, qui ne cessent d'utiliser des moyens de locomotion (voiture, bateau, train, camion...), sont élevés par moments au rang de figures, comme lors des affrontements entre les deux frères séparés et les deux policiers en charge de l'enquête, en retard mais finalement toujours là où les choses se passent. L'ambiance nocturne (l'histoire se déroule en une seule nuit) accentue l'étrangeté.</p><p style="text-align: justify;">Le film est double à bien des égards. Il est par exemple à la fois décalé et en plein dans son époque. Il évoque, à travers ses seconds rôles notamment, le cinéma français des années trente et aborde pourtant un sujet alors brûlant d'actualité (68 et après ?). Un leitmotiv musical de Moustaki l'enveloppe de manière nostalgique, pesante (au bon sens du terme), laissant peu d'espoir. <em>Solo</em> est une course à perdre haleine dans laquelle ce sont les cadavres qui égrènent le compte à rebours. Les protagonistes vont à leur perte en toute conscience mais ne peuvent s'empêcher de rester en mouvement, pour se sentir vivre. Un duel entre deux hommes du même groupe provoque un double effondrement, de part et d'autre d'un revolver tombé au sol. La mise en scène de Mocky est inspirée, expressive mais aussi, parfois et de manière assez inattendue, subtile (pour ce qui est des touches humoristiques, entre autres).</p><p style="text-align: justify;">Comme la musique calme le jeu, apporte une épaisseur, une ombre et une émotion, les personnages ont le temps de discourir. Et ces discours, le cinéaste les désamorce parfois mais les écoute toujours. Si des aberrations et des sottises sont proférées par ces gens, ceux-ci sont sauvés par leurs convictions et leur énergie. On sait pertinemment à qui va sa sympathie mais il ne tape pas aveuglément : dans <em>Solo</em>, Mocky ne se moque pas. Cette attitude se vérifie jusque dans la description du travail des flics, jamais montrés comme étant des imbéciles. Quant aux bourgeois, ils ne font de toute façon que (tré)passer. S'il fait sourire parfois, Mocky ne rabaisse pas.</p><p style="text-align: justify;">A l'écran, il joue lui-même Vincent, séduisant, de noir vêtu, s'exprimant d'une voix faussement neutre qui va à merveille avec le personnage, solo... ce qui ne veut pas dire sans morale, ni sans fidélité, ni sans cœur.</p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: left;"><span style="font-size: xx-large;"><strong>***<span style="color: #999999;">*</span></strong></span></p><p style="text-align: left;"><img id="media-3471319" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/01/2803056989.jpg" alt="mocky,france,polar,70s" /><strong>SOLO</strong></p><p style="text-align: left;">de Jean-Pierre Mocky</p><p style="text-align: left;"> (France - Belgique / 83 min / 1970)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlFoxy Browntag:nightswimming.hautetfort.com,2012-01-09:43377702012-01-09T12:49:03+01:002012-01-09T12:49:03+01:00 **** Sorte de mauvais épisode de Starsky et Hutch , en plus...
<p style="text-align: center;"><img id="media-3376791" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/00/2640724476.jpg" alt="foxybrown.jpg" /></p><p><span style="color: #999999; font-size: xx-large;"><strong>****</strong></span></p><p style="text-align: justify;">Sorte de mauvais épisode de <em>Starsky et Hutch</em>, en plus graveleux, plus violent et plus Noir, le navet de série <strong><em>Foxy Brown</em></strong> n'a qu'un attrait, la poitrine de Pam Grier, et un mérite, celui d'avoir influencé Quentin Tarantino pour l'un de ses meilleurs films.</p><p> </p><p><img id="media-3376789" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/02/1821868640.jpg" alt="foxybrown00.jpg" /><strong>FOXY BROWN</strong></p><p>de Jack Hill</p><p>(Etats-Unis / 94 min / 1974)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlThe Shooting, L'ouragan de la vengeance & Cockfightertag:nightswimming.hautetfort.com,2012-01-06:40946752012-01-06T23:03:00+01:002012-01-06T23:03:00+01:00 *** * / *** * / * *** Réalisés l'un dans la foulée de...
<p style="text-align: center;"><img id="media-3373001" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/02/1002584406.jpg" alt="hellman,etats-unis,western,60s,70s" /></p><p style="text-align: center;"><img id="media-3373003" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/02/355138812.jpg" alt="hellman,etats-unis,western,60s,70s" /></p><p style="text-align: center;"><img id="media-3373005" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/02/553094942.jpg" alt="hellman,etats-unis,western,60s,70s" /></p><p><span style="font-size: xx-large;"><strong>***<span style="color: #999999;">*</span></strong>/<strong>***<span style="color: #999999;">*</span></strong>/<strong>*<span style="color: #999999;">***</span></strong></span></p><p style="text-align: justify;">Réalisés l'un dans la foulée de l'autre et la plupart du temps distribués ensemble (en France au cinéma en 1968 comme en DVD plus tard), <em>The shooting</em> et <em>L'ouragan de la vengeance</em> sont deux films difficilement dissociables, à l'origine des premières manifestations du culte voué à leur maître d'œuvre Monte Hellman.</p><p style="text-align: justify;">Un campement de mineurs, une ville réduite à trois bâtiments, des étendues rocailleuses, quatre personnages et deux ou trois silhouettes... L'économie de <strong><em>The shooting</em></strong> est celle de la série B (Roger Corman ne se tient pas loin, au sens propre, Hellman étant, au début de sa carrière, l'un de ses protégés) mais la visée est haute. L'approche privilégiée est celle du réalisme, les temps morts n'étant nullement éliminés. Il se crée un rythme étonnant à la suite de ces plans qui retardent les entrées dans le champ et les gestes déterminants ou bien, au contraire, qui démarrent directement sur un coup de feu ou un changement d'échelle brutal.</p><p style="text-align: justify;">Les situations se mettent en place de manière énigmatique et les personnages le sont tout autant (un homme qui ne parle pas, un indien dont on ne comprend pas la langue...). Les motivations se devinent, elles ne sont jamais explicitées alors que des questions reviennent sans cesse : Qu'est-ce que c'est ? Qui est-ce ? Quel est son nom ? La ligne narrative suivie est celle d'une quête mais un quête devenant absurde à force de dépouillement et d'obstination. Les chevaux trépassent, les paquets sont abandonnés, les hommes aussi. L'avancée se fait vers un point fuyant mais la force du pressentiment se signale. Quelque chose d'indéfinissable mais de bien présent.</p><p style="text-align: justify;">Au campement déserté, l'apparition de la femme, qui ne sera jamais nommée, entraîne déjà dans une dimension fantastique. Si l'on craint la lourdeur théorique et l'intellectualisation excessive du western, le poids du réel nous ramène toujours sur terre, grâce à l'attention portée aux corps, à la fatigue, à la sueur... L'errance existentielle tire là sa force et ce va-et-vient entre l'abstrait et le concret signe la modernité du film (qui annonce par bien des aspects le tour de force accompli récemment par Kelly Reichardt avec <a href="http://nightswimming.hautetfort.com/archive/2011/06/24/la-derniere-piste.html"><em>La dernière piste</em></a>). Les interprètes intègrent remarquablement ces données à leur jeu, d'un Jack Nicholson déjà diabolique à un Warren Oates impeccablement dépassé par les événements, en passant par une Millie Perkins à la fois fragile, déterminée et inatteignable.</p><p style="text-align: justify;">Oates endosse le rôle d'un ancien chasseur de primes luttant contre les armes, évitant les tueries et préférant écraser à coups de pierre la main dangereuse d'un tueur à gages plutôt que d'abattre celui-ci. Pareillement, Hellman lutte avec le western mais sait que ce combat est vain. Il sait comment ça finit et nous aussi, malgré toutes les ellipses du monde...</p><p style="text-align: justify;">Passer par les acteurs et leurs personnages offrent une clé pour comparer les mérites de <em>The shooting</em> et ceux de <strong><em>L'ouragan de la vengeance</em></strong>. Dans le premier, Millie Perkins est une femme mystérieuse, irradiante, sans passé et peut-être sans avenir. Dans le second, elle est fille de fermier, dévouée et travailleuse, effacée et silencieuse. Dans le premier, Jack Nicholson est un manipulateur sardonique affichant ce sourire qu'il reprendra maintes et maintes fois dans la suite de sa carrière. Dans le second, c'est un cowboy honnête, pourchassé à tort, ne souriant jamais : c'est le Nicholson plus rare, ménageant ses effets, que l'on retrouvera par exemple chez Bob Rafelson (<em>Cinq pièces faciles</em>, 1970).</p><p style="text-align: justify;">Cette fois, si le tragique est toujours est présent, la subversion du genre se fait uniquement par une accentuation du réalisme. Très prosaïque, Hellman insiste sur les détails et les accidents du réel (le chapeau qui est soufflé par le vent, le cheval que l'on a du mal à enfourcher) et limite les fulgurances dramatiques et stylistiques. Bien que l'histoire contée dans <em>L'ouragan de la vengeance</em> se passe sur plusieurs heures, l'impression donnée est celle du temps réel des actions.</p><p style="text-align: justify;">Au moins autant que dans <em>The shooting</em>, nous avons là, à travers l'histoire de trois cowboys pris pour des bandits, une réflexion sur le refus de la violence et l'opposition à son emploi. Elle soutient la forme comme le fond. D'une part, Hellman ne s'appesantit jamais sur les tirs de revolvers, ne s'appuit jamais sur la jouissance de cette violence. D'autre part, il met à nu un mécanisme implacable en lançant ses protagonistes dans une course pour la survie quasiment sans espoir. L'œuvre, très pessimiste, permet de toucher du doigt comme rarement cet engrenage mortel.</p><p style="text-align: justify;">Ce n'est qu'en 1971 que sort le film suivant de Monte Hellman, le <em>Macadam à deux voies</em> (<em>Two-lane blacktop</em>) qui va définitivement faire connaître le nom du cinéaste. Pour l'évoquer brièvement, rappelons que, très représentatif de ces années-là par les figures qu'il convoque (jeunesse, liberté de mœurs, groupes sociologiques bien définis, musique pop-rock, traversée des grands espaces), il n'en est pas moins radical et se révèle assez impressionnant. C'est une œuvre dénuée de tout romantisme dans sa description de l'amour porté par les deux personnages principaux aux voitures rapides. Ceux-ci, peu bavards, ne parlent que de mécanique, même en compagnie de la jeune femme qu'il récupèrent au bord de la route. Pour nous, ils en deviennent presque malades mentalement, au moins obsédés. Et cette obsession aboutit à la mort, ce que suggère une fin d'une grande beauté qui, bien évidemment, ne clôt absolument rien dramatiquement parlant. A la rigueur, on peut dire que la tension dramatique n'est apportée que par le rival (Warren Oates et sa gouaille). Et encore... Le défi qui est lancé est rapidement abandonné. Encore une fois, cette position annonce celle de bien des cinéastes d'aujourd'hui, Gus Van Sant en tête.</p><p style="text-align: justify;">A ces trois tentatives singulières qui rebattaient les cartes de belle manière a succédé <strong><em>Cockfighter</em></strong> qui me semble, en revanche, assez largement dépourvu d'intérêt. Coursodon et Tavernier dans <em>50 ans de cinéma américain</em> en parlaient comme d'un film semblant "<em>être construit à partir de certaines exégèses de</em> Two-lane blacktop". On peut le voir en effet comme cela.</p><p style="text-align: justify;">Roger Corman à la production, Warren Oates à la tête de la distribution, Harry Dean Stanton à ses côtés et même Millie Perkins, dans un petit rôle : une bonne partie de la "famille" Hellman est réunie. A propos de l'actrice, on peut, à nouveau, s'intéresser au sort qui lui est réservé. Cette fois-ci, elle apparaît en ménagère mal fagotée, des bigoudis dans les cheveux, et son personnage est expédié peu de temps après, sans ménagement. Voilà le chemin parcouru.</p><p style="text-align: justify;">Encore une fois, la plupart des marqueurs du cinéma des années 70 sont présents de la sous-dramatisation de l'intrigue au symbolisme désinvolte, des figures de l'errance à celles de la marginalité... Cependant, même pour qui n'est pas amateur de la chose automobile, la passion pour les bolides a quelque chose de beaucoup plus cinématographique que celle pour les combats de coqs, activité principale du héros de <em>Cockfighter</em>. Et comme la mise en scène de Hellman se fait plutôt terne, à quelques flashs près, l'attachement aux personnages, au récit, au film ne se fait pas. L'inévitable truculence de certains épisodes de cette aventure dans l'Amérique profonde lasse et la misogynie caractérise le regard porté sur les femmes (soit proprement ridiculisées, soit incapables de comprendre l'attitude rebelle du héros).</p><p style="text-align: justify;">Surtout, le choix de faire du personnage de Warren Oates quelqu'un de muet saborde le film. Ce n'est pas qu'il ne peut pas parler, c'est qu'il ne veut pas, du moins jusqu'à ce qu'il gagne enfin un certain concours. Découle de cette donnée scénaristique un festival de mimiques par Oates qui se révèle pour nous absolument épuisant puisque les gens qui l'entourent ne cessent de communiquer avec lui. Notons que Hellman, de toute façon, ne va pas jusqu'au bout de son idée car il plaque sur beaucoup d'images la voix off de l'acteur, voix qui se fait porteuse d'un discours purement "professionnel" dans une posture créant une proximité/distance avec le spectateur déjà observée plus d'une fois dans d'autres films.</p><p style="text-align: justify;">Parvenu au bout de l'impasse, je n'ai amassé que deux ou trois séquences à sauver, un monologue déshabillé au bord d'un lac, un combat de coqs dans une chambre d'hôtel filmé au ralenti... Finalement, à la même époque et dans le même registre de l'<em>Americana</em> déglinguée, un "classique" comme John Huston aura réalisé de bien meilleurs films (<em>Fat City</em>, <a href="http://nightswimming.hautetfort.com/archive/2008/10/21/le-malin-au-dessous-du-volcan.html"><em>Le Malin</em></a>) que ce <em>Cockfighter</em>, échec d'un cinéaste culte qui, semble-t-il, ne retrouvera jamais vraiment l'inspiration qui irriguait les trois opus ayant fait sa réputation(*).</p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;">(*) : A moins que le récent <em>Road to nowhere</em>... (n'est-ce pas <a href="http://drorlof.over-blog.com/article-le-jeu-avec-le-faux-67196554.html">Doc</a> ?)</p><p style="text-align: justify;"> </p><p><img id="media-3352853" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/00/2680584471.jpg" alt="Hellman,Etats-Unis,Western,60s,70s" /><img id="media-3352856" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/01/818308082.jpg" alt="Hellman,Etats-Unis,Western,60s,70s" /><img id="media-3352857" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/02/2080588072.jpg" alt="Hellman,Etats-Unis,Western,60s,70s" /><strong>THE SHOOTING</strong> (ou <strong>LA MORT TRAGIQUE DE LELAND DRUM</strong>)</p><p><strong>L'OURAGAN DE LA VENGEANCE</strong> (<em>Ride in the whirlwind</em>)</p><p><strong>COCKFIGHTER</strong></p><p>de Monte Hellman</p><p>(Etats-Unis / 82 min, 82 min, 83 min / 1966, 1965, 1974)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.html(Encore) Quatre films de Gérard Couranttag:nightswimming.hautetfort.com,2011-12-15:39151862011-12-15T22:02:00+01:002011-12-15T22:02:00+01:00 * *** / * *** / ** ** / *** * Troisième...
<p style="text-align: center;"><img id="media-3343159" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/604903113.jpg" alt="courant,france,documentaire,70s,80s,2000s,2010s" /></p><p style="text-align: center;"><img id="media-3343160" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/01/456504160.jpg" alt="courant,france,documentaire,70s,80s,2000s,2010s" /></p><p style="text-align: center;"><img id="media-3343163" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/00/900215333.jpg" alt="courant,france,documentaire,70s,80s,2000s,2010s" /></p><p style="text-align: center;"><img id="media-3343164" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/01/842060737.jpg" alt="courant,france,documentaire,70s,80s,2000s,2010s" /></p><p><span style="font-size: xx-large;"><strong>*<span style="color: #999999;">***</span></strong>/<strong>*<span style="color: #999999;">***</span></strong>/<strong>**<span style="color: #999999;">**</span></strong>/<strong>***<span style="color: #999999;">*</span></strong></span></p><p style="text-align: justify;"><span><span style="color: #000000;">Troisième voyage dans la filmographie de Gérard Courant (le premier</span> <a href="http://nightswimming.hautetfort.com/archive/2011/02/25/quatre-films-de-gerard-courant.html">ici</a></span><span style="color: #000000;">, le deuxième <a href="http://nightswimming.hautetfort.com/archive/2011/05/25/quatre-autres-films-de-gerard-courant.html">là</a></span><span style="color: #000000;">), toujours grâce à son aimable concours.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Les deux films les plus anciens de ce lot procurent un sentiment comparable, celui d'assister à une expérience limite bouleversant notre rapport au récit cinématographique et posant une quantité de questions sur la nature même de cet art, l'aspect "ouvert à tous vents" (à toutes les interprétations) caractérisant ces propositions pouvant parfois décourager.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">A travers </span><em><span style="color: #000000;"><strong>Je meurs de soif, j'étouffe, je ne puis crier</strong></span></em><span style="color: #000000;">, Gérard Courant semble se (nous) poser la question suivante : A partir de quand une image animée devient du cinéma ? Pour tenter d'y répondre, il part à peu près du même point que pour ses <a href="http://www.gerardcourant.com/index.php?t=cinematon"><em>Cinématons</em></a>. </span><span style="color: #000000;">Il convoque cinq modèles (Marie-Noëlle Kaufmann, Gina Lola Benzima, Tessa Volkine, F.J. Ossang et Philippe Garrel) et les laisse improviser ou simplement prendre la pose dans divers endroits, seuls ou en groupe.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">L'unité rythmique de la série de séquences obtenues ne semble trouvée qu'à l'aide de la bande son, exclusivement de nature musicale. C'est elle qui donne le mieux le sentiment de la possibilité d'un récit et d'un sens. La musique, entendue sur de très longues plages, est de trois sortes : classique, électronique et punk. Le film démontre toute l'importance qu'elle peut avoir dès qu'elle est plaquée sur des images, toutes les variations qu'elle peut apporter. Plus elle est contemporaine, plus elle tire vers le réel, le document (comme ici lors d'un concert du groupe de F.J. Ossang). A cette actualité et ce côté brut s'oppose le lyrisme de l'opéra. Une distance se crée et ce recul permet l'installation d'un récit d'une part et de l'intemporalité d'autre part. Accompagnant une prise de vue, un portrait en mouvement, la musique apporte un surcroît d’émotion. Ici, elle magnifie en premier lieu les plans consacrés à Marie-Noëlle Kaufmann, figure des plus cinégéniques. Ne rien faire d’autre qu'être là, bouger à peine, mais avec l’assurance de capter le regard…</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Comme beaucoup de travaux de Gérard Courant, celui-ci nous renvoie à l’histoire ancienne du cinéma, au muet accompagné de musique, et au temps des mythes Garbo, Dietrich ou Monroe, dont les visages apparaissent plusieurs fois sur l’écran. Toutefois, les liens existant entre les images assemblées restent obscurs et, à mon goût personnel, trop lâches.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Le questionnement se prolonge devant </span><span style="color: #000000;"><em><strong>She’s a very nice lady</strong></em></span><span style="color: #000000;">, autre défi narratif. Avant une plus grande ouverture dans son dernier mouvement, ce film "<em>improvisé par Gérard Courant</em>", selon son générique, repose essentiellement sur trois sources d’images : des plans nocturnes de circulation automobile, des portraits filmés de deux femmes (et d’un enfant), toujours dans le style </span><span style="color: #000000;"><em>Cinématon</em></span><span style="color: #000000;">, et des images de Gene Tierney dans le très beau </span><span style="color: #000000;"><em>Péché mortel</em></span><span style="color: #000000;"> de John Stahl (1945), diffusées sur un écran de télévision, enregistrées et retravaillées par des ralentis, des recadrages ou des teintures. Le montage fait alterner ces différentes vues, au rythme de la musique dont le rôle est de déterminer en fait la durée des séquences qui, sans elle, ne pourraient être distinguées les unes des autres. Le spectre musical va de Brian Eno à Richard Wagner. Les morceaux utilisés sont répétitifs et, parfois, répétés. Les images peuvent l’être aussi et comme la captation de celles de Gene Tierney génère un effet stroboscopique, l’hypnose n’est pas loin.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">L’idée de récit, elle, s’éloigne encore, malgré la proposition faite par le cinéaste sur la jaquette de son DVD. Courant y raconte une histoire précise, mais qui pourrait tout aussi bien ne pas être prise en considération et être remplacée dans la tête du spectateur du film par une autre. Si celui-ci tient à le faire… Pour ma part, j’ai abandonné rapidement la recherche d’un fil conducteur. Il me restait alors à observer ces instantanés, ces altérations d’images, ces jeux de lumières sur ces visages, et à m’interroger sur le cinéma... Y a-t-il une équivalence entre la star de la fiction et le simple modèle ? Ce qui émane de leur présence à l’écran est-il du même ordre ? Leurs images, mises côte-à-côte, dialoguent-elles ensemble ? Se produit-il un écho à partir du cinéma classique hollywoodien ? Qu’est-ce qui se crée dès qu’une caméra tourne ?</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Et encore : Comment garder un moment de cinéma et le faire sien ? Derrière cette question-là se niche sans doute ce qui fait de </span><span style="color: #000000;"><em>She’s a very nice lady</em></span><span style="color: #000000;"> un film très personnel : la recherche d’une conservation. Celle des plans d’un film (d’une actrice) aimé(e) ou celle des traces de la présence des proches. Le sentiment nostalgique qui découle de cet essai cinématographique vient de là.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Devant ces deux films, trouver sa place n’est pas évident. On peut hésiter longtemps entre l’abandon à la pure sensation et la réflexion permanente. L’équilibre est difficile à tenir sur 90 minutes, l’esprit a tendance à divaguer et à fatiguer, et je pense qu’il vaut mieux faire son choix clairement, dès le départ, pour profiter pleinement de l’expérience, ce que je n’ai pas su (ou pu) faire. Cette veine expérimentale de l’œuvre de Gérard Courant n’est apparemment pas celle à laquelle je suis le plus sensible.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Avec </span><span style="color: #000000;"><em><strong>Carnet de Nice</strong></em></span><span style="color: #000000;">, nous nous trouvons dans un registre voisin, toujours assez expérimental mais plus direct, moins réflexif. Nous sommes dans la série des <em>Carnets filmés</em>, là où Gérard Courant donne naissance à l’équivalent d’un journal intime rendant compte de ses voyages. Ici, le prétexte est un séjour niçois durant le temps d’un weekend de novembre 2010.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Débutant avec l’arrivée en train du cinéaste, le film nous montre la promenade des Anglais de manière tout à fait originale : les images enregistrées au rythme du marcheur défilent à l’écran en accéléré. Cette compression produit un drôle d’effet visuel et sonore. Bien qu’encore très longue, la séquence acquiert ainsi une durée supportable, mais c’est surtout la puissance sonore que l’on retient. Le son direct compressé donne un brouhaha assourdissant dès que le moindre <em>roller</em> double le cinéaste-arpenteur. De plus, nous sommes pris en tenaille par les bruits de la circulation sur la voie principale et celui de la mer, régulier et monotone. L’idée est toute simple mais traduit parfaitement la sensation que procure ce genre de ville côtière.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Après la balade, Gérard Courant filme des bribes des <a href="http://regardindependant.hautetfort.com/"><em>Rencontres Cinéma et Vidéo de Nice</em></a>, festival dont il est l’invité, ainsi que l’envers du décor de quelques </span><span style="color: #000000;"><em>Cinématons</em></span><span style="color: #000000;"> tournés à l’occasion. Sa mise en scène de la présentation en public de ses propres œuvres, effectuée par l’un de ses meilleurs connaisseurs, Vincent Roussel, est très astucieuse. Il superpose aux images de l’intervenant en train de parler de son cinéma celles du </span><span style="color: #000000;"><em>Cinématon</em></span><span style="color: #000000;"> que ce dernier avait tourné précédemment. Dans ce </span><span style="color: #000000;"><em>Cinématon</em></span><span style="color: #000000;">, Vincent Roussel présente à la caméra divers objets culturels bien choisis (livres, DVD) et donc, en même temps, par transparence, il présente sur scène l’œuvre de Gérard Courant, qui, par ce collage, présente à son tour Vincent Roussel...</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">La dernière partie de </span><span style="color: #000000;"><em>Carnet de Nice</em></span><span style="color: #000000;"> est essentiellement consacrée à une autre promenade au bord de la mer. On y voit comme en direct les prises de vue se faire selon l’instinct du cinéaste. Il marche et il filme, il cherche des idées de cadrage, en trouve parfois, pas toujours. Il faut accepter cette règle du jeu, ne pas avoir peur de passer par des moments d’ennui. Dans cette série de plans, on voit les ratures et les traits qui se précisent. Gérard Courant filme les flots inlassablement, tente de jouer sur les échelles de plans, du lointain au détail grossi, sur la lumière et les reflets, et obtient quelques belles images touchant à l’abstraction. Avec ce long final, on s’aperçoit que la mer ne nous a jamais vraiment quitté et qu’elle ne nous a guère laissé de répit au cours de ce séjour à Nice.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Le quatrième film de cette livraison appartient lui aussi à une série, intitulée <em>Mes villes d’habitation</em>, dont il constitue le troisième volet. </span><span style="color: #000000;"><em><strong>A travers l’univers</strong></em></span><span style="color: #000000;"> est consacré à Saint-Marcellin, ville de l’Isère de 8 000 habitants dans laquelle Gérard Courant a passé une partie de son enfance dans les années cinquante. Le principe est ici de filmer une à une toutes les rues et les places du lieu. Chaque vue est précédée d’un plan sur la plaque nominative et dure une vingtaine de secondes. Pendant 1h18 sont donc listées les 127 rues et les 17 places d’une ville que la majorité d’entre nous n’a jamais traversé ni même, probablement, jamais entendu parler. A priori, ce programme est des plus austères et fait plutôt fuir... A posteriori, l’expérience est particulièrement vivifiante...</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Commençons par la question récurrente : Est-ce un film, est-ce du cinéma ? Réponse : Oui. 144 fois oui. Pour chaque prise de vue, Gérard Courant s’impose une fixité du cadre. Le choix de l’endroit où il pose sa caméra pour filmer la voie est donc, déjà, primordial. Ensuite, cette fixité renforce la conscience des limites physiques de l’image et, par extension, du hors-champ. Celui-ci à tout autant d’importance que le champ, que ce soit sur le plan visuel (les entrées et les sorties) ou, surtout, sonore (tous les bruits dont on ne voit pas l’origine, les bribes de conversation de passants invisibles, les pleurs ou les cris d’enfants...).</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">La durée de chaque vue est la même. Enfin... sensiblement la même, car il m’a semblé qu’elle pouvait varier de quelques secondes. En effet, Courant choisit avec précautions l’endroit de ses coupes, dans le but de créer une véritable dynamique à partir du réel qu’il enregistre. Ce réel est en fait tiré vers des formes de micro-récits et, compte tenu de la courte durée de chaque plan, c’est bien le soin apporté à leur ouverture et leur clôture qui donne ce sentiment. Ainsi, le film est fait de 144 scènes. Un ballet automobile, un coup de klaxon, un salut adressé au caméraman, la trajectoire d’un piéton, l’apparition d’un chat, le reflet d’une vitre, l’attente d’une vieille dame : ces petits riens font l’événement et suffisent. Notre œil et notre oreille s’exercent. Nous sommes en état d’alerte toutes les vingt secondes, à l’affût de quelque chose (et parfois, nous est octroyée, simplement, une pause). Assurément, tout est affaire de regard. Le nôtre, aiguillé par celui du cinéaste. </span><span style="color: #000000;"><em>A travers l’univers</em></span><span style="color: #000000;">, malgré la rigueur de son dispositif, n’a vraiment rien à voir avec de la vidéo-surveillance.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Il serait toutefois abusif de vous promettre du rire, de l’action et de l’émotion. Quoi que… L’humour est bien présent. On s’amuse bien sûr en voyant la plaque de la Rue de la Liberté complétée à la bombe par un cinglant "<em>de mon cul</em>", mais également en découvrant qu’un bruit pétaradant de scooter annonce l’arrivée dans le cadre... d’un cycliste. Tel déplacement, telle attitude, peuvent de même prêter à sourire. L’action, elle, est assurée grâce à la position particulière que choisit parfois le cinéaste : en bout de rue, probablement sur un trottoir faisant face à un stop. Dans le cadre, les voitures avancent donc vers nous et la question de savoir si elles vont vraiment tourner au dernier moment se pose… Quant à l’émotion, elle jaillit au générique de fin lorsque Barbara entonne <em>Mon enfance</em> sur des photos de Saint-Marcellin. La chanteuse y a en effet passé une partie de la guerre, réfugiée avec sa famille juive.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Dans les choix du cinéaste, un autre me paraît très important : la succession des rues à l’écran dans l’ordre alphabétique. A l’inverse d’une approche par quartier par exemple, ce déroulement assure un panachage qui ménage les surprises. D'une rue à l'autre, tout peut changer. Les violents contrastes visuels et sonores sont réguliers car nous passons sans transition d'une artère de grande circulation automobile à une rue au calme résidentiel ou à une route menant vers la campagne où chantent les oiseaux.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">A nouveau voici un film sous-tendu par l'idée de conservation, de la fixation d'un présent qui pourrait éclairer un futur. <em>A travers l'univers</em> est un travail pour demain. Mais vu aujourd'hui, c'est avant tout un film contemporain qui, malgré la modestie de sa forme, nous fait partager de la manière la plus juste qui soit l'expérience de la vie dans nos villes françaises.</span></p><p> </p><p style="text-align: justify;"><img id="media-3343156" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/00/3805303317.jpg" alt="courant,france,documentaire,70s,80s,2000s,2010s" /><strong>JE MEURS DE SOIF, J'ÉTOUFFE, JE NE PUIS CRIER</strong></p><p style="text-align: justify;"><strong>SHE'S A VERY NICE LADY</strong></p><p style="text-align: justify;"><strong>CARNET DE NICE</strong> (Carnet filmé : 19 novembre 2010 - 22 novembre 2010)</p><p style="text-align: justify;"><strong>Á TRAVERS L'UNIVERS</strong></p><p style="text-align: justify;">de Gérard Courant</p><p style="text-align: justify;">(France / 67 min, 90 min, 81 min, 79 min / 1979, 1982, 2010, 2005)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlL'horrible Docteur Orlof & Une vierge chez les morts vivantstag:nightswimming.hautetfort.com,2011-12-05:38884722011-12-05T23:26:00+01:002011-12-05T23:26:00+01:00 * *** / * *** Il est assez amusant de découvrir L'horrible...
<p style="text-align: center;"><img id="media-3327567" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/00/419750167.jpg" alt="franco,erotisme,fantastique,france,espagne,belgique,60s,70s" /></p><p style="text-align: center;"><img id="media-3327571" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/01/490962349.jpg" alt="franco,erotisme,fantastique,france,espagne,belgique,60s,70s" /></p><p><span style="font-size: xx-large;"><strong>*<span style="color: #999999;">***</span></strong>/<strong>*<span style="color: #999999;">***</span></strong></span></p><p style="text-align: justify;">Il est assez amusant de découvrir <strong><em>L'horrible Docteur Orlof</em></strong> après <a href="http://nightswimming.hautetfort.com/archive/2011/08/23/la-piel-que-habito.html"><em>La piel que habito</em></a>, tant la parenté entre les deux semble évidente. L'idée de base, celle du "savant fou" travaillant en secret pour trouver une "nouvelle peau" à sa femme, est exactement la même (on pense également, bien sûr, aux <em>Yeux sans visage</em> de Franju). Toutefois, autant le film d'Almodovar est une variation glacée, insidieuse et tournoyante, autant celui de Franco est une tentative expressionniste, directe et syncopée.</p><p style="text-align: justify;">Le recul vers un passé situé en 1912 et le choix du noir et blanc donnent un certain cachet esthétique à ce film, l'un des premiers signés par Jess Franco (puisqu'il semble être le 11ème d'une série, en cours, de 185 titres). Ambiances nocturnes et humides, orgues et percussions, cadrages déroutants à la Orson Welles... malaise, vertige et surprise sont recherchés. L'œuvre est construite autour de plusieurs fulgurances, au point que certains plans déboulent tout à coup, venus d'on ne sait où, comme celui qui nous donne à mater furtivement, sans préavis ni suite, une paire de seins gigotant sous des mains ennemies. Le montage est effectué à la hache. A l'intérieur même des séquences, nous avons l'impression de sauter d'un endroit à un autre, dans l'espace du film.</p><p style="text-align: justify;">Le récit souffre d'une alternance entre l'enquête ennuyeuse d'un inspecteur de police et les méfaits du Docteur Orlof tenant sous sa coupe un ancien condamné à mort aveugle mais d'une redoutable efficacité lorsqu'il s'agit d'enlever les jeunes femmes esseulées. Jess Franco n'hésite pas à emprunter des tunnels explicatifs longs comme la mort et à laisser dérouler des dialogues au ras du pavé luisant, dialogues à travers lesquels absolument tout est exposé, passé ou présent.</p><p style="text-align: justify;">Les femmes sont imprudentes, crient et meurent. Elles sont souvent portées à bout de bras, à la fois proies et déesses. Elles sont toujours belles. La fin est expédiée.</p><p style="text-align: justify;">Plus raide encore est <em><strong>Une vierge chez les morts vivants</strong></em>. Là, des prétentions artistiques à la Marguerite Duras s'installent dans un cadre narratif et une économie de série Z. Le film "raconte" l'histoire de Christina, jeune femme venant à la rencontre de membres de sa famille qu'elle ne connaît pas, dans un château inhabité. Bien vite, nous nous aperçevons, sans trop savoir si l'héroïne en est elle-même consciente ou pas, que ceux-ci sont tous, non pas des morts vivants, mais des fantômes, malgré leur apparence très charnelle. Soumise à des visions d'horreur et d'érotisme, Christina va perdre la raison et la vie.</p><p style="text-align: justify;">Jess Franco expérimente à tout va. Malheureusement, il le fait dans la répétition improductive. Chez lui, une séquence repose sur une idée de mise en scène (à partir de l'usage du zoom, souvent) reproduite jusqu'à son terme au fil des plans qui la compose, générant parfois un sentiment d'absurdité. Dès lors, le déroulement narratif, qui paraît totalement aléatoire, issu d'un scénario capricieux et informe, se voit entrecoupé par des moments de stagnation, des séquences figées ou tournant sur elles-mêmes selon l'effet qui y est répété. Comme dans <em>L'horrible Docteur Orlof</em>, nous est réservée une explication <em>in extenso</em> concernant un événement supposé s'être passé précédemment.</p><p style="text-align: justify;">Il faut admettre que quelques divagations ou déplacements au cœur de la nature ont leur beauté propre, même si ces passages sont souvent gâchés, à un moment ou à un autre, par un zoom inconcevable, un recadrage impromptu (sur un nénuphar ?!?), un tremblé, un raccord dont le qualificatif "faux" sonne encore trop faiblement pour en rendre compte correctement. Plus que les délires érotico-fantastiques mis en images, pas bien méchants, c'est donc bien ce "style" qui rend le film si bizarre et qui retient par conséquent d'en parler comme d'un navet absolu. A moins que ce ne soit l'abondance de jolies filles dénudées pour un oui ou pour un non par leur metteur en scène tout puissant.</p><p style="text-align: justify;">Je frémis tout de même à l'idée que ces deux DVD que l'on m'a gracieusement prêté renferment deux films parmi les plus réputés et donc probablement les meilleurs de Jess Franco (avec tous le respect que je dois, notamment, au <a href="http://drorlof.over-blog.com/">descendant de l'Horrible Docteur</a>)...</p><p> </p><p style="text-align: justify;"><img id="media-3327636" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/01/130781133.jpg" alt="franco,erotisme,fantastique,france,espagne,belgique,60s,70s" /><img id="media-3327640" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/01/3763868375.jpg" alt="franco,erotisme,fantastique,france,espagne,belgique,60s,70s" /><strong>L'HORRIBLE DOCTEUR ORLOF</strong> (<em>Gritos en la noche</em>)</p><p style="text-align: justify;"><strong>UNE VIERGE CHEZ LES MORTS VIVANTS</strong> (ou <strong>CHRISTINA CHEZ LES MORTS VIVANTS</strong> ou <strong>CHRISTINA, PRINCESSE DE L'ÉROTISME</strong>)</p><p style="text-align: justify;">de Jess Franco</p><p style="text-align: justify;">(Espagne - France, Belgique - France - Italie - Liechtenstein / 90 min, 76 min / 1962, 1973)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlValérie au pays des merveillestag:nightswimming.hautetfort.com,2011-11-10:38459152011-11-10T23:25:00+01:002011-11-10T23:25:00+01:00 ** ** Valérie est une jolie fille de treize ans. Elle vit avec sa...
<p style="text-align: center;"><img id="media-3267133" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/01/1973118511.jpg" alt="Jires,tchécoslovaquie,70s" /></p><p><span style="font-size: xx-large;"><strong>**<span style="color: #999999;">**</span></strong></span></p><p style="text-align: justify;">Valérie est une jolie fille de treize ans. Elle vit avec sa grand mère dans un village où arrivent, en même temps, une troupe de comédiens et une procession de moines. Autour de sa maison rôde un être maléfique surnommé "le Putois" et un jeune homme bienveillant, "l'Aiglon", qui se révèle être le fils du précédent. Le garçon va se charger de protéger Valérie contre tous les hommes ou créatures qui l'entourent et qui ne pensent qu'à abuser d'elle.</p><p style="text-align: justify;"><strong><em>Valérie au pays des merveilles</em></strong>, film d'un Jaromil Jires responsable quelques mois plus tôt d'une belle <em><a href="http://nightswimming.hautetfort.com/archive/2009/11/13/la-plaisanterie.html">Plaisanterie</a></em>, est difficile à décrire tant il suit la logique des rêves et leur emprunte le caractère aventureux de leurs articulations. A aucun moment, et pas plus au début qu'à la fin du récit, nous ne nous sentons arrimés à une quelconque réalité. Nous restons dans le rêve de Valérie. Par conséquent, tout peut advenir et le cinéaste ne se prive pas d'assembler des séries de plans dont la nature est totalement imprévisible.</p><p style="text-align: justify;">Cette esthétique de la surprise incessante est agréable mais peut aussi paraître quelque peu vaine. Le travail sur la forme est constant, chaque plan se voulant puissamment expressif. Les cadrages improbables abondent, comme les jeux de lumière et de caches (le traitement de l'espace est très particulier, l'architecture de la maison de Valérie, par exemple, se faisant presque "mouvante"). Une impression de trop plein se fait jour car les références semblent innombrables (partant des deux plus évidentes, Lewis Carroll et Bram Stoker), les pistes qui s'ouvrent sont mutliples et l'apparence des personnages eux-mêmes peut changer en un instant. La mise en scène de Jires impressionne mais prend le risque de lâcher le spectateur et de le mettre à distance.</p><p style="text-align: justify;">Pour autant, malgré l'onirisme absolu impregnant l'objet, c'est un véritable récit qui se met en place. Si des bifurcations désarçonnent, si des symboles échappent, si des images restent difficiles à définir, une histoire nous est bien contée. C'est celle d'une innocence en péril, d'une virginité menacée. Une lutte est engagée entre le blanc qui caractérise le monde de Valérie et le noir du tentateur maléfique, entre la lumière solaire et la pénombre des caves.</p><p style="text-align: justify;">La beauté virginale est aussi celle de certaines images irisantes que compose le cinéaste. Cependant elle est très loin de ressembler à une quelconque pudibonderie. Valérie est une jeune fille en danger ayant ses propres troubles, ses émois, ses curiosités. Le surgissement de la monstruosité de l'empêche pas d'aller de l'avant et elle ne détourne pas le regard si elle surprend un couple faisant l'amour. L'aventure, qui laisse une large part à l'érotisme, s'apparente au passage vers la sexualité. La dernière séquence illustre d'ailleurs l'accession à un autre état, harmonieux pour tous, y compris ceux que l'on croyait repoussés.</p><p style="text-align: justify;">Dans ce film riche de prolongements, le ballet des nombreux personnages convoqués finit par prendre la forme d'un nœud de vipère familial, ce qui ouvre plus encore à une profonde dimension psychanalytique et donne, sur la durée, une certaine épaisseur à des figures au départ schématiques. Malgré les thèmes périlleux, comme celui de l'inceste, qui apparaissent alors, malgré les agissements sanguinaires des vampires qui le peuplent, ce déroutant <em>Valérie au pays des merveilles</em> reste jusqu'au bout d'une grande douceur. Encore une chose étonnante.</p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;">A lire : une <a href="http://www.kinok.com/index.php?option=com_content&view=article&id=488:critique-dvd-valerie-au-pays-des-merveilles-de-jaromil-jires&catid=34:chroniques-dvd">chronique DVD enthousiaste</a> signée par un praticien bien connu.</p><p style="text-align: justify;"> </p><p><img id="media-3267132" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/3199740501.jpg" alt="Jires,tchécoslovaquie,70s" /><strong>VALÉRIE AU PAYS DES MERVEILLES</strong> (<em>Valerie a tyden divu</em>)</p><p>de Jaromil Jires</p><p>(Tchécoslovaquie / 73 min / 1970)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlLe convoitag:nightswimming.hautetfort.com,2011-10-21:38303122011-10-21T13:15:00+02:002011-10-21T13:15:00+02:00 * *** Présenter Le convoi comme un titre mineur mais...
<p style="text-align: center;"><img id="media-3249524" style="margin: 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/02/270125127.jpg" alt="leconvoi.jpg" /></p><p><span style="font-size: xx-large;"><strong>*<span style="color: #999999;">***</span></strong></span></p><p style="text-align: justify;">Présenter <strong><em>Le convoi</em></strong> comme un titre mineur mais s'intégrant parfaitement dans la filmographie de Sam Peckinpah cela a plus d'allure et plus d'attrait que de le qualifier de lourde comédie d'action relatant les aventures d'un groupe de routiers sympas. Pourtant, durant sa première partie, le film n'est rien d'autre que cela. Le cinéaste n'y va pas de main morte pour s'installer dans ce genre, osant notamment une bagarre de "saloon" résolument parodique à voir l'usage du ralenti qui est fait, tendant ici à déréaliser et à épaissir le trait. Cette course poursuite entre trois chauffeurs et un policier pervers n'est ni très glorieuse ni très intéressante, à l'image des conversations codées ayant cours entre les routiers à travers leur CB.</p><p style="text-align: justify;">Ces échanges continus par ondes radio, si réalistes qu'ils soient, contribuent à une saturation des plans particulièrement éreintante. Car ce n'est pas tant le rythme qui fatigue mais l'accumulation à l'intérieur du cadre et d'une séquence à l'autre. Le film de Peckinpah nous saoule de messages, de sirènes de voiture de police, de klaxons de camions, d'une musique country que l'on apprécierait peut-être si elle était utilisée moins systématiquement, de défilés de poids lourds (un, puis deux, puis trois... jusqu'à cinquante, cent ?), de nuages de poussière et de fumées noires. Dans le même élan, le comique s'affiche grossièrement et nous empèche de prendre au sérieux tout ce qui se passe sur l'écran y compris lorsque la violence et le drame pointent leur nez (passage à tabac d'un Noir, lutte "à mort" entre le leader et le policier).</p><p style="text-align: justify;">La dimension politique du <em>Convoi</em> a également du mal à s'affirmer clairement au milieu de ce cirque mais elle nous retient assez pour ne pas rendre le film totalement négligeable. Suite à un acte de rébellion contre l'ordre policier, Rubber Duck se retrouve en tête d'un groupe de routiers auquel se joignent tous les éléments contestataires de la société américaine croisés dans les régions traversées pour atteindre le Mexique. Des hippies aux femmes libérées, du Noir opprimé à l'individualiste réfractaire, l'échantillon représentatif n'est pas mis en évidence de manière très fine mais dans la partie centrale du film, la plus intéressante et la moins lourde, on sent très bien, au-delà d'une amusante tentative de récupération politique par les autorités, que les diverses espérances et revendications formulées ne fusionnent jamais véritablement et que la vision désenchantée, détachée et pessimiste de Duck prédomine (soit, par extension, celle de Peckinpah).</p><p style="text-align: justify;">L'aventure se poursuit malheureusement dans un troisième acte au scénario toujours à la lisière de la bêtise (la crédibilité fut apparemment le moindre des soucis des auteurs), sacrifié, comme tout le reste, à la recherche de l'effet. L'évidence de la transposition dans l'univers du western éclate en plein jour mais celle-ci, d'une part, donne un tour plus attendu encore au récit (poursuite, vengeance, duel) et, d'autre part, pousse le cinéaste à composer des plans plutôt risibles, comme celui qui présente avant l'assaut un alignement de camions comme autant de cavaliers sur la colline. L'éclat de rire final, en plein chaos (comique), devient une figure "Peckinpahienne" inopérante car accusant la vanité non seulement du monde décrit mais surtout de sa représentation à travers ce film décevant, dont je garderai tout de même l'image d'Ali McGraw conduisant sa décapotable les jambes écartées et la jupe relevée sur les cuisses.</p><p> </p><p><img id="media-3249523" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/4290921448.jpg" alt="leconvoi00.jpg" /><strong>LE CONVOI</strong> (<em>Convoy</em>)</p><p>de Sam Peckinpah</p><p>(Etats-Unis / 110 min / 1978)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlLe moinetag:nightswimming.hautetfort.com,2011-10-05:38057152011-10-05T00:19:00+02:002011-10-05T00:19:00+02:00 ** ** Le hasard me permet de faire une transition pleine de...
<p style="text-align: center;"><img id="media-3228848" style="margin: 0.7em 0pt;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/00/640035348.jpg" alt="kyrou,france,italie,fantastique,70s" /></p><p><span style="font-size: xx-large;"><strong>**<span style="color: #999999;">**</span></strong></span></p><p style="text-align: justify;">Le hasard me permet de faire une transition pleine de souplesse : après mon texte sur <a href="http://nightswimming.hautetfort.com/archive/2011/09/26/positif-iii.html"><em>Positif</em></a>, je peux enchaîner avec une note consacrée à ce film d'Ado Kyrou, l'un des principaux animateurs des premières années de la revue.</p><p style="text-align: justify;"><strong><em>Le moine</em></strong> est la transposition au cinéma du scandaleux roman gothique du même nom écrit par Matthew Gregory Lewis en 1796. Luis Buñuel, qui avait longtemps caresser le projet de cette adaptation, se chargea d'en écrire le scénario en compagnie de son compère Jean-Claude Carrière, mais choisit finalement d'en confier la réalisation à son ami, assistant et exégète Ado Kyrou (déjà auteur de quelques courts métrages et d'un long, <em>Bloko</em>, en 1965). En dépit de ce parrainage, le film connut bien des difficultés de distribution et fut rapidement mis aux oubliettes. Si l'on aurait pu s'attendre à ce que la sortie récente de la version de Dominik Moll lui redonne une certaine visibilité, il n'en fut rien. Tout juste certains critiques mentionnèrent rapidement son existence, <em>Positif</em> se signalant fort étrangement par son silence, comme elle l'avait fait en 1973 (alors que <em>Bloko</em> fut largement commenté).</p><p style="text-align: justify;">Mauvais signes que tout cela ? Pas forcément. S'il n'est pas transcendant, l'ouvrage n'a rien de déshonorant et son intrigue se suit avec intérêt. La patte de Buñuel se fait sentir dans plusieurs détails, dans quelques dialogues résonnant de manière absurde, dans l'apparition d'un bestiaire étrange... La dernière séquence, surtout, est un hommage (trop) direct à <em>L'âge d'or</em>. Mais au-delà de ces signes disposés ça et là, Ado Kyrou parvient à se démarquer en insistant sur les aspects gothiques et fantastiques, en abordant sans détour le thème de la sorcellerie et en adoptant une structure narrative basée sur une suite d'éclats, autant de choix que l'on retrouve peu ou pas du tout dans l'œuvre de son mentor, qui a, de son côté, tendance à aplanir les choses, à les ramener dans un entre-deux improbable.</p><p style="text-align: justify;">Le cheminement est donc ici chaotique. Le film est fait de grands fragments disjoints, les sauts d'une séquence à l'autre sont importants, au point que, parfois, le doute peut s'installer provisoirement dans l'esprit, le temps de reconstituer une continuité. Mais ce type de construction, plein de heurts, soutient apparemment aussi le roman d'origine. A un découpage en champs-contrechamps est souvent préféré l'usage de plans longs et posés, ce qui induit une sorte de faux-rythme entre les pics. Les personnages eux-mêmes sont soumis à de spectaculaires changements d'humeur, ces revirements déstabilisant encore et accentuant l'étrangeté.</p><p style="text-align: justify;">Franco Nero est fiévreux (pléonasme ?) et Nathalie Delon est filmée en tentatrice insaisissable, fortement érotisée, proche et inatteignable à la fois (on pense aux écrits de Kyrou sur Marlene Dietrich). Cette direction d'acteurs, l'opposition entre quelques beaux cadres fixes de la nature environnante et les nombreux intérieurs sombres et l'alternance entre les effets liés au genre et les grandes plages de calme et de retenue font qu'une certaine distance s'installe entre nous et l'horreur de l'histoire qui est contée. Car le mal est ici présent partout, chacun est coupable. Le seigneur, bienfaiteur de l'église, est un assassin d'enfants, le moine Ambrosio, prônant la chasteté, force les jeunes filles, l'inquisition torture même après l'aveu. Et les pauvres ne sont pas plus bienveillants ni mieux attentionnés. La vision est noire (les violences faites aux jeunes personnes sont certainement le frein principal à la diffusion du film), mais Kyrou a eu raison d'ouvrir plusieurs pistes sans vraiment les refermer au final. Entre un délire, un cauchemar, une diablerie ou une machination, nous pouvons choisir selon notre inclinaison, ou pas.</p><p style="text-align: right;">Merci à Fred.</p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><img id="media-3228851" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0pt;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/00/542177300.jpg" alt="kyrou,france,italie,fantastique,70s" /><strong>LE MOINE</strong></p><p style="text-align: justify;">d'Ado Kyrou</p><p style="text-align: justify;">(France - Italie - Allemagne / 90 min / 1972)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlLes mille et une nuitstag:nightswimming.hautetfort.com,2011-04-05:31671662011-04-05T22:00:00+02:002011-04-05T22:00:00+02:00 * *** En regardant Les mille et une nuits , j'ai eu...
<p style="text-align: center;"><img id="media-2972915" style="margin: 0.7em 0pt;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/02/3612599548.jpg" alt="pasolini,italie,erotisme,70s" /></p><p><span style="font-size: xx-large;"><strong>*<span style="color: #999999;">***</span></strong></span></p><p style="text-align: justify;">En regardant <strong><em>Les mille et une nuits</em></strong>, j'ai eu l'impression que Pasolini cherchait à se placer dans la modernité cinématographique en repassant par le primitif. Adaptant un récit mythique, il ne l'actualise pas mais, en quelque sorte, "l'archaïse" par un traitement frontal et un appel direct à la croyance du spectateur. Peut-être même Pasolini voulait-il faire un film qui aurait pu être destiné à ceux qui écoutaient ces contes dans les temps anciens, un cinéma des siècles premiers...</p><p style="text-align: justify;">Aujourd'hui et maintenant (comme en 1974 ?), il me semble que la tentative échoue car l'organisation, si brutale, de la matière vient trop souvent jouer contre l'idée même de récit et de narration. L'absence totale de transitions entre les plans, le hiatus existant parfois entre les prises purement documentaires et les compositions soutenant la fiction, les trucages volontairement (?) basiques (et assez laids) rendent l'avancée chaotique. Ce "primitivisme" trouve bien sûr une résonance dans le style de jeu demandé par le réalisateur. Pleurer ou rire, pleurer et rire : l'acteur pasolinien en est souvent réduit à cela et, qui plus est, souvent à contretemps, et, encore une fois, sans transition d'un état à l'autre. De plus, on observe tout au long du film une disjonction entre le corps et la parole. Cela est évidemment dû à la nécessité de doubler les acteurs non-italiens mais la démarche de Pasolini va bien au-delà puisque régulièrement, des phrases entendues ne raccordent sur aucun mouvement de bouche. Il y a là, entre image et texte, un écart assumé mais qui, personnellement, me gêne. De fait, les passages les plus satisfaisants sont pour moi les moins bavards, à l'image de l'épisode n<span>épalais.</span></p><p align="JUSTIFY"><span><span style="color: #000000;">De celui-ci, et de quelques autres, émane une certaine étrangeté, sensation qui m'a rendu ce troisième volet de la "trilogie de la vie", malgré les importantes réserves que je viens de formuler, moins pénible que le deuxième, les sinistres </span></span><em><a href="http://nightswimming.hautetfort.com/archive/2010/04/03/les-contes-de-canterbury.html">Contes de Canterbury</a></em><span><span style="color: #000000;">. </span><span style="color: #000000;">A cette qualité, il faut en ajouter d'autres. Les nombreux paysages traversés sont particulièrement beaux et l'intégration des figurants y est plus naturelle que dans le film précédent. Toujours par rapport à ce dernier, l'absence de paillardise et de vulgarité est appréciable. Il faut noter toutefois que Pasolini, avec le temps, continue d'aller plus loin encore dans la crudité des images érotiques mais, paradoxalement, celles-ci choquent moins ici. C'est que la sexualité, même si elle peut être, en certaines occasions, vecteur de cruauté (jusqu'à la mutilation), semble globalement plus apaisée, plus harmonieuse, plus lumineuse (elle peut cependant déranger encore aujourd'hui mais pour une raison liée à l'évolution de notre regard, depuis les années 70, sur la sexualité des plus jeunes : pour ces scènes, Pasolini filme souvent, dans </span><em><span style="color: #000000;">Les mille et une nuits</span></em><span style="color: #000000;">, des adolescents). Enfin, dernier élément atténuant ma sévérité, le récit, entre quelques passages assez ennuyeux, ménage quantité de relances inattendues puisqu’il reste fidèle au principe originel de l’emboîtement des histoires contées. Il nous est ainsi, dans la dernière partie, presque impossible de nous repérer, de savoir à quel niveau nous nous situons exactement et combien de boîtes gigognes nous avons ouvert.</span></span></p><p align="JUSTIFY"><span style="color: #000000;">Devant ces <em>Mille et une nuits</em>, j’admets donc plus facilement les beautés intermittentes de ce cinéma-là et je comprends un peu mieux que pour certains, il soit d’une grande importance, mais, étant maintenu à trop grande distance pas ce style heurté, je ne parviens toujours pas à les rejoindre dans leur admiration pour le Pasolini des années 70, cinéaste qui, décidément, ne m’attire réellement que par ses œuvres de la décennie précédente.</span></p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><img id="media-2962801" style="margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0px; float: left;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/02/4106784463.jpg" alt="Milleetunenuits.jpg" /><strong>LES MILLE ET UNE NUITS</strong> (<em>Il fiore delle mille e una notte</em>)</p><p>de Pier Paolo Pasolini</p><p>(Italie - France / 130 mn / 1974)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlAffreux, sales et méchantstag:nightswimming.hautetfort.com,2011-03-29:31589122011-03-29T23:49:00+02:002011-03-29T23:49:00+02:00 *** * Le film d'Ettore Scola est récemment ressorti en DVD chez...
<p style="text-align: center;"><img id="media-2956187" style="margin: 0.7em 0pt;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/00/3918368099.jpg" alt="scola,italie,comédie,70s" /></p><p><span style="font-size: xx-large;"><strong>***<span style="color: #999999;">*</span></strong></span></p><p style="text-align: justify;">Le film d'Ettore Scola est récemment ressorti en DVD chez Carlotta. Deux collègues kinokiens s'en sont fait successivement l'écho, sous la forme de la sentence définitive pour l'<a href="http://eightdayzaweek.blogspot.com/2011/02/affreux-sales-et-mechants.html">un</a> et de la chronique détaillée pour l'<a href="http://www.kinok.com/index.php?option=com_content&view=article&id=519:critique-dvd-affreux-sales-et-mechants-dettore-scola-avec-francesco-annibaldi-maria-bosco&catid=34:chroniques-dvd">autre</a>, se rejoignant toutefois pour placer haut l'objet dans l'échelle des valeurs. De mon côté, je souhaitais depuis un petit moment repartir, à l'occasion, à la rencontre de ces <em><strong>Affreux, sales et méchants</strong></em> zonards romains. Les deux interventions sus-citées me décidèrent d'accélérer les retrouvailles.</p><p style="text-align: justify;">Ce jalon tardif mais fameux de la comédie italienne, je l'avais découvert il y a de cela un bon paquet d'années et... je n'avais pas aimé ça du tout. La révision étant aujourd'hui faite, je peux me lancer dans une critique en forme d'autocritique et en quatre points.</p><p style="text-align: justify;">1. J'avais dû trouver la mise en scène de Scola inégale et approximative.</p><p style="text-align: justify;">Pourtant l'utilisation du zoom ou le détail que constitue le remplacement, pour le tournage d'une séquence agitée (celle des motards), d'un nourrisson par un poupon ne sont pas les preuves d'un quelconque laisser-aller stylistique, car ce qui ressort de ces presque deux heures de film ce sont bien l'invention et la précision de la mise en scène. Celle-ci repose en grande partie sur les plans-séquences. Le premier mouvement, accompagnant une silhouette dans la pénombre, est déjà ponctué par une trouvaille bien sentie : le plan s'arrête sur le visage d'un homme ne dormant avec son fusil que d'un œil, l'autre étant seulement, pense-t-on à ce moment-là, masqué par le drap. Puis vient l'extraordinaire plan balayant la baraque de l'intérieur, au petit matin. En panoramique circulaire, la caméra ne cesse de buter sur des corps à moitié endormis ou éructant déjà. Calées sur l'image, les paroles se chevauchent, émergent puis baissent d'intensité successivement. Le tour de l'endroit est effectué trois fois, avec à chaque passage une pause un peu plus longue désignant le Roi de cette cour, le dénommé Giacinto Mazzatella. Le procédé est parfait pour atteindre le double but recherché : singulariser le personnage tout en intégrant la star qui en a la charge (Nino Manfredi) au cadre et à la troupe qui l'entoure, composée de comédiens venus du théâtre et de non professionnels. A la fin du film, ce mouvement sera bien sûr répété pour mettre en forme l'ultime gag dans une conclusion logique, aussi drôle que terrifiante.</p><p style="text-align: justify;">De la technique du plan-séquence, Scola tire parti de plusieurs façons. Si elle peut induire une répétition et une circularité, la longueur du plan peut également servir à ménager la surprise. Lorsque l'adolescente passe prendre, de baraque en baraque, les enfants de chaque famille, on pense qu'elle les amène vers quelque école mais il s'avère qu'elle va en fait les regrouper pour les parquer dans un enclos en bordure du bidonville. Les plans-séquences, par leur magistrale organisation, remplissent aussi bien sûr leur mission la plus évidente : donner à voir le chaos et l'agitation perpétuelle, en faisant vivre mille micro-récits et en faisant exister un décor incroyable. Créé pour les besoins du film, le bidonville paraît avoir été trouvé sur place (la tentation initiale du documentaire a laissé des traces, tout comme la participation de Pasolini au projet, juste avant sa mort). Forcément fait de bric et de broc, il permet à Scola de jouer des touches de couleurs, des oppositions, des contrastes. Mais c'est surtout sa situation géographique qui le singularise, sur une hauteur, au-dessus des immeubles bourgeois romains et d'une voie ferrée filant vers le centre-ville. Cet arrière-plan est régulièrement présent dans l'image mais sans insistance. La discrète composition, qui ne prend jamais la place de ce qui se joue sur le devant de la scène, suffit à dire les choses. </p><p style="text-align: justify;">2. J'avais dû trouver le film rempli de facilités comiques.</p><p style="text-align: justify;">Or le trait est beaucoup plus vif et acéré que gras. Seule, peut-être, la séquence de voyeurisme de Giacinto surprenant l'un des ses fils, "pédé", en train de s'occuper de sa belle-fille, semble trop longue et quelque peu gâchée par des cadrages farfelus. Ailleurs, la vacherie des répliques fait très souvent rire, saisit parfois jusqu'à décontenancer, mettrait presque mal à l'aise à l'occasion. L'art de la caricature épate, comme cette idée de faire tenir le rôle de la grand-mère par un homme (et effectivement, avant d'avoir lu cette révélation, elle nous paraissait si étrange cette mamie gâteuse !). </p><p style="text-align: justify;">3. J'avais dû trouver que les acteurs en faisaient des tonnes, Manfredi en tête.</p><p style="text-align: justify;">C'est bien pourtant, concernant ce dernier, de grande maîtrise et d'extraordinaire présence qu'il faut parler. Manfredi est indispensable au film, il est notre vecteur. Il est la porte d'accès du spectateur au monde d'<em>Affreux, sales et méchants</em>. La famille élargie de Giacinto jalouse celui-ci en raison de l'existence de son "magot" obtenu suite à l'accident du travail lui ayant coûté son œil gauche et qu'il ne veut partager avec personne : cette histoire veut que tous les regards convergent vers lui et le nôtre, logiquement, suit. Le personnage est odieux, autant que ceux qui l'entourent, mais dans l'œil de Manfredi se met parfois à briller une étincelle et toute notre émotion s'y engouffre. On sait combien l'alcoolisme est difficile à jouer. Or, il y a ici ces moments magnifiques dans lesquels Scola nous montre Giacinto comme absent à lui-même, affalé devant un verre ou traversant le bidonville en titubant (ces plans donnent l'impression de commencer un peu avant et de se terminer un peu après ce que la convention imposerait).</p><p style="text-align: justify;">4. J'avais dû trouver que Scola faisait son film sur le dos des pauvres.</p><p style="text-align: justify;">Je l'avais mal vu : si <em>Affreux, sales et méchants</em> est une comédie détonnante, c'est aussi l'un des films les plus enragés qui soient. Lorsque Giacinto met le feu à sa baraque se fait sentir toute la colère du cinéaste. Le désespoir manque ici de tout brûler. L'histoire donne à voir, au final, un "<em>statu quo</em> en pire" et il n'y a rien ni personne à sauver. Ou plutôt si, une seule petite parcelle, celle de l'enfance. Aux gamins élevés à coups de taloches et peut-être mis à l'écart avant tout pour être protégés des adultes, Ettore Scola réserve ses seules images empathiques, façon de faire tenir un espoir infime.</p><p style="text-align: justify;">Pour répercuter ce scandaleux état des choses, <em>Affreux, sales et méchants</em> n'en passe donc pas par l'apitoiement, pas plus qu'il ne nous montre des belles âmes à la recherche d'une dignité. Il fonctionne autrement, de façon bien plus audacieuse. De la même manière que la situation géographique du bidonville, au sommet d'une colline, est affirmée, le tournant dramatique s'effectue sur une terrasse surplombante. Nous assistons alors à la chute du Roi, au plus bas. Mais filmée de haut. Scola a tenté et réussi avec <em>Affreux, sales et méchants</em> un pari fou : faire que les extrêmes se rejoignent. La scène la plus forte du film en est la marque. Le sordide (le dégueulis) se mêle au sublime (la mer). Après un tel sommet (que dire de Manfredi dans cette séquence...), le fait que Scola, avant l'ultime plan déjà évoqué, patine quelque peu dans les dernières péripéties n'a pour ainsi dire que peu d'importance. Son film est impressionnant et j'avais tort de le mépriser la première fois.</p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: justify;"><strong><img id="media-2953776" style="margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0px; float: left;" title="" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/01/1437576488.jpg" alt="scola,italie,comédie,70s" />AFFREUX, SALES ET MÉCHANTS</strong> (<em>Brutti, sporchi e cattivi</em>)</p><p>d'Ettore Scola</p><p>(Italie / 115 mn / 1976)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlThéo Angelopoulos (coffret dvd 7 films)tag:nightswimming.hautetfort.com,2010-12-23:30395912010-12-23T21:55:00+01:002010-12-23T21:55:00+01:00 La reconstitution ( Anaparastasi ) (Théo Angelopoulos / Grèce / 1970)...
<p style="text-align: justify;"><strong><em>La reconstitution</em></strong> (<em>Anaparastasi</em>) (Théo Angelopoulos / Grèce / 1970) <span style="font-size: medium;">■■■□</span></p><p style="text-align: justify;"><strong><em>Jours de 36</em></strong> (<em>Meres tou '36</em>) (Théo Angelopoulos / Grèce / 1972) <span style="font-size: medium;">■■■□</span></p><p style="text-align: justify;"><strong><em>Le voyage des comédiens</em></strong> (<em>O thiasos</em>) (Théo Angelopoulos / Grèce / 1975) <span style="font-size: medium;">■■■</span><span style="font-size: medium;">■</span></p><p style="text-align: justify;"><strong><em>Les chasseurs</em></strong> (<em>Oi Kynigoi</em>) (Théo Angelopoulos / Grèce - France / 1977) <span style="font-size: medium;">■■</span><span style="font-size: medium;">□</span><span style="font-size: medium;">□</span></p><p style="text-align: justify;"><strong><em>Alexandre le Grand</em></strong> (<em>O Megalexandros</em>) (Théo Angelopoulos / Grèce - Italie - Allemagne / 1980) <span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">□</span><span style="font-size: medium;">□</span><span style="font-size: medium;">□</span></p><p style="text-align: justify;"><strong><em>Athènes</em></strong> (<em>Athina</em>) (Théo Angelopoulos / Grèce - Italie / 1983) <span style="font-size: medium;">■■■□</span></p><p style="text-align: justify;"><strong><em>Voyage à Cythère</em></strong> (<em>Taxidi sta Kythira</em>) (Théo Angelopoulos / Grèce - Italie - Grande-Bretagne - Allemagne / 1984) <span style="font-size: medium;">■■■□</span></p><p style="text-align: justify;"><img id="media-2813017" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/01/2733408907.jpg" alt="angelopoulos00.jpg" />La <span style="color: #000000;">présente initiative de la maison Potemkine est à saluer comme il se doit. Elle procède à une nouvelle mise à jour de films devenus quasiment inaccessibles et permet de remettre en perspective une œuvre qui avait tendance à se figer, faute de renouvellement des regards portés sur elle. La découverte du </span><em><span style="color: #000000;">Voyage des comédiens</span></em><span style="color: #000000;"> à Cannes en 1975 par la critique internationale fit soudainement de Théo Angelopoulos l'un des artisans majeurs de la modernité cinématographique. Aux jeunes cinéphiles français des années 2000, en revanche, il ne fut guère donnée l'occasion de suivre une quelconque "actualité Angelopoulos" : </span><em><span style="color: #000000;">Eleni</span></em><span style="color: #000000;"> fut distribué négligemment en plein été 2004 et </span><em><span style="color: #000000;">The dust of time</span></em><span style="color: #000000;">, présenté au Festival de Berlin en 2009, est à ce jour encore relégué dans un tiroir. Entre les deux, une génération, la mienne, a pu suivre la carrière du cinéaste au moment où sa reconnaissance était à son sommet, durant les années 80/90. Si l'on partait alors du milieu de cette période, remonter en direction de la source, jusqu'à </span><em><span style="color: #000000;">L'apiculteur</span></em><span style="color: #000000;"> (1986) ou </span><em><span style="color: #000000;">Voyage à Cythère</span></em><span style="color: #000000;"> (1984), c'était plutôt voir confirmée la réputation du cinéaste, tandis que se laisser porter par le courant chronologique aboutissant provisoirement à </span><em><span style="color: #000000;">L'éternité et un jour</span></em><span style="color: #000000;"> (1998), c'était certes apprécier son talent indéniable mais aussi assister à son couronnement en tant que poète officiel du cinéma européen - statut partagé par Wim Wenders et, un temps, par Krzysztof Kieslowski -, le voir traiter des maux d'un continent entier au risque d'endosser l'habit du sinistre professeur d'histoire contemporaine et, accessoirement, constater sa mauvaise humeur lorsqu'il n'obtenait pas une Palme d'or. Pour tous, ce coffret Potemkine, regroupant les sept premiers films, arrive donc à point nommé.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;"><img id="media-2813020" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/00/3637995465.jpg" alt="reconstitution3.jpg" />L'œuvre entière étant reconnue au moins pour sa cohérence, nous ne sommes guère étonnés de trouver dès </span><strong><em><span style="color: #000000;">La reconstitution</span></em></strong><span style="color: #000000;">, plus qu'ébauchées, les principales marques du style Angelopoulos. Il s'inspire ici d'un fait divers s'étant déroulé dans un village montagnard : le meurtre d'un homme, de retour d'Allemagne, par sa femme et son amant. La tragédie classique sous-tend déjà le récit mais l'approche est réaliste, presque documentaire avec quelques notations sociologiques sur le dépérissement des petits villages de Grèce, l'émigration des travailleurs, la dureté des conditions de vie. Le caractère prosaïque des scènes, la grisaille qui les enserre, les allers-retours géographiques et le manque évident de moyens provoquent la répétition et une certaine restriction, mais un principe fort est énoncé : il faut travailler la notion d'espace et de là (faire) réfléchir sur le temps qui s'y inscrit. Ainsi, le décor, toujours naturel, prend toute son importance, remarquablement photographié en noir et blanc et parcouru par la caméra et les protagonistes. Ces déplacements donnent leur rythme aux séquences, le modifie parfois en cours de route, en fonction des croisements et des changements de sujet qui peuvent se réaliser dans le plan lui-même.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Le fil narratif propose un va-et-vient entre plusieurs temps, plus exactement, entre plusieurs strates puisque nous sommes invités à suivre trois types de reconstitutions distincts mais que le cinéaste se plaît à entremêler : la reconstitution du crime par les enquêteurs, dans la maison et le jardin de la victime, celle qu'un groupe de journaliste effectue en interrogeant les villageois et enfin, celle que nous voyons sous forme de flash-backs retraçant le parcours des amants criminels une fois leur forfait commis. Déjà, Angelopoulos manie avec brio les niveaux de perception et de représentation. Et ce récit fait de couches successives nous place vite devant cette évidence : aucune reconstitution n'est à même de percer le secret des motifs. Le plan final l'assène avec force, ce morceau de bravoure reprenant l'action fondatrice du récit tout en la maintenant hors-champ. Une cour, des allées et venues et une porte qui reste fermée. La scène symbolise tout le film et son propos. Ce n'est pas la dernière fois qu'Angelopoulos usera du procédé...</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;"><img id="media-2813031" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/2529256243.jpg" alt="jours2.jpg" />Quittant les constructions de pierres humides et grisâtres de </span><em><span style="color: #000000;">La reconstitution</span></em><span style="color: #000000;">, le cinéaste réalise avec </span><strong><em><span style="color: #000000;">Jours de 36</span></em></strong><span style="color: #000000;"> un film en couleurs. Mieux, un film en pleine lumière (à l'exception d'une séquence primordiale, point de bascule du récit, visuellement superbe et inversant un fameux effet de Fritz Lang pour montrer un assassinat à l'aide d'un simple trou noir sur une surface blanche). Toutefois, si les décors sont illuminés par un soleil écrasant, le discours, lui, est opacifié, ou du moins, déplacé. En 1972, Théo Angelopoulos ne peut parler de la dictature que subit alors son pays. Il choisit donc d'exposer les prémisses de celle qui s'installa en 1936.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Comme il le dit lui-même, la dictature est inscrite dans le travail formel du film. Dans </span><em><span style="color: #000000;">Jours de 36</span></em><span style="color: #000000;"> se trouvent les premiers panoramiques à 360° de l'œuvre d'Angelopoulos et cette figure de style renvoie bien sûr ici au monde carcéral, de même qu'elle sert à pointer du doigt une société figée rendant possible par son inertie la prise en main militaire. Désemparés devant le geste de révolte d'un prisonnier, le directeur du bagne, les magistrats et les politiques entament autour de la cellule un ballet absurde et ridicule puis finissent par laisser la place au tireur d'élite de l'armée. L'ironie du cinéaste vise avec précision la classe au pouvoir.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">La méthode utilisée pour le plan final de </span><em><span style="color: #000000;">La reconstitution</span></em><span style="color: #000000;"> devient principe directeur. L'esthétique du plan long s'impose sans partage, tout en maintenant un refus, celui de donner une solution unique, celui de laisser penser qu'il n'existe qu'une vérité. Si son point de départ est une nouvelle fois de l'ordre du fait divers, Angelopoulos ne s'intéresse qu'à ses répercussions sur la société. Il refuse d’en élucider le mystère originel. Lorsque la porte sur laquelle notre regard aura longtemps buté s'ouvre enfin, seule la mort nous est donnée à voir, sans explication. De même que le gros plan n'existe pas, que les statuts et les rôles respectifs des protagonistes dans cette histoire ne sont éclairés que plusieurs secondes après leurs entrées en jeu, les dialogues importants sont escamotés par la mise à distance, le chuchotement ou l'ellipse pure et simple. Tout reste au stade de l'allusion, faisant de </span><em><span style="color: #000000;">Jours de 36</span></em><span style="color: #000000;"> le film du non-dit et du non-montré.</span></p><p style="text-align: center;"><img id="media-2813035" style="margin: 0.7em 0;" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/01/470250751.jpg" alt="comediens1.jpg" /></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Lorsque Théo Angelopoulos commence le tournage du </span><strong><em><span style="color: #000000;">Voyage des comédiens</span></em></strong><span style="color: #000000;">, la dictature des colonels est encore en place, bien que finissante. L'aventure est donc chaotique. Le résultat d'autant plus impressionnant. Exigeant par sa longueur inusitée (près de 4 heures), ainsi que celle de ses plans qui, pour la plupart, se constituent en séquences entières, le film révèle une beauté empreinte de solennité. Nous est conté ici le destin des membres d'une troupe de comédiens itinérants au cours de la période 1939-1952, l'un des tours de force résidant dans le passage d'un temps de l'histoire à un autre, par delà les années, dans le même plan, sans aucune coupe. Passé et présent de la narration (1952, tel qu'il est posé par le début du film) sont donc liés jusqu'à opérer un paradoxal et admirable renversement final. Toutefois, une certaine linéarité est préservée, le récit progressant bien de l'avant à l'après-guerre, juste ponctué de quelques retours vers le futur. La passé est présent, travaillant souterrainement, surtout parce qu'on le raconte. La mémoire, individuelle et collective, est mise en scène.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">De façon inattendue, le film apparaît finalement moins complexe dans sa construction et sur le plan historique (les signes permettant de se situer dans cette histoire de la Grèce sont infimes mais suffisants : un vêtement, une couleur, un slogan, un discours...) que dans les rapports qu'il interroge entre culture populaire, culture classique, théâtre, cinéma... Ce qu'il montre tout d'abord, c'est le conflit opposant l'Art et l'Histoire. Le spectacle joué par les comédiens est une pièce du répertoire classique grecque. Or, toutes les représentations se voient perturbées, par un bombardement, une arrestation... Les artistes qui semblent s'écarter de l'Histoire (un des premiers plans du film les montre bifurquer d'une artère principale alors que s'avance vers eux un groupe de soldats, puis y revenir une fois celui-ci passé) ne peuvent donc que s'y engouffrer ou être happés par son souffle.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Toutefois, du </span><em><span style="color: #000000;">Voyage des comédiens</span></em><span style="color: #000000;">, se retient surtout la série de distanciations que propose le cinéaste. Trois récits sont faits directement au spectateur, comme autant de témoignages, et certaines morts, certaines compositions plastiques, sont ouvertement théâtrales. Même lorsqu'elle ne prend pas comme sujet spécifique la représentation de la pièce jouée par les comédiens, la mise en scène d'Angelopoulos peut tirer le réel vers le théâtre. La composition qui soutient la séquence du peloton d'exécution ou le spectacle exigé sur la plage par les soldats anglais sont deux des multiples exemples de ce mouvement réflexif. Il n'est pas jusqu'au travelling circulaire qui ne tente de participer à cet effort, faisant entrer le monde dans un espace scénique. Tout s'organise pour faire sentir la frontière entre la scène et la salle, entre l'espace in et l'espace off. Le off, c'est nous, spectateurs. Notre place est désignée et Angelopoulos peut alors d'autant mieux nous titiller (les déshabillages), nous forcer (la scène de viol, difficilement soutenable puis magistralement "désamorcée") ou nous faire gamberger (l'arrestation hors-champ). Nous nous étonnons sans cesse de constater que ce cinéma-là produise un temps si résolument théâtral.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Ces remarques peuvent laisser croire à un film envahit par la théorie. Or, celui-ci ne se tient heureusement pas exclusivement à ce programme car, peu à peu, la caméra d'Angelopoulos se rapproche de ses sujets. Alors qu'il filmait essentiellement des groupes en marche, le cinéaste commence, à mi-chemin, à individualiser et ainsi à créer une émotion plus directe. Lorsque la troupe explose, ne restent que quelques personnages dont nous suivons de plus en plus intensément le parcours douloureux. S'explique alors la supériorité du </span><em><span style="color: #000000;">Voyage des comédiens</span></em><span style="color: #000000;"> sur l'ensemble présenté ici : la distanciation voisine avec l'émotion.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;"><p style="text-align: center;"><img id="media-2813038" style="margin: 0.7em 0;" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/02/1724327839.jpg" alt="comediens3.jpg" /></p></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;"><img id="media-2813040" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/00/2810105050.jpg" alt="chasseurs3.jpg" />Le succès obtenu a poussé le cinéaste à innover encore, à faire une nouvelle proposition forte, tout en poursuivant sur la piste ouverte par les deux premiers opus de sa "trilogie historique". Pour clore celle-ci et traiter des années 49 à 77, il choisit alors de radicaliser son usage du plan-séquence (une quarantaine de plans seulement, pour un film de 2h25), de traduire plus systématiquement la porosité entre les époques, et de tirer les comportements du nouveau groupe qu'il dépeint vers l'absurde et le grotesque. Avec </span><strong><em><span style="color: #000000;">Les chasseurs</span></em></strong><span style="color: #000000;">, il s'en prend à cette classe privilégiée toujours au pouvoir en 1977 malgré ses compromissions passées sous la dictature. Un panel représentatif est réuni dans un hôtel, à l'occasion du Nouvel An. C'est dans cet endroit que l'Histoire refait surface, sous la forme du cadavre inexplicablement "frais" d'un maquisard communiste. Les bourgeois, se sentant assaillis, se prêtent alors, chacun leur tour, sous le prétexte de dépositions pour la police locale, à une série d'aveux prenant valeur de justification des comportements de leur classe à plusieurs moments-clés de l'histoire grecque récente.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Bien évidemment, ce sont ces témoignages qui provoquent les glissements temporels chers à Angelopoulos. On note cependant qu'ils sont moins amples, moins précis historiquement (pour le non-connaisseur), mais aussi plus fréquents et plus voyants que dans </span><em><span style="color: #000000;">Le voyage des comédiens</span></em><span style="color: #000000;">. La répétition du procédé freine quelque peu l'adhésion et atténue le plaisir du récit dans son ensemble.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Chacune des dépositions des </span><em><span style="color: #000000;">Chasseurs</span></em><span style="color: #000000;"> tourne au spectacle. L'ironie est reine, jusque dans l'utilisation des chants et des danses, moments primordiaux dans tous les films du cinéaste. La distanciation est donc, cette fois-ci, constante. Aucune scène n'y échappe dans ce petit théâtre de l'absurde qui fait naître une parenté, la tentation du fantastique et du surréalisme aidant, avec l'œuvre d'un Buñuel. A ceci près que les plans-séquences des </span><em><span style="color: #000000;">Chasseurs</span></em><span style="color: #000000;"> accusent l'artifice théâtral alors que </span><em><span style="color: #000000;">L'ange exterminateur</span></em><span style="color: #000000;"> et son découpage beaucoup plus serré accédait à une dimension toute autre, d'une certaine façon plus purement cinématographique.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Ce quatrième opus est un film d'après la dictature, un film sur la claustration, celle du pouvoir maintenant (après celle des opposants de </span><em><span style="color: #000000;">Jours de 36</span></em><span style="color: #000000;">). La situation de l'hôtel le démontre, placé qu'il est au bord de l'eau, comme sur une île. Un film d'après la dictature mais un film foncièrement pessimiste. Si le maquisard est un fantôme qui effraie la droite au pouvoir, celle-ci reste sûre d'elle et joue littéralement à se faire peur. Le dernier plan du film reprend le premier et efface tout.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #000000;">Régulièrement déroutant, déceptif dans son déroulement mais parfois impressionnant à l'intérieur de ses différents segments (une partie de foot imaginaire, une danse royale se prolongeant en transe sexuelle...), le film n'est pas le plus attachant de son auteur mais, étant, selon ses propres dires, le plus étrange qu'il ait réalisé, il accompagne durablement le spectateur.</span></p><p style="text-align: justify;"><strong><em><span style="color: #000000;"><img id="media-2813041" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/1602152529.jpg" alt="alexandre2.jpg" />Alexandre le Grand</span></em></strong><span style="color: #000000;">, pourtant plastiquement très étudié, marque finalement moins l'esprit. Après sa trilogie sur l'histoire récente de son pays, Angelopoulos recule dans le temps, jusqu'en 1900, et évoque des événements moins situables et, en apparence, mo
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlGloria munditag:nightswimming.hautetfort.com,2010-11-26:30035512010-11-26T23:36:00+01:002010-11-26T23:36:00+01:00 (Nico Papatakis / France / 1976) ■■□□ Victime en 1976 d'une censure qui...
<p style="text-align: justify;">(Nico Papatakis / France / 1976)</p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">■■□□</span></p><p style="text-align: justify;"><img id="media-2768206" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/00/683913528.jpg" alt="gloria mundi.jpg" />Victime en 1976 d'une censure qui ne dit pas son nom (des bombes posées dans des cinémas parisiens le projetant provoquèrent l'arrêt de son exploitation au bout de quelques jours seulement) et malgré une resortie en salles en 2005, <strong><em>Gloria mundi</em></strong> reste un film rare, souvent inconnu (personnellement, ayant pourtant vu et apprécié, de Papatakis, <em>La photo</em> et <em>Les équilibristes</em>, j'ignorais son existence). A le découvrir aujourd'hui, on comprend vite les raisons de cet ostracisme. Œuvre furieuse, <em>Gloria mundi</em>, faisait tout pour déplaire à tout le monde.</p><p style="text-align: justify;">Je dois préciser pour commencer que la version 2005 est une version remaniée par Papatakis lui-même. Le cinéaste a intégré quelques touches numériques, notamment pour visualiser les spectres que croit voir l'héroïne à un moment donné et pour illustrer brièvement la répression de la manifestation d'octobre 1961 par un plan large de policiers français jetant à la Seine des Algériens. D'autres séquences ont été ajoutées sans le prétexte technologique, parmi lesquelles la première du film.</p><p style="text-align: justify;">Dans celle-ci, située dans les années 50, un gradé explique avec calme et fermeté à quelques uns de ses nouveaux subordonnés comment faire parler les Arabes. Il suffit de placer les pinces aux endroits sensibles, les parties génitales essentiellement. En fin d'exposé, le militaire encourage ses soldats à toutes les brutalités que peut leur "<em>inspirer leur patriotisme</em>". La sécheresse de la mise en scène accentue encore la violence du propos. Cette violence sera constante dans le film et n'épargnera personne.</p><p style="text-align: justify;">Passé le prologue, nous nous retrouvons au présent, au milieu des années 70, dans une banlieue parisienne délabrée et lugubre (les plans extérieurs sont saisissants). Galia est une jeune comédienne préparant un film sur la torture que tournerait Hamdias, son metteur en scène-démiurge que l'on ne voit jamais à l'écran mais qui est plusieurs fois apostrophé par l'héroïne malgré son absence, la véritable actrice, Olga Karlatos, fixant alors la caméra de Papatakis. Ces deux-là étaient en couple à l'époque de <em>Gloria mundi</em> et cela ajoute encore du trouble à une œuvre qui n'en manque pas. Galia est en effet une femme que sa quête de l'incarnation parfaite pousse à l'auto-mutilation, une femme en révolte permanente, une femme violentée et insultée. Olga Karlatos est filmée sous toutes les coutures, se donnant comme rarement une actrice a osé le faire.</p><p style="text-align: justify;">Le personnage rêve à la fois d'un destin de star de cinéma et d'actes révolutionnaires. Engagée, elle ferme pourtant la porte à un Arabe poursuivi par la police. Papatakis critique violemment tout et tout le monde : producteurs véreux, agents puants, mécènes condescendants, petites mains du parti, pseudo-révolutionnaires, bourgeois de gauche. Et Galia, avec son jusqu'auboutisme, et l'invisible Hamdias, manipulateur adoré et haï à la fois, sont loin d'échapper au jeu de massacre. Chaque rencontre que fait l'héroïne se termine sur une confrontation et il s'agit à chaque fois de dénoncer et de faire éclater sa rage (logiquement, le film se termine sur une explosion, sur le néant). Cette colère provoque un grossissement du trait, que n'amincit pas la volonté d'aborder la plupart des problèmes de ce temps-là, de l'Algérie à la Palestine.</p><p style="text-align: justify;">Film-limite, <em>Gloria mundi</em> repose sur une succession de séquences inégales et hétéroclites. Plusieurs niveaux de réalité sont arpentés, du fantasme au film dans le film. A certains endroits, Papatakis semble vouloir élever l'histoire de sa Galia au rang de mythe, semble diriger son Olga comme sur une scène de théâtre antique. Ailleurs, nous sommes dans la satire mordante ou dans le réalisme cru.</p><p style="text-align: justify;">Vers la fin, nous attend une longue scène assez hallucinante, une scène de torture infligée par des soldats français à une terroriste arabe, une scène du film que Galia a tourné avec Hamdias. Montrant une femme nue qu'on brûle à la cigarette et à qui on enfonce une bouteille de bière dans le vagin, elle devrait être insoutenable. Mais la mise en scène de Papatakis la rend "concevable", aussi dérangeante qu'elle soit. Il choisit un plan-séquence en plongée, une vue englobant toute la pièce, les trois militaires et la prisonnière. La première coupe et le rapprochement de la caméra n'interviennent que tardivement. De plus, cette scène a été, sinon clairement annoncée, du moins préparée par tout ce qui précède, notamment les répétitions de Galia cherchant le cri le plus juste. Surtout, Papatakis nous montre les réactions qu'elle provoque sur un public, puisque le film d'Hamdias est montré en projection privée. Il fait même dire à une bonne dame de gauche : "<em>Je veux bien vous aider, mais la torture, je ne peux vraiment pas... Voir ça mimer par un comédien, c'est impossible...</em>"</p><p style="text-align: justify;">Douze ans après le tournage de <em>Gloria mundi</em>, dans une interview accordée à <em>Positif</em>, Papatakis faisait cet aveu : "<em>Le souvenir de ce film est très pénible pour moi. (...) Ce fut trop dur car je ne m'étais jamais autant impliqué personnellement.</em>"</p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: right;"><a href="http://www.cinema-histoire-pessac.com/"><img id="media-2756784" style="float: right; margin: 0.2em 0pt 1.4em 0.7em;" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/2114346342.jpg" alt="FIFIH2010.jpg" /></a>Film présenté au</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlIce & Milestonestag:nightswimming.hautetfort.com,2010-10-08:29269562010-10-08T21:44:21+02:002010-10-08T21:44:21+02:00 (Robert Kramer / Etats-Unis / 1969 & Robert Kramer et John Douglas /...
<p style="text-align: justify;">(Robert Kramer / Etats-Unis / 1969 & Robert Kramer et John Douglas / Etats-Unis / 1975)</p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">■■■□</span> / <span style="font-size: medium;">■■■□</span></p><p style="text-align: justify;"><strong><em>Ice</em></strong> et <strong><em>Milestones</em></strong> : ces titres étaient connus mais les films si peu vus. Les éditions Capricci les regroupent dans un coffret et redonnent ainsi vie à deux œuvres mythiques du cinéma indépendant et de la contestation américaine des années 70. Cette livraison DVD ne s'accompagne d'aucun bonus, ce qui peut paraître surprenant eu égard à la richesse sociale et politique du propos, à la complexité du fond et de la forme, à la multiplicité des pistes explorées. Pour mieux accepter cette absence, nous pouvons toutefois avancer que Robert Kramer a réalisé là, de son propre aveu, des films "ouverts", auxquels le spectateur doit se confronter "seul". Et, en un certain sens, ceux-ci n'ont guère besoin d'étude complémentaire puisqu'ils partagent cette étonnante caractéristique de proposer leur propre analyse au fur et à mesure de leur déroulement - argument qui, je l'espère, ne vous empêchera pas de poursuivre la lecture de la présente critique.</p><p style="text-align: justify;"><img id="media-2686448" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/1923999877.jpg" alt="Ice01.jpg" />En 1969, le fer est encore chaud et les mouvements révolutionnaires et contestataires ne sont pas encore plongés dans leur crise du début des années 70 (aux origines diverses : fin de la guerre du Vietnam, radicalisation terroriste, repli communautaire...), crise dont <em>Milestones</em> tentera de tirer les leçons le moment venu. Le double mouvement qui propulse <em>Ice</em>, activisme et auto-critique, en est d'autant plus remarquable. Le statut des images qui le compose est ambigu : la fiction est évidente, ne serait-ce que par le point de départ du récit - la guerre déclarée par les Etats-Unis au Mexique -, mais l'esthétique s'apparente le plus souvent à celle du reportage (un reportage qui serait toutefois redevable à Cassavetes et au Godard d'<em>Alphaville</em>). De plus, le nombre de protagonistes est élevé, autorisant ainsi une multiplicité des points de vue, et de nombreux cartons de propagande révolutionnaire sont insérés, sans que nous soyons sûr de devoir les prendre au premier degré, leur présence pouvant véhiculer, plutôt que ceux des auteurs, les messages du "comité central révolutionnaire" censé dirigé les actions décrites.</p><p style="text-align: justify;">Ces actions menées, au cours d'une seule nuit, contre un état oppresseur, apparaissent nécessaires mais sont constamment interrogées. Elles se préparent au cours de longues discussions de groupe, desquelles émergent, autant que la ferveur, les doutes et les peurs. Toute la première partie du film est consacré à ces échanges. La parole est laissée à tous, y compris à ceux les plus en marge des groupes clandestins et à ceux qui restent intégrés à la société. Cette parole supporte donc la contradiction. De façon assez surprenante, <em>Ice</em>, tout porté vers l'action qu'il soit, décrit ainsi une révolution qui serait la somme de parties imprégnées de doute.</p><p style="text-align: justify;">Par conséquent, il apparaît logique que l'idée de cette révolution se structure à partir de l'intime. Nous assistons, entre les réunions et les rendez-vous clandestins, à plusieurs scènes de couple, scènes de drague ou scènes d'amour, et c'est bien à ce niveau-là que commencent à se déceler les possibles trahisons et compromissions. L'oppresseur lui-même en est conscient et sait où frapper : les tortures infligées aux activistes arrêtés sont d'ordre sexuel. Il s'agit apparemment de s'en prendre à la virilité des rebelles, ce que montre une séquence violente au début du film.</p><p style="text-align: justify;">Celle-ci nous saisit d'autant plus que l'explication n'en est pas donnée sur l'instant. Par ailleurs, nous notons que la victime est interprétée par Robert Kramer lui-même. Plus tard, avant qu'il ne soit tué, nous le verrons, bien que plus au calme, dans une position peu agréable, obligé de partager un appartement avec un couple d'amis peu enclin à lui faciliter son travail de traducteur pour le compte de son organisation. <em>Ice</em> multiplie ainsi les outils de distanciation, s'appuyant sur les slogans, le théâtre, le cinéma, l'improvisation. Il se termine sur une satire de la politique impérialiste, réalisée à l'aide de jouets d'enfants mais son véritable final a lieu dans une cabine téléphonique, autour de laquelle tourne la caméra, entre ténèbres et espoir. Tout du long, cette politique-fiction de Kramer bénéficie de l'adéquation évidente entre le propos, les moyens et l'esthétique.</p><p style="text-align: justify;"><img id="media-2686449" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/01/3349234825.jpg" alt="Milestones01.jpg" />Tout prospectif qu'il soit, <em>Ice</em> renvoie constamment à son époque. <em>Milestones</em>, que Kramer coréalisa avec John Douglas, a tissé lui aussi un lien si fort avec la réalité de son temps qu'il est aussitôt devenu un film-phare de la décennie 70. A le découvrir aujourd'hui, avant ce qu'il montre, c'est la façon de le faire qui interpelle en premier lieu. Le film démarre comme un documentaire relativement traditionnel, construit à partir d'images prises dans la rue, au domicile ou au travail et de discussions longues et naturelles. Le montage plutôt serré, les champs-contrechamps, le déroulement même des échanges commencent cependant à donner l'impression de dialogues répondant à une incitation sur un thème donné. Puis surviennent la visualisation de rêves, une scène d'agression réaliste mais évidemment fictive, une scène de ménage, un cambriolage raté... La fiction est démasquée, envahit le film, bouscule nos repères. Un accouchement ne peut certes pas être "joué" mais la quasi-totalité de ce que l'on voit et entend dans <em>Milestones</em> a été écrit à l'avance.</p><p style="text-align: justify;">Il ne faut pas voir dans cette construction une manipulation déplaisante du spectateur. Tout d'abord, le fait de croire autant et si longtemps à une vérité documentaire absolue prouve la qualité du travail. Surtout, ce glissement et cette révélation ajoutent encore à la complexité et à la richesse d'une œuvre déjà "objectivement" monstrueuse. Sa durée de trois heures et vingt minutes confine au vertige. Elle permet de laisser une large place aux discussions et aux débats qui libèrent à nouveau une masse de contradictions, les personnes/personnages que filment Kramer et Douglas essayant de se repositionner après les désenchantements de la période post-68. Dilemmes et décalages ne cessent donc d'affleurer chez ces gens ayant cherché, à un moment ou un autre, à vivre leur vie autrement : les tiraillements se font entre désir de solitude et vie en communauté, nomadisme et sédentarisation, affranchissement familial et besoin de lien filial. Le tableau est riche et si les cinéastes ont suivi essentiellement des individus appartenant, au sens large, à un groupe dont ils faisaient partie, <em>Milestones</em> ne se réduit nullement à la description de la vie quotidienne "hippie".</p><p style="text-align: justify;">En effet, c'est bien l'histoire des Etats-Unis, pas moins, que convoque le film, puisque le récit est entrecoupé de souvenirs et de références photographiques ou cinématographiques renvoyant à l'esclavage, au génocide indien, à l'entre-deux guerres ou, bien sûr, au Vietnam. Ce récit, dont on pense qu'il va aboutir, à force de croisements entre les divers personnages, à la (re)constitution d'une communauté, éclate au contraire en mille morceaux, dans le temps, dans le paysage américain (le nombre de lieux arpentés est impressionnant) et dans l'espace mental des protagonistes (et donc des auteurs). Si le film paraît tout de même, en bout de course, se "boucler", il reste particulièrement ouvert (et ouvert aux quatre vents, ce qui provoque d'inévitables courants d'air : certains passages, certaines expériences humaines ne sont pas, prises séparément, d'un immense intérêt). L'accouchement final auquel nous assistons peut être pris pour une métaphore du film entier. De la façon directe, impudique et tenace dont il est présenté au spectateur, il paraît long et difficile mais au bout du compte honnête et libérateur. Là aussi, donc, l'espoir subsiste. Que <em>Milestones</em> intègre aussi intelligemment sa propre dimension réflexive et que les doutes qui s'y expriment permettent d'avancer, cela démontre que la grande œuvre polyphonique de Kramer et Douglas n'est pas une chronique du fourvoiement post-soixante-huitard mais bien un essai cinématographique chaotique et passionnant sur un moment-clé de l'histoire de la gauche américaine.</p><p style="text-align: justify;"> </p><p style="text-align: right;">Chronique dvd pour <a href="http://www.kinok.com/index.php?option=com_content&view=article&id=418:critique-double-dvd-milestones--ice-de-robert-kramer-avec-john-douglas-mary-chapelle-leo-braudy-et-tom-griffin&catid=34:chroniques-dvd"><img id="media-2460118" style="border-width: 0pt; float: right; margin: 0.2em 0pt 1.4em 0.7em;" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/1125680788.2.jpg" alt="logokinok.jpg" /></a></p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlL'exorciste & L'exorciste II : L'hérétiquetag:nightswimming.hautetfort.com,2010-08-10:28513042010-08-10T14:04:00+02:002010-08-10T14:04:00+02:00 (William Friedkin / Etats-Unis / 1973 & John Boorman / Etats-Unis /...
<p style="text-align: justify;">(William Friedkin / Etats-Unis / 1973 & John Boorman / Etats-Unis / 1977)</p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">■■■□</span> / <span style="font-size: medium;">■□□□</span></p><p style="text-align: justify;">A sa sortie, <em><strong>L'exorciste</strong></em> (<em>The exorcist</em>) fit un triomphe au box-office (fin 73 aux Etats-Unis et à la rentrée 74 en France). En 77/78, <em><strong>L'exorciste II : L'hérétique</strong></em> (<em>The exorcist II : The heretic</em>), après un bon démarrage, s'effondra rapidement. La critique française, dans son ensemble, reçu avec mépris le film de Friedkin. Celui de Boorman, bien que malmené lui aussi, trouva en revanche plusieurs défenseurs acharnés. Je n'avais encore jamais vu <em>L'hérétique</em> et, malgré la forte impression que m'avaient laissés, adolescent, <em>French Connection</em> et <em>L'Exorciste</em>, cette phrase lue dans <em>50 ans de cinéma américain</em> (Coursodon / Tavernier) m'est toujours restée en tête : "<em>Ces deux films ont la particularité d'avoir eu, l'un et l'autre, une suite nettement plus intéressante mais beaucoup moins lucrative</em>". Pour <em>Positif</em>, le second volet de <em>L'Exorciste</em>, signé d'un "auteur maison", surclassait alors largement le premier (couverture et 20 pages d'entretien en février 78). Pour <em>Télérama</em>, assez récemment encore, Boorman évitait "<em>le Grand-Guignol, les effets sonores et le réalisme ordurier dans lesquels Friedkin s'était vautré</em>". Cependant, depuis quelques années, la fortune critique des deux cinéastes semble avoir évolué de manière opposée. Friedkin, après une longue période de purgatoire a été remis au premier plan suite, notamment, à la réussite de <em>Bug</em> et a été progressivement ré-évalué par des critiques d'une autre génération, se rappelant probablement d'un choc de jeunesse (Thoret, Vachaud, <a href="http://www.kinok.com/index.php?option=com_content&view=article&id=340:critique-dvd-la-nurse-de-william-friedkin-avec-jenny-seagrove-dwier-brown&catid=34:chroniques-dvd">Maubreuil</a>...). La figure de Boorman, devient quand à elle de moins en moins visible, en partie à cause de la non-distribution en salles de ses deux derniers films en date. Malgré ce récent état de fait, je m'attendais donc à revoir tout d'abord un produit efficace mais douteux, voire répugnant, puis une œuvre profonde, inspirée et éminemment poétique de l'autre. Et il y a de ça. Seulement, au final, le jugement de valeur et l'intérêt suscité n'obéissent pas forcément à la logique de la supposée supériorité de l'imaginaire visionnaire sur l'horreur bassement réaliste.</p><p style="text-align: justify;"><img id="media-2589287" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/1234589335.jpg" alt="exorcist.jpg" />La première heure de <em>L'exorciste</em> relate très peu d'événements et place tout juste, de ci de là, quelques signes rendus volontairement énigmatiques par le défaut d'explication données, par l'éclatement spatio-temporel du récit et par la suspension de la plupart des séquences au sein desquelles ils apparaissent (nous retrouverons plus loin ce procédé). Il ne s'y passe donc pas grand chose mais ce prologue décrivant des fouilles archéologiques en Irak, ce suivi des faits et gestes d'un ecclésiastique en pleine crise de foi et ces scènes de famille à la teneur quasi-documentaire intriguent fortement par le parallélisme imposé par le montage. Friedkin joue du flottement et de l'attente du spectateur, multipliant en ces endroits les ellipses étonnantes (la mort de la mère du Père Karras, par exemple), reportant au plus tard possible le croisement des différentes trajectoires qu'il décrit. Ces trouées et ces prolongations nous laissent dans l'expectative, nous laissent aussi, parfois, dubitatifs (a-t-on là des défauts de construction ou pas ?). Mais le maillage tient pourtant, et l'étrange réalisme de Friedkin (ainsi que la qualité d'ensemble de l'interprétation) fait que l'on s'attache à ces personnages. Par conséquent - mais n'est-ce pas un mécanisme de protection de notre part, redoutant le pire, pourtant connu ? -, plus que la possession elle-même, ce sont les rapports de chacun (scientifique, prêtre, mère de famille) avec la notion d'exorcisme qui passionnent.</p><p style="text-align: justify;">La progression orchestrée par le cinéaste est infaillible, celui-ci sachant exactement comment atteindre son but : estomaquer le spectateur. Au calme plat de la première partie, succède une montée de la tension par paliers, avant les débordements de la dernière demi-heure. L'univers du film, si éclaté au départ, se compresse progressivement à l'échelle de la maison de Georgetown et de la chambre de Regan, décor qui nous est remarquablement rendu présent.</p><p style="text-align: justify;">Friedkin réaliste, mais aussi, Friedkin accrocheur (raccoleur ?). Afin de nous saisir, il n'hésite aucunement à avoir recours à une esthétique du choc. La surenchère ordurière, verbale et physique, ne l'effraie pas (de là vient le rejet des critiques de l'époque : la "vulgarité" du style), la recherche de l'effet non plus. Il n'est dès lors pas étonnant que le film marque autant l'esprit à la première vision. A la seconde, se remarque l'usage d'un procédé expliquant lui aussi l'impact : Friedkin coupe toutes ses séquences à sensation à leur acmé, refusant de les laisser retomber, ne les laissant jamais se dénouer, enchaînant brutalement sur un autre lieu. D'où l'état de sidération du spectateur.</p><p style="text-align: justify;">L'efficacité et le spectaculaire assurent le maintien du statut de classique (malgré le fait que celui-ci ne soit finalement plus vraiment terrifiant). Ils ont aussi tendance à brouiller partiellement la réflexion. Le fond idéologique de <em>L'exorciste</em> apparaît trouble, peu aimable, sans que, là aussi, on ne distingue très bien ce qui échappe à Friedkin et ce qui lui est propre. Ce sont les médecins qui proposent l'exorcisme à la mère de Regan et les prêtres se sacrifient pour aider les flics à faire leur boulot. Science, religion et police ne s'opposent jamais, ne s'excluent pas mais s'épaulent pour le retour à l'ordre.</p><p style="text-align: justify;">Mais les soubassements douteux n'aboutissent pas toujours à de mauvais films...</p><p style="text-align: justify;"><img id="media-2589309" style="float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/01/536153880.jpg" alt="heretic.jpg" />... et les bonnes intentions suffisent rarement à faire les meilleurs.</p><p style="text-align: justify;"><em>L'hérétique</em> semble d'abord s'engouffrer dans l'une des zones d'ombre du précédent. Un nouveau protagoniste, le Père Lamont (Richard Burton, perdu), doit enquêter sur les circonstances exactes de la mort du Père Merrin, quatre ans auparavant. Pour cela, par télépathie, il voyage dans les souvenirs de Regan et se retrouve propulsé dans plusieurs dimensions, prenant part à une lutte entre le bien et le mal, lutte aux racines ancestrales (africaines) déjà étudiées par le Père Merrin (Max Von Sydow rempile donc pour quelques flash backs).</p><p style="text-align: justify;">En 77, les admirateurs de Boorman n'ont qu'un mot à la bouche : "Visionnaire". La conscience qu'en a le cinéaste lui-même se traduit par plusieurs choix.</p><p style="text-align: justify;">Tout d'abord, l'image doit constamment se dépasser elle-même pour accéder à un état de transe cinématographique. La technique est à la pointe (steadycam utilisée pour la première fois dans des séquences aussi longues), les décors sont stylisés (nature africaine recréée en studio) et futuristes (le laboratoire et l'appartement de Regan sont si modernes qu'ils en paraissent aujourd'hui affreusement démodés), les acteurs sont poussés vers la tension immédiate, l'éclat fiévreux, l'expression sans détour. Le risque est grand car si la transe n'est pas partagée par le spectateur, le mouvement créé devient simple manège.</p><p style="text-align: justify;">Ensuite, ce cinéma hyper-visuel est supposé faire avaler toutes les aberrations du scénario. L'effacement poétique des distances par la mise en scène ne rend pas moins incohérents les rebondissements et les allers-retours des personnages entre New York et Washington, entre l'Ethiopie et les Etats-Unis. De plus, à trop travailler l'image, il arrive que l'on en oublie d'écrire des dialogues un tant soit peu corrects et crédibles.</p><p style="text-align: justify;">Enfin, Boorman, qui fait alors son film contre le premier volet (il ne l'aime pas), sait voir au-delà de l'illusion religieuse et de la raison scientifique. Ici, les deux blocs (la police est absente, l'institution, le social, n'intéressent pas le cinéaste) sont réellement renvoyés dos à dos et dépassés par une force plus haute, plus poétique, métaphysique. Cela nous vaut un salmigondis extra-sensoriel qui rend incompréhensible le déroulement du récit dans son final (faute d'attention de notre part aussi, certainement).</p><p style="text-align: justify;">Un point positif ? Boorman parvient à révéler l'érotisme d'une Linda Blair qui a bien grandi, d'abord subtilement en la filmant régulièrement en chemise de nuit valorisante avant de le faire plus franchement lors du dénouement qui la jette, provocante et possédée, dans les bras de Burton.</p><p style="text-align: justify;">Personnellement, <em>L'hérétique</em> m'apporte une confirmation : John Boorman est tantôt génial ou du moins excellent (<em>Le point de non retour, Duel dans le Pacifique, Leo the last, Délivrance, Hope and glory, Le Général, Tailor of Panama</em>), tantôt terriblement assommant (<em>Zardoz, L'hérétique, La forêt d'émeraude, Rangoon</em>). Il ne connaît pas l'entre-deux.</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlLa rage du tigretag:nightswimming.hautetfort.com,2010-06-13:27852712010-06-13T19:33:00+02:002010-06-13T19:33:00+02:00 (Chang Cheh / Hong-Kong / 1971) ■□□□ Depuis le lancement de ce blog,...
<p style="text-align: justify;">(Chang Cheh / Hong-Kong / 1971)</p> <p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">■□□□</span></p> <p style="text-align: justify;">Depuis le lancement de ce blog, de fidèles commentateurs, et non des moindres (Julien, l'ami Vincent d'<a href="http://inisfree.hautetfort.com/">Inisfree</a>, peut-être même notre bon <a href="http://drorlof.over-blog.com/">Dr Orlof</a>), ont profité de diverses occasions (la recension d'un <a href="http://nightswimming.hautetfort.com/archive/2009/08/20/inglourious-basterds.html">Tarantino</a> et de deux <a href="http://nightswimming.hautetfort.com/archive/2010/04/16/baby-cart.html#c6048581">Misumi</a>, entre autres...) pour chanter les louanges de Chang Cheh et de sa fameuse <i><b>Rage du tigre</b></i> (<i>Xin du bi dao</i>). Mes réponses furent à chaque fois quelque peu évasives. Aussi, afin de clarifier autant que possible ma pensée, j'ai décidé de retranscrire ici les brèves notes que j'ai pu écrire à l'époque de ma découverte du film, en mai 2006. Je vous les livre sans aucune modification et en assumant parfaitement la démarche, à la limite de la mauvaise foi, qui consiste à évoquer succinctement mais avec beaucoup de réserves un film non revu depuis quatre ans et à se placer ainsi dans une position rendant pratiquement impossible tout débat...</p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/01/156651571.jpg" id="media-2507236" alt="laragedutigre.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" />"<i>Seules deux scènes retiennent l'attention, et encore... la première est un flash : la mort du chevalier, écartelé par quatre cordes et coupé en deux d'un coup de sabre. La deuxième est l'ultime duel sur le pont, déjà jonché de plusieurs dizaines de cadavres, combattants zigouillés par le héros manchot. Le coup final porté grâce à l'usage de trois sabres (pour un seul bras) est assez beau car il explique d'autres scènes de jonglerie avec des oeufs ou des ustensiles de cuisine qui paraissaient ridicules.</i></p> <p style="text-align: justify;"><i>Il faut quand même être bien indulgent pour admirer ce film de série. Notons qu'en 1971, si on ne volait pas encore vraiment pendant les combats, il y avait déjà des bonds de plusieurs mètres assez improbables. Dernier léger intérêt : le dialogue incessant entre films de sabre asiatiques et western italien (hyper-violence, musique, thème de la vengeance).</i>"</p> <p style="text-align: justify;">Voilà, c'est dit...</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlBlue collartag:nightswimming.hautetfort.com,2010-06-03:27738432010-06-03T22:56:00+02:002010-06-03T22:56:00+02:00 (Paul Schrader / Etats-Unis / 1978) ■■□□ Le cadre est celui de la...
<p>(Paul Schrader / Etats-Unis / 1978)</p> <p><span style="font-size: medium;">■■□□</span></p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/02/2123205565.2.jpg" id="media-2494616" alt="bluecollar.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" />Le cadre est celui de la ville industrielle de Detroit : ses usines d'automobiles, ses bars, ses rues bordées de pavillons, bref, tous les endroits que fréquentent les ouvriers. Nous suivons trois d'entre eux, trois amis, deux Noirs et un Blanc, qui, épuisés par les cadences, les exigences des petits chefs et les remboursements de crédits, décident de réaliser un casse au siège de leur propre syndicat. Le butin ne sera pas à la hauteur de leurs attentes et leur attirera au contraire de gros ennuis puisque l'un des documents récupérés leur révèlera les graves irrégularités dont l'organisation s'est rendue coupable.</p> <p style="text-align: justify;">S'il n'est pas absolument passionnant, <b><i>Blue collar</i></b>, premier long métrage dirigé par Paul Schrader, est intéressant. Ce sont d'abord l'approche réaliste, la sobriété du filmage et le ton adopté, celui de la chronique, qui surprennent chez un (futur) cinéaste plutôt réputé pour son maniérisme. Dès le formidable <a href="http://www.youtube.com/watch?v=buggmz5mz9M">générique</a> de début, calant les percussions du blues de Captain Beefheart sur les bruits assourdissants de la chaîne de montage des véhicules, la capacité de Schrader à filmer le monde ouvrier réellement de l'intérieur est évidente. Toute la première partie, la meilleure, est ainsi une succession de scènes de la vie quotidienne, au rythme des allers-retours entre le bar, l'atelier et la maison familiale. Comme dans toute chronique, les registres se mêlent, allant de la farce désespérée (Zeke qui présente au contrôleur des impôts des enfants qui ne sont pas les siens) au drame humain en passant par les moments de détente entre potes. Par la suite, s'effectue un virage prononcé vers le thriller paranoïaque, avec son cortège de trahisons et de compromissions traduisant avec un peu trop d'ostentation les intentions morales de l'auteur.</p> <p style="text-align: justify;">Sans chercher à nier la facilité qu'il peut y avoir à recourir à cette formule, je dirais que <i>Blue collar</i> est avant tout un film de scénariste. Les situations et les personnages sont dessinés avec précision, sans manichéisme mais avec parfois un peu trop de clarté (la discussion autour du passé de taulard de Smokey, la caractérisation familiale très différenciée de chacun des trois protagonistes...). De plus, les quelques pics dramatiques ne sont guère portés par la mise en scène, beaucoup plus discrète que ne le laissait soupçonner l'introduction du film. Du coup, les coutures n'en sont, à certains endroits, que plus apparentes : dans la "préparation" de la décision concernant le casse avec l'accumulation de déboires financiers et l'accentuation de la pression au travail ou dans la présentation d'un personnage secondaire mais que l'on devine vite important et destiné à revenir avant le terme du récit.</p> <p style="text-align: justify;">Le film peut donc difficilement être qualifié de brillant mais son cadre et son sujet méritent l'attention, ainsi que sa dimension politique, glissante, ambiguë, pessimiste, Schrader voyant dans la responsabilité individuelle la seule issue possible dans un monde où toute organisation, y compris celles supposées être au service des plus vulnérables, ne sert au final que ses dirigeants.</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlBaby Cart 1 & 2tag:nightswimming.hautetfort.com,2010-04-17:27059612010-04-17T18:23:00+02:002010-04-17T18:23:00+02:00 Baby Cart : Le sabre de la vengeance ( Kozure Okami : Ko wo kashi ude...
<p><i><b>Baby Cart : Le sabre de la vengeance</b></i> (<i>Kozure Okami : Ko wo kashi ude kashi tsukamatsuru</i>) (Kenji Misumi / Japon / 1972) <span style="font-size: medium;">■□□□</span></p> <p><b><i>Baby Cart : L'enfant massacre</i></b> (<i>Kozure Okami : Sanzu no kawa no ubaguruma</i>) (Kenji Misumi / Japon / 1972) <span style="font-size: medium;">■□□□</span></p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/1739443705.jpg" id="media-2409068" alt="babycart.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" />Bon, je n'aime pas beaucoup ça...</p> <p style="text-align: justify;">Le premier volet de la série, afin de poser les bases, est laborieusement charcuté pour intégrer le long flash-back nous éclairant sur ce qui a poussé le grand samouraï Ogami Itto à devenir un mercenaire errant avec son enfant en landau. Ainsi, le récit principal, réduit à la portion congrue, n'avance jamais et le mot "fin" arrive en laissant un goût d'inachevé. Est-ce pour mieux façonner les caractères et déployer une narration plus ample par la suite ? Absolument pas. Le deuxième film reprend le schéma qui sera, semble-t-il, reproduit dans toute la série : le héros monnaye ses talents de bretteur à travers le pays pour quelque mission dangereuse alors que, dans le même temps, des hommes de main au service du clan qui veut sa mort s'acharnent sur lui.</p> <p style="text-align: justify;">Ici, tout est au-delà de la caricature, jusqu'au ridicule pour ce qui est des personnages. Comment deviner l'issue d'un affrontement ? Celui qui grimace sans cesse est le méchant, il finira coupé en deux. Celui qui reste impassible est le bon, il s'en sortira en un éclair. Trouvant leur origine dans un célèbre manga, les films illustrent des cases sans aucun souci de progression dramatique. L'effet le plus désagréable est ressenti lors de la séquence interminable et effectivement cartoonesque des traquenards successifs tendus au samouraï, le long d'un seul chemin, par un groupe de ninjas féminins.</p> <p style="text-align: justify;">Misumi pousse ainsi le film de sabre vers la parodie, tout en se prenant très au sérieux et c'est, je pense, cette position intenable qui me dérange. Rions avec les connaisseurs qui se repaissent du second degré et laissons les spectateurs basiques se satisfaire du premier... Le recours au gore se fait dans le même état d'esprit : en fonction du public, l'hyper-violence peut rebuter ou faire rire. Il est toujours possible de laisser flotter cette incertitude, mais au moins, celle-ci doit déboucher sur une réflexion, être intégrée au discours produit par le film, ce qui n'est pas le cas ici. De la même façon, Misumi expérimente constamment dans les cadrages, le rythme, la lumière et la bande-son mais se moque-t-il du cinéma moderne ou veut-il en faire partie ?</p> <p style="text-align: justify;">Forcément, au milieu de ce feu d'artifice aussi vain que désordonné, il est arrivé qu'une idée, une composition, plus rarement une scène entière (celle du combat autour du puits dans le deuxième épisode, par exemple), me plaisent. Mais je ne peux guère m'intéresser à ce type d'ouvrage exclusivement pensé en termes de "trucs" de mise en scène ou de scénario.</p> <p style="text-align: justify;">Arte a diffusé ces jours-ci les six épisodes de la série. Epuisé au bout du deuxième, j'ai déclaré forfait pour le reste...</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlLes contes de Canterburytag:nightswimming.hautetfort.com,2010-04-03:26825482010-04-03T19:22:00+02:002010-04-03T19:22:00+02:00 (Pier Paolo Pasolini / Italie - Grande-Bretagne - France / 1972) □□□□...
<p style="text-align: justify;">(Pier Paolo Pasolini / Italie - Grande-Bretagne - France / 1972)</p> <p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">□□□□</span></p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/01/941655912.jpg" id="media-2372220" alt="contescanterbury.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" />Tout est disjoint, rien ne raccorde. Cinéma de poésie m'objectera-t-on. Mais encore faudrait-il parvenir à créer un choc ou un flux. Or il ne subsiste ici qu'un déséquilibre entre chaque chose et finalement, une faille, un vide, un ennui. En premier lieu, le montage ne fait qu'heurter les plans les uns aux autres dans le sens où, même lorsqu'est posé un simple champ-contrechamp, même lorsqu'est organisé un échange de regards, jamais les personnages ne semblent se situer dans le même espace, dans le même temps. Le film débute dans une cour, au milieu du peuple, et dès la première séquence, le découpage échoue à établir une continuité spatiale et à décrire visuellement les liens qui unissent les personnages.</p> <p style="text-align: justify;">Tout le long, le style sera approximatif. Ici un panoramique sur une foule semble hésitant et sans objet. Là un insert en plan rapproché plein écran casse brusquement le principe d'une scène de voyeurisme selon lequel nous avons les bords de l'image obstrués et délimitant ainsi une fente. Alternativement, le cadre est fixe ou tremblé en caméra portée, d'un plan à un autre, sans raison puisqu'ils sont de même nature. Plus largement, les transitions entre chaque conte (écrits au XIVe siècle par Geoffrey Chaucer) se font de manière aléatoire, l'un pouvant être accoler au précédent sans crier gare tandis qu'un troisième sera introduit par l'écrivain, interprété par Pasolini lui-même, affichant continuellement un sourire satisfait.</p> <p style="text-align: justify;">Seul signe de richesse visible, avec le nombre de figurants, de cette production Alberto Grimaldi, les éclatants et extravagants costumes jurent devant les décors réels et sombres datant du moyen-âge. Premier plan et arrière plan ne raccordent donc pas non plus. Tourné en Angleterre, le film mélange acteurs italiens et britanniques, tous poussées vers le grotesque et doublés grossièrement (comme toutes les co-productions de ce type, peut-on parler d'une version originale ?). Malgré la présence de Laura Betti ou de Franco Citti, on ne peut d'ailleurs guère parler d'interprétation. Les actrices ont été choisies pour leur plastique et leur promptitude à se dénuder. Du côté des hommes, le monde se sépare en deux catégories : d'une part, les vieillards à trogne et, d'autre part, les éphèbes aux tendances homosexuelles dont Pasolini ne se lasse pas de filmer les sexes. Tous parlent et rient très fort, entre deux airs populaires fatigants.</p> <p style="text-align: justify;">Comme nous sommes dans le deuxième volet de la "trilogie de la vie" imaginée par le cinéaste (après <i>Le Décaméron</i>, moins pénible mais pas beaucoup plus enthousiasmant dans mon souvenir, et avant <i>Les mille et une nuits</i>, que je ne connais pas), on baise, on pète, on pisse, on chie, on dégueule, toujours avec entrain. Geste radical, osé, bravache, que celui de Pasolini, certes. Malheureusement, même dans le décorum et sous les mots du XIVe, la vulgarité reste sans nom et l'humour graveleux désole autant que celui d'un film de bidasses. Et si un épisode cherche à s'élever au niveau du burlesque, c'est en infligeant un hommage débile et interminable à Chaplin (Ninetto Davoli, portant chapeau melon et canne, sème la pagaille, cours en accéléré et balance une tarte à la crème, tout cela, bien sûr, toujours au moyen-âge).</p> <p style="text-align: justify;">L'effet de signature n'est pas un piège propre à notre époque : pour ces <b><i>Contes de Canterbury</i></b> informes et sinistres, Pasolini obtint l'Ours d'or de la mise en scène à Berlin en 1972. La même année, sortait <i>Fellini-Roma</i>. Une toute autre chose...</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlMoïse et Aarontag:nightswimming.hautetfort.com,2010-03-04:26350552010-03-04T13:43:00+01:002010-03-04T13:43:00+01:00 (Danièle Huillet et Jean-Marie Straub / Allemagne - Autriche - France -...
<p style="text-align: justify;">(Danièle Huillet et Jean-Marie Straub / Allemagne - Autriche - France - Italie / 1975)</p> <p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">■■□□</span></p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/02/1960182333.jpg" alt="moiseetaaron.jpg" id="media-2313383" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" /><em><strong>Moïse et Aaron</strong></em> (<em>Moses und Aron</em>) est l'adaptation d'un opéra inachevé d'Arnold Schönberg. La première réflexion que l'on se fait devant ce film, c'est que les Straub n'ont pas cherché à tirer l'opéra vers le spectacle cinématographique, contrairement aux autres cinéastes ayant tenté ce genre d'expérience comme Losey ou Rosi (le premier y parvenant, dans mon souvenir, mieux avec <em>Don Giovanni</em> que le second avec <em>Carmen</em>). Le plan long, la caméra fixe et les acteurs immobiles sont la règle, souffrant de peu d'exceptions. Les cinéastes inventent le cadrage de "trois-quart dos". L'écran peut rester noir deux ou trois minutes.</p> <p style="text-align: justify;">En somme, nous voilà forcés de prêter toute notre attention à la musique. Celle-ci est si complexe, si difficile parfois, aux oreilles du novice, que cette obligation trouve sa justification. Rarement, donc, aura-t-on mieux entendu un opéra (à défaut, sans doute, de le comprendre entièrement).</p> <p style="text-align: justify;">Toutefois, la radicalité des parti-pris de mise en scène nous met sérieusement à l'épreuve. Elle signale avant tout une série de refus tout près de provoquer l'exclusion du spectateur : refus du contre-champ (les chœurs répondant au soliste sont très rarement montrés et jamais de façon frontale, classique), refus de la représentation des actes, refus de l'ellipse musicale (d'où un sentiment de longueur et de répétition), refus du décor (nous sommes dans l'épure des ruines antiques), refus de l'identification (à l'exception de Moïse et Aaron, gratifiés de quelques plans rapprochés, tous les autres protagonistes sont laissés à distance). Dans ce contexte, le mouvement d'un acteur, un panoramique, l'insertion d'un gros plan résonnent comme un coup de tonnerre. La rareté de ces événèments font qu'ils se chargent immédiatement de sens, le souci étant que celui-ci nous échappe régulièrement. Lorsque la caméra se rapproche tout à coup d'Aaron, nous sentons bien que ses propos sont d'importance mais lorsqu'elle recadre longuement, en bout de plan, les marches d'un monument, nous nous trouvons quelque peu coincés entre incompréhension et vanité.</p> <p style="text-align: justify;">Or, à mi-chemin, un léger changement intervient. Revenons au livret de Schönberg. Moïse reçoit la parole divine et se trouve chargé de la transmettre au peuple d'Israël (vivant en Egypte sous le joug du Pharaon), par l'intermédiaire d'Aaron. Lorsque Moïse passe plusieurs jours dans la montagne afin de recueillir les lois et le droit, les nouveaux croyants se sentent abandonnés. Aaron détourne alors la parole de Moïse pour restaurer la confiance. Il propose au peuple une représentation de Dieu, plus facile à identifier et à idolâtrer que l'entité invisible et éternelle. Il laisse hommes et femmes déposer leurs richesses au pied de l'idôle et s'adonner aux plaisirs. A partir de ce moment-là, les cinéastes commencent à donner à voir des actions, certes distanciées mais clairement identifiables : meurtre, procession, sacrifice, offrande, danses. Le style reste solennel mais le sens des images perce mieux.</p> <p style="text-align: justify;">Le retour de Moïse et sa confrontation avec Aaron va finir de l'éclaircir. Il s'agit en fait d'une lutte entre l'idée et l'image. Moïse s'évertue à faire accepter l'idée de Dieu directement alors qu'Aaron estime que le peuple ne peut la recevoir telle quelle et doit être mis face à une représentation concrète du divin. Déjà intéressante en soi, cette opposition illumine d'un coup le film puisqu'elle redouble de manière évidente l'interrogation de Straub et Huillet : le spectateur est-il capable de saisir l'idée ou doit on lui présenter à travers une médiateur, c'est-à-dire un récit, une esthétique, un effet de mise en scène, autant d'éléments qui définissent le cinéma "traditionnel".</p> <p style="text-align: justify;">L'ultime séquence du film, très belle et dépourvue de musique, voit en quelque sorte la victoire de Moïse sur Aaron et donc... celle des Straub qui semblent partager les visées du premier. Pour ma part, esthétiquement, j'adhérerai plutôt à la version "aaronienne" des choses. Le film a le mérite de présenter dialectiquement les deux propositions et stimule ainsi la réflexion. Le chemin est long et difficile mais il ne faut surtout pas s'arrêter en route, pour ne pas rester sur une impression de pénibilité.</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlNanni Moretti (coffret dvd : les premiers films)tag:nightswimming.hautetfort.com,2010-02-26:26026432010-02-26T20:13:00+01:002010-02-26T20:13:00+01:00 Je suis un autarcique ( Io sono un autarchico ) (Nanni Moretti / Italie...
<p style="text-align: justify;"><i><b>Je suis un autarcique</b></i> (<i>Io sono un autarchico</i>) (Nanni Moretti / Italie /1976) <span style="font-size: medium;">■□□□</span></p> <p style="text-align: justify;"><i><b>Ecce Bombo</b></i> (Nanni Moretti / Italie /1978) <span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">□□</span></p> <p style="text-align: justify;"><i><b>Sogni d'oro</b></i> (Nanni Moretti / Italie /1981) <span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">□</span></p> <p style="text-align: justify;"><i><b>La Cosa</b></i> (Nanni Moretti / Italie /1990) <span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">□□</span></p> <p style="text-align: justify;"><i><b>Le jour de la première de Close-up</b></i> (<i>Il giorno della prima di Close up</i>) (Nanni Moretti / Italie /1995) <span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">□□</span></p> <p style="text-align: justify;"><i><b>Le cri d'angoisse de l'oiseau prédateur</b></i> (<i>Il grido d'angoscia dell'uccello predatore (20 tagli d'Aprile)</i>) (Nanni Moretti / Italie /2002) <span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">□□</span></p> <p style="text-align: justify;"><i><b>Le journal d'un spectateur</b></i> (<i>Diaro di uno spettatore</i>) (Nanni Moretti / Italie /2007) <span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">□□</span></p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/1250528133.jpg" id="media-2303728" alt="moretti00.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" />Connaissez-vous Michele Apicella ? Vous devez au moins le revoir en jeune député adepte du water-polo (<i>Palombella rossa</i>, 1989)... Avec ce coffret, les Editions Montparnasse ont eu la bonne idée de nous permettre de remonter la piste jusqu'aux premières "vies" de notre homme, qui en connut beaucoup. On le découvre donc ici en comédien de théâtre d'avant-garde, en acteur de cinéma underground puis en cinéaste à la mode. Oui, celui-là même qui sera plus tard professeur de mathématiques (<i>Bianca</i>, 1984) et curé, sous le nom de Don Giulio (<i>La messe est finie</i>, 1985).</p> <p style="text-align: justify;">Au cours d'une émission de télévision, qui constitue le morceau de bravoure de <i>Sogni d'oro</i>, Michele s'exclame "<i>Je suis le cinéma, je suis le plus grand !</i>". Ils furent nombreux, dès ses premiers essais et surtout dans les années 80 et 90, ceux qui prirent ces propos pour argent comptant, jusqu'à faire de son créateur-interprète-réalisateur, Nanni Moretti, le génial et unique représentant du cinéma italien. Il est vrai que les coups de pied donnés dans la fourmilière transalpine par le jeune cinéaste (23 ans à l'époque du premier long métrage) furent dès le départ très vigoureux et particulièrement surprenants.</p> <p style="text-align: justify;">Ce qui frappe en effet, de <i>Je suis un autarcique</i> à <i>Sogni d'oro</i>, c'est d'une part la méchanceté dont peut faire preuve à l'occasion Michele-Nanni et d'autre part la nature de ses cibles, peu habituées à recevoir de telles critiques dans un cadre cinématographique. Le héros morettien, qui n'est "<i>jamais doux</i>", comme le lui fait remarquer sa femme, est un être souvent au bord de la dépression, cassant, donneur de leçons, tyrannique avec son entourage. La famille est en première ligne. D'un film à l'autre, on entend son envie d'étrangler son petit garçon, on le voit gifler son père ou violenter sa mère. Dans <i>Sogni d'oro</i>, sur son plateau de cinéma, il frappe continuellement son assistant. A cette violence détonante envers les proches s'ajoute des piques féroces, lancées au détour d'une conversation, à l'encontre d'icônes nationales (Nino Manfredi, Alberto Sordi) ou de collègues (Lina Wertmüller). Si le cinéma de Moretti a tant marqué les esprits en Italie, dès ses débuts, c'est en grande partie parce qu'il se permettait d'aller, sur bien des points, contre les convenances. En un sens, pour ce qui est du regard porté sur le monde culturel, Nanni Moretti a filmé ce qu'il aurait pu écrire ailleurs, déplaçant une démarche critique du papier à la pellicule.</p> <p style="text-align: justify;">La faible distance qu'a gardé le cinéaste entre lui-même et son double de fiction explique également la répercussion qu'ont eu ses travaux. Sans réaliser encore, à cette époque, de véritable film "à la première personne", il adopte déjà le ton du journal intime ou du moins, fait ressentir fortement l'impression de vécu. En effet, Moretti ne parle que de ce qu'il connaît parfaitement et ses critiques sont formulées de l'intérieur : il est dans la petite bourgeoisie romaine, dans la gauche italienne, dans le monde du cinéma. Ce choix implique que l'auteur lui-même reçoive sa part de reproches et, effectivement, l'auto-ironie de Nanni Moretti est constante, repoussant ainsi le spectre du ressentiment fielleux.</p> <p style="text-align: justify;">Aussi passionnante soit-elle, la découverte groupée de ses trois premiers films laisse tout de même penser que, vu séparément et de manière totalement détachée des autres, chaque titre ne doit pas avoir la même prestance. En tout cas, une progression qualitative se dessine de façon évidente et le résultat donne raison à Moretti qui aimait à dire, dans les années 80 : "<i>J'espère faire toujours le même film, si possible toujours plus beau</i>".</p> <p style="text-align: justify;"><i><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/01/248985244.jpg" id="media-2303719" alt="autarcique5.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" /><b>Je suis un autarcique</b></i> laisse ainsi mitigé. Soumis aux contraintes du super-8 (brièveté des plans, fixité du cadre et absence de son direct), il prouve qu'avec peu, on peut arriver à faire sinon beaucoup, du moins quelque chose. Il est certain qu'entre deux blagues de potaches (très cultivés), Moretti parvient à capter un air du temps et, par moments, un mouvement réellement cinématographique mais son film est avant tout une succession de sketchs donnant une (fausse) impression d'improvisation entre amis. Peu séduisante esthétiquement, l'œuvre donne à voir plusieurs tentatives burlesques peu vigoureuses et mal assurées. Si l'on sourit assez souvent devant cette satire du théâtre d'avant-garde, on s'ennuie aussi parfois, comme lors d'un interminable stage en plein air. De plus, <i>Je suis un autarcique</i> est un film qui s'auto-analyse constamment, via l'aventure théâtrale qu'il raconte, qui s'auto-critique et qui finit par épuiser en quelque sorte la capacité personnelle du spectateur à juger par lui-même.</p> <p style="text-align: justify;"><i><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/02/595881076.jpg" id="media-2303721" alt="ecce5.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" /><b>Ecce Bombo</b></i>, qui pourrait être la suite du précédent, permet de retrouver les mêmes acteurs, regroupés ici en un club d'auto-conscience. L'observation d'un milieu est toujours la principale qualité du film mais la vision s'élargit, se faisant plus générationnelle, moins chargée de références et donc moins soumise à l'incompréhension due à l'éloignement dans le temps. La construction se fait à nouveau par saynètes mais celles-ci sont plus harmonieusement liées et plus fermement mises en scène. La distanciation de certaines est appréciable, Moretti entamant presque un dialogue direct avec le spectateur et utilisant la musique, la télévision et le cinéma comme autant d'éléments médiateurs de sa réflexion. Le désœuvrement et l'apathie de la jeunesse qu'il dépeint sont savoureusement moqués sans toutefois parvenir à éviter totalement un certain affaissement du récit. Le glissement vers la gravité qui s'opère alors donne au film de l'ampleur mais en diminue la vigueur. Le meilleur d'<i>Ecce Bombo</i> est à chercher en fait là où Nanni-Michele est le plus insupportable : en famille, entre les cris et les giffles.</p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/02/1007160304.jpg" id="media-2303722" alt="sogni5.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" />Moretti a réalisé avec beaucoup plus de moyens <b><i>Sogni d'oro</i></b>. A lui Cinecitta, la Dolly et les mouvements d'appareils complexes... Le ton et les thèmes restent pourtant globalement les mêmes : difficultés à communiquer avec les autres autrement que par la violence des mots et des gestes, douleur de filmer, douleur de vivre. Entre les rires diffuse une tristesse certaine qui, alliée à une critique dévastatrice de la télévision, libère un parfum fellinien, le cinéaste des <i>Vitelloni</i> et de <i>Ginger et Fred</i> étant d'ailleurs le seul grand nom cité, explicitement ou pas, dans ces trois films de Moretti, sans aucune méchanceté. Avantageusement, le jeu avec les codes du cinéma remplace souvent, dans <i>Sogni d'oro</i>, les allusions à telle ou telle personnalité culturelle de l'époque. Le propos s'approfondit et la narration se complexifie. Des chutes de tension persistent mais se font moins brutales que par le passé et, gagnant en fluidité, le récit se fait enfin totalement cinématographique. Il reste à Moretti encore un peu de chemin à faire, à éviter notamment que certains gags ne tombent à plat. Avec <i>Sogni d'oro</i>, son cinéma est tout de même, cette fois, bien en place.</p> <p style="text-align: justify;">La jaquette du présent coffret, qui annonce les "premiers films de Nanni Moretti", est pour un quart trompeuse. En effet, les courts métrages compilés ne sont pas, comme l'on pouvait s'y attendre, les premières tentatives du cinéaste (<i>La sconfitta</i>, 1973, <i>Pâté de bourgeois</i>, 1973, <i>Comi parli frate ?</i>, 1974) mais un groupe de films réalisés entre 1989 et 2007, soit bien après les "débuts". Si chacun présente un intérêt, cette rupture temporelle met à mal la cohérence éditoriale et il aurait été plus appréciable de disposer sur la quatrième galette de <i>Bianca</i>, dernier long métrage méconnu, avant la reconnaissance internationale apportée par <i>La messe est finie</i> (mais il est vrai que le film est édité par ailleurs).</p> <p style="text-align: justify;"><i><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/00/950535036.jpg" id="media-2303725" alt="oiseau1.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" /><b>Le jour de la première de Close-up</b></i> est une amusante pastille (déjà présente dans l'édition dvd du film d'Abbas Kiarostami), une poignée de scènes comiques, basées sur le perfectionnisme de Nanni Moretti directeur de salle de cinéma. Ce court souffre tout de même quelque peu d'un tournage en vidéo plutôt "relâché". Les trois minutes du <b><i>Journal d'un spectateur</i></b> (l'un des segments du programme collectif <i>Chacun son cinéma</i>) sont plus rigoureuses. Assis au milieu de salles vides, Moretti se rappelle de quelques projections mémorables, de celle du <i>Ciel peut attendre</i> à celle de <i>Rocky Balboa</i>. S'affirment là son sens du cadrage et son don pour la chute. <b><i>Le cri d'angoisse de l'oiseau prédateur</i></b> est lui un montage de 25 minutes réalisé à partir de séquences non retenues pour <i>Aprile</i> (1998). Malgré la recherche d'une chronologie, ce bout à bout peine à se muer en récit véritable. Le long métrage était lui-même construit de manière assez libre et son appendice propose une série de scènes et d'allusions pas toujours faciles à saisir. Il faut donc y picorer, souvent avec bonheur, comme lorsque l'on retrouve cette image restée dans les mémoires de Moretti tenant son bébé endormi sur son épaule et qui discoure cette fois sur le nouveau gouvernement de centre-gauche fraîchement installé au pouvoir.</p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/02/1230897791.jpg" id="media-2303726" alt="cosa2.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" />Dans le corpus mis en avant ici, <b><i>La Cosa</i></b> est un morceau de choix, par sa longueur et sa singularité. Il s'agit d'un "pur" documentaire, sans intervention du cinéaste à l'image ou sur la bande son, qui s'attache à enregistrer la parole des militants du Parti Communiste Italien pendant l'hiver 1989, au moment où ont lieu les secousses que l'on sait du côté de l'Europe de l'Est et où la question se pose d'un changement de nom et d'un glissement vers la sociale-démocratie. Le film, commençant de manière plutôt frustrante (les interventions sont coupées très courtes, au risque du catalogue), trouve peu à peu son rythme, s'appuyant sur les différences d'élocution, de parcours et de ressentis, éclairant le poids du passé et les craintes de l'avenir. Il faut accepter une certaine répétition et un dispositif rudimentaire et attendre les quelques secondes finales pour que Moretti laisse enfin sa patte sur le travail. Ce n'est pas grand chose : un brouhaha soudain après tant de discours posés, des bribes de conversation véhémentes, inaudibles. Cela suffit pour brouiller les pistes, pour glisser du scepticisme, pour garder cette position du poil à gratter de la gauche. Cela suffit aussi, dans notre optique, pour faire le lien avec les débuts du cinéaste, pour boucler la boucle de ce voyage chez Nanni Moretti.</p> <p style="text-align: right;"> </p> <p style="text-align: right;">Chronique dvd pour <a href="http://www.kinok.com/index.php?option=com_content&view=article&id=223&Itemid=83"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/02/1125680788.jpg" id="media-2303882" alt="logokinok.jpg" style="border-width: 0pt; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0pt; float: right;" /></a></p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlL'homme de marbretag:nightswimming.hautetfort.com,2009-11-16:24701582009-11-16T22:52:00+01:002009-11-16T22:52:00+01:00 (Andrzej Wajda / Pologne / 1977) ■■■□ En 76, Andrzej Wajda...
<p style="text-align: justify;">(Andrzej Wajda / Pologne / 1977)</p> <p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">■■■□</span></p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/01/76304714.jpg" alt="hommedemarbre.jpg" id="media-2104592" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" />En 76, Andrzej Wajda est, en quelque sorte, le cinéaste "officiel" de la Pologne, ce qui ne veut pas dire qu'il ménage le régime alors en place. Trop brûlant, le projet de <i><b>L'homme de marbre</b></i> (<i>Czlowiek z marmuru</i>) fut bloqué pendant treize ans. Avec aplomb, Wajda s'ingénie alors à traduire à l'intérieur-même de son film les difficultés qu'il a rencontré sur son propre chemin, en lui donnant la forme d'une enquête impossible, menée par Agnieszka, une jeune réalisatrice désireuse de se pencher, pour un travail de fin d'études en collaboration avec la télévision, sur la figure de Mateusz Birkut. Ce dernier fut, dans les années 50, l'un des "ouvriers de choc" mis sur un piédestal par le régime stalinien polonais. Du statut de héros populaire immortalisé dans le marbre et sur pellicule, Birkut passa brutalement à celui d'indésirable et finit par disparaître totalement de la circulation. Vingt ans plus tard, Agnieszka ausculte donc les archives filmées, rencontre des témoins toujours réticents, se heurte à sa hiérarchie et ne boucle pas son film... contrairement à Wajda.</p> <p style="text-align: justify;">La première qualité de ce long-métrage de 2h40 est une construction sans faille offrant à l'enquête une progression logique (de la découverte d'une sculpture reléguée dans un sous-sol de musée, à celle de diverses bandes cinématographiques, puis à la recherche des acteurs de l'époque) mais jamais répétitive. En effet, Wajda prend soin de ne pas articuler systématiquement chaque rencontre d'Agnieszka avec un flash-back explicitant les propos tenus et la moindre discussion peut ainsi relancer tout le récit (et notre intérêt).</p> <p style="text-align: justify;">Birkut apparaît tout d'abord tel que la propagande l'a montré, Wajda filmant alors son acteur (Jerzy Radziwilowicz) dans le plus pur style du réalisme soviétique. Ensuite, dans la partie qui se révèle la plus passionnante, le récit centré sur ce héros positif se poursuit en nous montrant, à la faveur de l'illustration de certains témoignages, l'envers du décor de ces mises en scène de propagande. Wajda filme ce passé-là de manière classique, en opposition à l'urgence qui caractérise la mise en scène du présent (celui d'Agnieszka). Enfin, dans la dernière partie, Birkut disparaît littéralement de l'écran, les témoignages ne parvenant plus à susciter son incarnation. Ce trou noir, cette incertitude sur toutes ces années, entre la disgrâce du héros et le dénouement de l'enquête, montrent bien la volonté qu'a eu Wajda de ne jamais tomber dans le manichéisme. Sur ce point, il n'y a qu'à voir également comment apparaît le personnage du cinéaste (Bursky) ayant façonné l'image de Birkut : par bien des aspects, c'est le moins séduisant du film. Or, cet homme, interviewé par Agnieszka, qui est accueilli comme un héros national à son retour d'un festival à l'étranger et qui laisse trôner sur sa bibliothèque quantité de récompenses cinématographiques n'est-il pas une projection de Wajda lui-même ?</p> <p style="text-align: justify;">Il est à noter enfin que ce dernier, avec <i>L'homme de marbre</i>, n'a pas seulement saisi l'occasion de bousculer le pouvoir en place, il a aussi décidé, d'une certaine manière d'en découdre avec ses collègues plus jeunes que lui, de ré-affirmer sa position dans le présent du cinéma polonais après une série d'œuvres tournées vers le passé. De cette envie irrépressible viennent sans doute les quelques scories du film, presque toutes liées à sa partie contemporaine, le regard de Wajda paraissant ambivalent par rapport à la jeunesse (les attitudes, les postures, la nervosité et l'hyper-activité du personnage d'Agnieszka, interprété par Krystyna Janda, désarçonnent régulièrement). De même, le filmage "moderne", avec caméra à l'épaule, est utilisé mais aussi moqué à l'occasion d'une boutade entre la réalisatrice et son technicien. Ces réserves n'entament toutefois l'ampleur et la force de l'œuvre que de façon très minime.</p> <p style="text-align: justify;">(Présenté au <a href="http://www.cinema-histoire-pessac.com/">Festival du Film d'Histoire de Pessac</a>)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlJe demande la paroletag:nightswimming.hautetfort.com,2009-11-15:24658192009-11-15T13:13:00+01:002009-11-15T13:13:00+01:00 (Gleb Panfilov / URSS / 1975) ■■□□ Elizaveta Ouvarova est une...
<p style="text-align: justify;">(Gleb Panfilov / URSS / 1975)</p> <p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">■■□□</span></p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/02/55928540.jpg" alt="jedemandelaparole.jpg" id="media-2099087" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" />Elizaveta Ouvarova est une ancienne championne de tir au pistolet, mariée et mère de deux enfants. Très impliquée politiquement, elle obtient la place de maire de sa ville. Elle s'investit totalement dans sa mission, décidée notamment à construire un pont et une ville nouvelle sur l'autre rive, cela au risque de négliger sa vie familiale.</p> <p style="text-align: justify;"><b><i>Je demande la parole</i></b> (<i>Proshu slova</i>), film soviétique de 1975, nous lance un double défi : esthétique et politique. Étrangement, tout commence par un accident dramatique auquel succède un retour en arrière. Tout le film tiendra donc dans ce long flash-back et s'en trouvera ainsi éclairé (ou plutôt assombri), sans toutefois se refermer au final, ni même revenir (ou plutôt anticiper) sur ce coup de tonnerre initial. Le style est réaliste, minimaliste, frontal, Gleb Panfilov refusant quasiment tout montage en laissant s'écouler le temps le long de plans-séquences fixes. On assiste aux tâches professionnelles ou domestiques d'Ouvarova : des conversations, des appels téléphoniques, des visites de logement ou de chantier. Il serait malhonnête de nier que, sur les 2h25 du métrage, l'ennui ne pointe son nez ici ou là, mais cette rigueur extrême de la mise en scène permet d'attacher toute son importance au moindre élément du décor et, par dessus-tout, d'admirer une grande comédienne à l'œuvre, Inna Tchourikova.</p> <p style="text-align: justify;">Une musique de film noir gronde de temps à autre sous la surface, un militaire s'enquiert de l'identité d'Ouvarova lorsqu'elle prend des photos de constructions moscovites, le personnage du mari est légèrement ridiculisé par ses tenues, ses postures et son amour immodéré pour le football, une réunion de crise à la mairie démontre que personne, à part l'héroïne, ne prend ses responsabilités face à un problème de relogement... Notre regard conditionné d'occidental croit lire dans ces signes une critique souterraine, un bon film soviétique étant, la plupart du temps, considéré comme tel uniquement s'il véhicule un message de dissidence. Il me semble au contraire que l'œuvre n'est en aucun cas dénonciatrice, elle tient plutôt du constat. Oui il y a des fissures dans le mur du HLM de la ville et des solutions alternatives sont à trouver, mais ce n'est pas le système qui est remis en cause. Panfilov ramène la figure du héros positif soviétique au niveau du réel, le confronte à aux contradictions de celui-ci. Au lieu de les nier, Ouvarova s'en sert, même si elles se révèlent à elle de façon douloureuse, pour avancer et pour prendre la parole. Suivre son parcours est une entreprise parfois ardue mais qui éclaire sur de nombreux aspects de la société soviétique de l'époque.</p> <p style="text-align: justify;">(Présenté au <a href="http://www.cinema-histoire-pessac.com/">Festival du Film d'Histoire de Pessac</a>)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlL'œuf du serpenttag:nightswimming.hautetfort.com,2009-10-22:24244892009-10-22T21:37:07+02:002009-10-22T21:37:07+02:00 (Ingmar Bergman / Etats-Unis - Allemagne / 1977) ■■■□ L'œuf du...
<p style="text-align: justify;">(Ingmar Bergman / Etats-Unis - Allemagne / 1977)</p> <p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">■■■□</span></p> <p style="text-align: justify;"><b><i><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/02/228641743.jpg" id="media-2057076" alt="oeuf5.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" />L'œuf du serpent</i></b> (<i>The serpent's egg</i>) titre mal-aimé de la filmographie bergmanienne, est une œuvre impure, soumise à une étonnante série de tiraillements qui nous retiennent de la placer aux côtés des plus grandes mais qui la rendent dans le même temps absolument captivante. Bien que le scénario fut écrit avant l'exil de Suède d'un Bergman poursuivi par l'administration fiscale et traîté sans ménagement par la presse de son pays, le tournage, effectué en Allemagne, sous les auspices généreux du producteur Dino de Laurentiis, permit au cinéaste de faire passer toute l'inquiétude que lui inspirait son déséquilibre mental de l'époque. Jamais il n'avait bénéficié d'un budget aussi conséquent, d'un temps de tournage aussi long et de moyens techniques aussi importants, notamment en termes de décors. En contrepartie, la limite la plus contraignante fut sans doute pour lui de tourner en anglais (et en allemand dans une moindre mesure).</p> <p style="text-align: justify;">Pour la première fois, Bergman situe très précisément un récit : exactement entre le 3 et le 11 novembre 1923, soit autour de la tentative de putsch menée par Hitler en Bavière. Chaque journée débute par quelques indications données en voix off et fixant le cadre social et économique désastreux dans lequel était alors plongé la République de Weimar. Cependant, <i>L'œuf du serpent</i> n'a pas grand chose du film historique classique. L'histoire n'est que la toile de fond sur laquelle Bergman peint ses tourments habituels. La reconstitution passe au premier abord pour minutieuse et ornementale mais se révèle être à rebours de l'académisme. S'appuyant moins systématiquement sur les gros plans qu'à l'accoutumée, la mise en scène garde toutefois souvent sa frontalité, renvoyant par exemple le spectacle du cabaret vers sa triste vulgarité et sa mécanique morbide. Dans les intérieurs, l'abondance des luminaires, des rideaux de perles et des miroirs exercent une oppression carcérale. Le grand David Carradine ne cesse de se pencher afin d'éviter les lustres et en vient, à l'occasion, à cogner ses poings contre les murs, pris au piège. Cette surcharge intérieure alterne avec la nudité monochrome des décors extérieurs dégageant les mêmes sensations : contrainte, écrasement, oppression. Dans une perspective expressionniste, Bergman montre comment les décors influent sur les personnages.</p> <p style="text-align: justify;">A cette pression architecturale s'ajoute l'absurdité grandissante des événements jalonnant le parcours du héros, Abel Rosenberg. L'homme est ballotté par le cours du récit, il semble vivre constamment entre ivresse et cauchemars, il est soumis à des accès de violence irréels, le monde qui l'entoure devient poreux (il passe sans transition des hôtels de luxe aux appartements sordides, du cabaret au bordel, de l'hôpital à l'église, d'un sombre bureau à un laboratoire immaculé), les lieux qu'il arpente se font labyrinthes (l'accès à l'hôpital, le sous-sol des archives), la paranoïa le terrasse, les autorités le soupçonnent de méfaits dont il n'a pas idée : le développement de thématiques kafkaiennes est évident. Bergman peint un monde terrifiant, traversé d'éclairs de violence froide.</p> <p style="text-align: justify;">Le fait historique perd peu à peu de sa véracité pour se charger de fantastique et de mythe : il en va ainsi de la représentation de la politique et de l'antisémitisme. Ce détachement progressif est également dû au passage par le prisme du couple et de tout ce qui y est rattaché chez Bergman, l'altérité, la peur, l'inceste, la religion. Il est étonnant de voir ces thèmes bergmaniens se confronter à une structure historique et plus encore à certains genres cinématographiques. En effet, le récit se drape plus d'une fois des atours de l'enquête policière, voire de ceux de la science-fiction et du film d'horreur. Dans toute la dernière partie du film s'installe par ailleurs un véritable dialogue entre Bergman et un certain cinéma du passé. La stylisation de plus en plus évidente des décors et la mise en scène "à l'ancienne" d'une tentative d'évasion de Rosenberg (mouvements amples et expressifs de Carradine, ruptures de la logique architecturale) semaient les premiers indices d'un retour vers l'expressionnisme allemand. Au final, la découverte d'un dispositif manipulateur à grande échelle, de terribles expériences médicales et de bandes cinématographiques perturbantes nous font soudain réaliser qu'en 1923, l'Allemagne connaissait depuis quelques mois les noms de deux dangereux Docteurs : Caligari et, surtout, Mabuse (celui-là même que poursuivait Gert Froebe dans l'épisode de 1961 et dans le même habit de commissaire de police que l'acteur endosse ici). <i>L'œuf du serpent</i> se termine ainsi par une étrange et puissante illustration de la fameuse thèse du critique Siegried Kracauer qui voyait dans l'expressionnisme la préfiguration du nazisme.</p> <p style="text-align: justify;">(Chronique DVD pour <a href="http://www.kinok.com/index.php?option=com_content&view=article&id=119&Itemid=83">Kinok</a>)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlFaut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages & Le grand bazartag:nightswimming.hautetfort.com,2009-09-20:23761442009-09-20T15:59:00+02:002009-09-20T15:59:00+02:00 (Michel Audiard / France / 1968 & Claude Zidi / France / 1973) □□□□...
<p style="text-align: justify;">(Michel Audiard / France / 1968 & Claude Zidi / France / 1973)</p> <p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">□□□□ <span style="font-size: x-small;">/ <span style="font-size: medium;">□□□□</span></span></span></p> <p style="text-align: justify;">Jeudi soir dernier, sur une chaîne de la TNT (celle du grand journaliste J.M. Morandini), c'était soirée thématique "comédies françaises cultes". Entendez : "gros navets". J'ai testé pour vous.</p> <p style="text-align: justify;"><b><i><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/00/2006991692.jpg" id="media-1988745" alt="fautpasprendre.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" />Faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages</i></b> est la première réalisation de Michel Audiard. Cela démarre sur un monologue de Marlène Jobert, préfigurant les apostrophes au spectateur qu'affectionnera un peu plus tard Bertrand Blier, en plus long et en moins saillant. En fait, pratiquement le quart du métrage est encombré par ce procédé (Jobert laissant parfois la parole à André Pousse, Mario David ou Bernard Blier) faisant ainsi patiner un récit qui n'est déjà pas particulièrement stimulant car ressassant toujours les mêmes histoires de règlements de comptes rigolards entre truands. Pour faire cinéaste, Audiard brise le rythme, façonne des gags cartoonesques (minables), insère des textes décalés en guise de débuts de chapitres. Les dialogues n'offrent aucune progression narrative, Audiard étant trop occupé à coller ses formules les unes aux autres. Même sortant de la bouche de Bernard Blier, ce déluge provoque vite la saturation. Marlène Jobert est supportable à condition de se boucher les oreilles en reluquant son joli corps régulièrement dénudé (et c'est encore la meilleure façon d'illustrer cette note). Au milieu de cette sinistre comédie, nous avons droit à une pitoyable parodie de comédie musicale à la Jacques Demy. On se moque aussi des hippies, du pop-art, de tout ce qui représente la jeunesse et on idolâtre ces vieilles flingueuses et ces vieux gangsters qui savent vivre, eux. Un film de gérontophile. Un film très con, pour parler comme son auteur.</p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/961361469.jpg" id="media-1988746" alt="legrandbazar.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" />Par rapport à la connerie, la crétinerie peut apparaître parfois plus sympathique. <b><i>Le grand bazar</i></b> est réputé pour être le "meilleur" film des Charlots. C'est peut-être vrai : c'est nul mais pas foncièrement déplaisant. Pendant une demie-heure, on relève quelques gags réussis, disons un sur quatre ou cinq, les autres étant affligeants. Le film bénéficie de l'abattage de Michel Galabru et de Michel Serrault. La sûreté de leur jeu, même dans un registre extrèmement limité comme celui qui leur est imposé, contraste avec l'amateurisme désespérant de celui des Charlots. Contrairement au titre précédemment évoqué, <i>Le grand bazar</i> capte (mal, mais il capte quand même) un certain air du temps avec son scénario anti-consumériste (la bataille que mène un petit commerçant contre un gérant de supermarché) et sa vision d'une banlieue peu attrayante. Comme Audiard avec Demy, Zidi fait lui aussi un renvoi cinéphilique en filmant Galabru partant à l'assaut de son concurrent au son du thème à l'harmonica créé par Morricone pour <i>Il était une fois dans l'Ouest</i>. L'écart, par son gigantisme, provoque un sourire bienveillant, loin du sentiment de mépris que véhicule la parodie d'Audiard. Cela dit, à la mi-parcours (à peu près à la coupure de pub !), ma relative indulgence s'est évaporée devant l'essoufflement du récit, la débilité continue des gags, l'étirement insupportable de certaines séquences comme celles du pillage du magasin et de la virée en boîte et la nullité du dénouement, totalement inoffensif, montrant les Charlots heureux de leur renoncement.</p> <p style="text-align: justify;">Bon, là, j'ai comme une envie de me faire un Tarkovski...</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlKeomatag:nightswimming.hautetfort.com,2009-09-13:23672342009-09-13T21:52:00+02:002009-09-13T21:52:00+02:00 (Enzo G. Castellari / Italie / 1976) ■■■□ Un "sang mêlé" nommé Keoma...
<p style="text-align: justify;">(Enzo G. Castellari / Italie / 1976)</p> <p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">■■■□</span></p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/00/884392075.jpg" id="media-1976630" alt="keoma.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" />Un "sang mêlé" nommé Keoma revient dans sa région après avoir servi sous l'uniforme nordiste pendant la guerre de sécession. Son père, grande gâchette, est devenu simple fermier et ses trois demi-frères, qui ne l'ont jamais considéré comme l'un des leurs, sont passés sous les ordres du puissant propriétaire Caldwell. Ce dernier profite d'une épidémie de peste pour maintenir sous sa coupe la population du village.</p> <p style="text-align: justify;">Tardif western <i>all'italia</i>, <b><i>Keoma</i></b> soumet un récit de vengeance relativement classique aux regards croisés de la politique, du mythologique et du mystique. Le symbolisme convoqué contribue probablement à l'ampleur de l'ouvrage mais n'en paraît pas moins appuyé. Certains dialogues sont enrobés d'une philosophie un brin plombante ("<i>Chacun a le droit d'être né</i>", "<i>Il ne peut que vivre, puisqu'il est né libre</i>"), Keoma parle régulièrement à une vieille femme personnalisant la Mort et subira une crucifixion. Autre légère faiblesse : l'utilisation pas désagréable à l'oreille mais trop répétitive d'une chanson folk en guise de commentaire de l'action et dans laquelle une simili-Joan Baez et un simili-Leonard Cohen se répondent comme dans un néo-western américain.</p> <p style="text-align: justify;">L'aspect politique est déjà plus intéressant. Keoma est un métis, suscitant la crainte mais aussi le mépris (le film fut tourné directement en anglais et l'on remarque que seul Franco Nero, dans son rôle de Keoma, garde un accent italien prononcé, ce qui accentue sa marginalité). Seul son père et l'ami de celui-ci, George, un Noir, l'estiment réellement. Le pessimisme général et l'insistance sur les zones d'ombres de l'histoire américaine donnent l'impression d'une certaine vérité, rarement aussi intelligemment exprimée. Les "<i>Nigger</i>" que George entend ici et là proférés à son encontre et son commentaire désabusé sur la liberté acquise après la guerre en disent long sur la nouvelle place des Noirs dans cette société. De même, une discussion entre Keoma et son père pointe la difficulté de trouver un sens à la boucherie passée, la lutte pour l'émancipation ayant tendance à laver trop hâtivement la Nation de ses péchés.</p> <p style="text-align: justify;">La pertinence politique se retrouve au niveau psychologique, Castellari parvenant notamment à tisser un réseau de liens familiaux particulièrement solide, réseau dont le final visualise "l'architecture" en opposant, sous le regard (ou plutôt les cris) de la femme protégée par Keoma et en train d'accoucher, le héros et ses trois frères, après la disparition de leur géniteur. En confrontant par la montage, voire dans le même plan, le passé et le présent des personnages, le cinéaste libère pratiquement la même émotion que Leone dans le duel final d'<i>Il était une fois dans l'Ouest</i>.</p> <p style="text-align: justify;">De Leone, Castellari retient la leçon du déploiement tragique de l'espace par l'alternance entre des échelles de plans très différentes. Le passage sans transition d'un gros plan de visage à un plan très large et surplombant, dans la brutalité du collage, fait ressentir physiquement l'influence écrasante du lieu sur le personnage qui, en retour, fait vibrer émotionnellement le décor. L'effet est particulièrement saisissant lors des séquences du camp des pestiférés. Il est vrai aussi que le travail de la photographie est remarquable de bout en bout, s'appliquant à décrire les deux faces de l'enfer : la brûlure du soleil, la poussière et l'aridité des canyons d'un côté et les ténèbres de la ville, la boue et les torches menacantes de l'autre.</p> <p style="text-align: justify;">Mais le plus épatant tient encore dans le montage et le rythme qu'impose Castellari. D'une part, il reprend et développe l'usage du ralenti cher à Peckinpah et crée ainsi d'étonnantes séquences de fusillades à deux vitesses. Pour faire simple, disons que le montage peut entremêler ce qui se passe dans le champ à vitesse normale et dans le contrechamp au ralenti. D'autre part, un plan rapproché sur un visage peut se muer en lieu de passage du présent au passé ou d'un décor à un autre, sans aucun heurt.</p> <p style="text-align: justify;">Il est donc infiniment appréciable que l'hétérogénéité des éléments narratifs et des trouvailles de mise en scène, qui pénalise souvent les productions de ce type, soit ici parfaitement lissée par le style de Castellari, fluidifiant son récit pour arriver à façonner un objet cohérent. Un monde naît sous nos yeux, où les repères spatiaux et temporels sont troublés par le montage qui crée un continuum autre. Ce tempo obtenu, très spécifique, permet de profiter du long <i>gunfight</i> entre Keoma, son père et George d'un côté et une quarantaine d'hommes de main à Caldwell de l'autre, sans se poser la question de la vraisemblance. Ne compte plus, alors, que le plaisir de la mise en scène de l'affrontement et du surgissement.</p> <p style="text-align: justify;">Mais dans <i>Keoma</i>, se sont souvent les scènes les plus banales sur le papier qui se révèlent les plus belles. Détachons par exemple celle où Keoma se bat à mains nues, successivement, avec ses trois demi-frères, scène qui tient par son rythme particulier, ses jeux de regards, sa discrète ponctuation musicale à la guitare, ou bien celle, très brève, qui voit la femme enceinte (la belle Olga Kariatos) se hisser péniblement sur la selle de son cheval et quitter seule son refuge dans les collines (moment qui fait regretter que soit laissé, ici comme dans nombre de productions du genre, si peu d'espoir aux personnages féminins).</p> <p style="text-align: justify;">Très honnêtement, je ne m'attendais guère à un tel éclat et peut-être vais-je acheter dès cette semaine un poncho, préparer une note titrée "Êtes-vous Castellarophile ?", entamer des négociations en vue d'une fusion Nightswimming-<a href="http://inisfree.hautetfort.com/">Inisfree</a>, envoyer une lettre d'excuses en recommandé à un fidèle commentateur-collaborateur auprès duquel j'ai très récemment ironisé sur le nom de Castellari, abandonner mon histoire de la guerre <i>Positif</i>-<i>Cahiers du Cinéma</i> pour me pencher sur les revues italiennes, ou, plus raisonnablement, tenter l'expérience du <i>Grand silence</i> de Sergio Corbucci...</p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;">Merci à Jocelyn.</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlSolaristag:nightswimming.hautetfort.com,2009-08-19:23305662009-08-19T18:44:00+02:002009-08-19T18:44:00+02:00 (Andreï Tarkovski / U.R.S.S. / 1972) ■■■■ Le scientifique Kris Kelvin...
<p style="text-align: justify;">(Andreï Tarkovski / U.R.S.S. / 1972)</p> <p><span style="font-size: medium;">■■■■</span></p> <p style="text-align: justify;">Le scientifique Kris Kelvin est envoyé en mission sur la station d'observation de la planète Solaris, afin de décider si le programme de recherche associé doit être poursuivi malgré l'incohérence des rapports reçus. A son arrivée, il découvre que l'un des trois occupants s'est suicidé et, comme le lui prédisent les deux autres, il a tôt fait d'observer d'étranges phénomènes, générés par la proximité de Solaris, à la surface océanique et "pensante". C'est ainsi que Khari, sa femme décédée dix ans auparavant, réapparaît.</p> <p style="text-align: justify;"><i><b>Solaris</b></i> (<i>Solyaris</i>) est un film de genre et Tarkovski respecte plusieurs codes en mettant en scène des discussions scientifiques, la découverte inquiétante d'un vaisseau apparemment à l'abandon ou l'expérience d'une confrontation avec une entité inconnue (qualifiée, entre autres vagues descriptifs, de "monstre")... Ce lien générique, que l'on ne retrouve avec une telle évidence nulle part ailleurs dans l'oeuvre du cinéaste, peut faciliter l'approche des spectateurs novices ou rebutés par la réputation d'austérité des films de Tarkovski. Pour les autres, il est source d'étonnement, entraînant, dans un premier temps, une simplification inhabituelle des enjeux et une réduction au seul message humaniste. Cette impression première s'évapore par la suite et l'on se retrouve bel et bien dans ce monde très ouvert qu'est celui de Tarkovski. Un mouvement s'active, qui va de la mise en place d'un argument de SF pure au déploiement d'un grand film d'amour et à la réflexion empreinte de religiosité sur la nature humaine et son devenir, faisant retour au genre ici ou là, par exemple avec le développement du concept de l'humanisation progressive de l'Autre (qui permet le rapprochement avec plusieurs continuateurs, de Spielberg à Ridley Scott).</p> <div style="text-align: center"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/00/1929833720.jpg" id="media-1933737" alt="solaris1.jpg" style="border-width: 0; margin: 0.7em 0;" name="media-1933737" /></div> <p style="text-align: justify;">L'inscription dans un genre, n'empêche pas Tarkovski de déjouer les attentes dans sa mise en scène, mise en scène du temps qui est surtout mise en scène de l'espace. Les panoramiques circulaires déroutent en captant un personnage plus tôt que prévu ou à un endroit où il ne devrait pas se trouver. La veille de son départ, Kelvin marche sur sa terrasse. Il disparaît derrière une cloison (la caméra est à l'intérieur de la maison) et alors que l'on devrait le retrouver tout de suite, dans la continuité du mouvement, c'est un cheval qui entre dans le champ avant lui. Chez Tarkovski, il n'y a pas d'étanchéité entre les mondes. Il peut pleuvoir dans une maison et lorsqu'un film est projeté à l'attention des personnages, ces derniers semblent dialoguer avec ceux qui sont à l'écran (idée géniale de Tarkovski qui ne nous dit pas immédiatement que l'homme témoignant dans le document et celui qui montre le film à Kelvin ne font qu'un). Cette projection introduit le noir et blanc dans <i>Solaris</i>. Ce bref changement chromatique se reproduira, justifié de manière esthétique et rythmique dans la séquence du retour de Burton en voiture, puis sans autre raison que la perte des repères, dans la station spatiale. Ces remises en question du temps et de l'espace par la mise en scène provoquent une série d'inversions stupéfiantes : brûler des photos amorce un retour du refoulé et ressusciter se révèle bien plus douloureux que mourir.</p> <p style="text-align: justify;">Seul film de Tarkovski décemment distribué dans son pays, <i>Solaris</i>, de l'aveu de son auteur, est une réponse au <i>2001</i> de Kubrick. Ce qui frappe dans cette confrontation, c'est que la différence de dynamique entre la vision froide et matérialiste de l'anglo-saxon et celle, mystique et humaniste, du russe, semble, encore une fois, inversée. C'est <i>2001</i> qui est propulsé sans cesse par une dynamique ascensionnelle alors que tout, dans <i>Solaris</i>, semble cloué au sol. Alors que la verticalité du monolithe est accentuée par les contre-plongées, l'objet irradiant, très comparable, de <i>Solaris</i>, a la forme plate d'un vaste océan. Alors que le voyage de Bowman se transforme en long trip, celui de Kelvin ne dure à l'écran qu'une dizaine de secondes, réduit visuellement à un gros plan de visage. Alors que l'os projeté en l'air par le primate est raccordé à un vaisseau spatial, le décollage de la fusée emportant Khari n'est vu que du point de vue de Kelvin, resté sur la plateforme. Enfin, les sensations que libèrent les plans finaux de <i>2001</i> et de <i>Solaris</i> s'opposent également. Au nouveau foetus flottant dans l'espace, Tarkovski répond par un mouvement enfin vertical. Celui-ci, partant de la maison familiale apparemment retrouvée par Kelvin, semble tout d'abord embrasser le paysage mais la poursuite de la montée nous fait bientôt prendre conscience que l'océan de <i>Solaris</i> entoure en fait ce qui n'est qu'un îlot. Etrange effet obtenu par l'action de deux forces opposées, l'une nous élevant, l'autre nous compressant. Il est vrai qu'<i>Andreï Roublev</i>, quelques temps auparavant, nous l'avait déjà appris : il est impossible et inutile de tenter de s'arracher à la terre (qui plus est, russe). Cette ultime séquence met donc en jeu bien plus qu'un retour vers l'humain. Il y autre chose, comme une douleur.</p> <div style="text-align: center;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/01/883332648.jpg" id="media-1933741" alt="solaris2.jpg" style="border-width: 0pt; margin: 0.7em 0pt;" name="media-1933741" /></div> <p style="text-align: justify;">Ainsi, le seul trajet marquant est horizontal, ou plutôt, dans la profondeur, puisqu'il s'agit de la conduite d'une voiture s'engouffrant dans une série de tunnels d'autoroutes. Par le même type de progression, nous pénétrons les pensées de Kris Kelvin, mises à jour par un emboîtement des consciences. La femme qu'il a perdu et qui lui revient n'est pas tout à fait celle qu'il a connu mais celle dont il se souvient et plus précisément, celle dont il veut se souvenir. Elle est régénérée par Solaris en fonction de ce que cette force lit dans la mémoire et les fantasmes de Kelvin. La nouvelle Khari n'a donc aucun souvenir, aucun passé personnel. Elle vit de ce que Kelvin lui transmet. Dans une scène magnifique, elle fait face à un tableau de Bruegel (<i>Les chasseurs dans la neige</i>) et semble s'en imprégner, s'en nourrir, y chercher le moyen de ressentir, de s'humaniser. Et Kelvin la regarde. Admirablement, Tarkovski organise une série de transferts.</p> <p style="text-align: justify;">Cette histoire d'amour singulière est déchirante, lestée de toutes les erreurs du passé. Le moment où la nouvelle Khari apparaît pour la première fois aux yeux de Kelvin touche au sublime, ces retrouvailles mêlant comme jamais "la joie et la souffrance".</p> <p style="text-align: justify;">Comment percer le secret de ces images-là ? Pourquoi l'unique vision, en une poignée de seconde, d'une petite fille nous la rend si présente ? Comment en deux ou trois plans, arriver à faire ainsi ressentir la peur d'un garçon devant un cheval ? Il est assez stupéfiant de réaliser que l'on peut tout aussi bien, et avec la même force, croire au cinéma de Tarkovski en prenant l'océan de <i>Solaris</i> pour Dieu qu'en s'émerveillant simplement d'entrer dans le cerveau de Kris Kelvin.</p> <p style="text-align: justify;">Et dire que ce n'est même pas son meilleur film...</p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;">Photos : <a href="http://www.dvdbeaver.com/">dvdbeaver</a></p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlLa loi du milieutag:nightswimming.hautetfort.com,2009-08-12:23236102009-08-12T19:23:00+02:002009-08-12T19:23:00+02:00 (Mike Hodges / Grande-Bretagne / 1971) ■■□□ Chouchouté par Télérama...
<p>(Mike Hodges / Grande-Bretagne / 1971)</p> <p><span style="font-size: medium;">■■□□</span></p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/00/85310702.jpg" id="media-1922215" alt="loidumilieu.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" />Chouchouté par <a href="http://www.telerama.fr/cinema/films/la-loi-du-milieu,51289.php"><i>Télérama</i></a> (j'ai l'impression qu'il gagne un "T" de plus à chaque rediffusion), allègrement rangé au rayon "culte" par <a href="http://www.dvdclassik.com/Critiques/dvd_get_carter.htm">d'autres</a>, <b><i>La loi du milieu</i></b> (<i>Get Carter</i>) est un bon polar britannique bénéficiant de l'anti-photogénie de Newcastle et ses environs. C'est là que monte le tueur londonien Jack Carter, revenant au pays afin d'éclaircir les circonstances de la mort récente de son frère, qu'il pressent non-accidentelle. Son histoire suit les codes du film de vengeance et l'originalité des figures que l'on y croise provient essentiellement de leur ancrage social (celui du Nord de l'Angleterre). La marche en avant de Carter est donc violente et obstinée. Les éclats de brutalité surgissent efficacement, dans une approche très réaliste des corps, allant parfois jusqu'à la vulgarité (la nudité de Carter surpris au lit, les déshabillages imposés aux femmes, le faux-ami empoté percé au couteau, l'amour au téléphone) et ajoutant au sordide de certaines situations. Dans ce monde de criminels et de redresseurs de torts, il ne fait généralement pas bon être une femme et <i>La loi du milieu</i> ne déroge malheureusement pas à la règle : ces dames sont soit des victimes, soit des putes, soit des frustrées. Carter exerce sa violence sans distinction de sexe, impassible puis rageur (Michael Caine est assez impressionnant, même s'il joue plus juste au début, impénétrable, qu'à la fin, éructant sa haine sans desserrer les dents).</p> <p style="text-align: justify;">Au fil du récit, s'opère un certain brouillage par des intrigues adjacentes impliquant de nombreux personnages secondaires et qui se révèlent toutes reliées, trop systématiquement, à l'énigme principale, les à-côtés se réduisant finalement à quelques brèves vues documentaires dans la rue ou dans les pubs. Le périple de Carter dans le milieu de la pègre est relativement confus et plutôt que d'épouser un mouvement ascendant qui donnerait le vertige, il semble tourner en rond et s'étirer au fil des assassinats.</p> <p style="text-align: justify;"><i>La loi du milieu</i> peut être rapproché de deux autres films plus réussis : <i>Cité de la violence</i> (Sergio Sollima, 1970) et <i>Le point de non-retour</i> (John Boorman, 1967). Le génial polar de Boorman dégageait une dimension mythique et quasi-fantastique qui légitimait la relative facilité avec laquelle Lee Marvin parvenait à gravir les échellons d'un complexe édifice criminel. La base réaliste choisie par Mike Hodges provoque au contraire quelque étonnement devant la prescience dont fait souvent preuve Michael Caine. De plus, le temps semble bien trop resserré (l'action se déroule sur deux jours et les péripéties et les déplacements sont multiples). Hodges fait certes durer certains plans mais la mise en avant d'une certaine virtuosité paraît prendre alors le pas sur une gestion vraiment rigoureuse du temps cinématographique, comme celle mise en oeuvre par Sollima (qui étire au maximum toutes les séquences de <i>Cité de la violence</i>).</p> <p style="text-align: justify;">La mise en scène en rajoute quelque fois inutilement (les nombreuses amorces au premier plan, se transformant régulièrement en caches) mais n'est pas dépourvue de tonus, l'utilisation du zoom, notamment, étant pertinente pour situer Carter dans cet environnement retrouvé. La partition post-<i>Swinging London</i> de Roy Budd a aussi son charme. En 71, ce premier film a dû paraître prometteur, avant que Mike Hodges ne signe <i>Flash Gordon</i> (1980), <i>Les débiles de l'espace</i> (1985) ou <i>L'Irlandais</i> (1987)...</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlEtranges étrangerstag:nightswimming.hautetfort.com,2009-07-10:22412772009-07-10T19:15:12+02:002009-07-10T19:15:12+02:00 (Marcel Trillat et Frédéric Variot / France / 1970) ■■■□ Étranges...
<p style="text-align: justify;">(Marcel Trillat et Frédéric Variot / France / 1970)</p> <p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">■■■□</span></p> <p style="text-align: justify;"><i><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/00/1259520621.jpg" id="media-1869928" alt="Etrangers 03.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" name="media-1869928" /><b>Étranges étrangers</b></i> est au centre de la nouvelle livraison de la collection "Histoire d'un film, mémoire d'une lutte", dirigée par Tangui Perron pour <i>Scope Editions</i> et <i>Périphérie</i>, centre de création cinématographique. Après un premier livre-dvd qui s'appuyait sur le film de Jean-Pierre Thorn, <i>Le dos au mur</i>, ce deuxième numéro confirme que nous tenons là l'une des initiatives éditoriales les plus passionnantes de ces dernières années, redonnant vie à des oeuvres cinématographiques militantes rares et les accompagnant d'une documentation extrèmement riche et instructive.</p> <p style="text-align: justify;">Le documentaire de Marcel Trillat et Frédéric Variot fut conçu pour le magazine filmé <i>Certifié exact</i> de la Scopcolor, une coopérative ouvrière de production émanant du CREPAC (Centre de recherche pour l'éducation permanente), association de syndicalistes et d'économistes soucieux de proposer une alternative à l'information gouvernementale relayée par une ORTF fermement reprise en main à la suite des évènements de Mai 68. La diffusion du magazine (une vingtaine de numéros, de 1969 jusqu'à la liquidation de la coopérative en 1980) était assurée, selon un système d'abonnement, par des MJC, des foyers, des comités d'entreprises, des syndicats...</p> <p style="text-align: justify;"><i>Étranges étrangers</i> est tourné en janvier 1970, au moment où l'état français décide enfin de se pencher sur le problème des bidonvilles de la région parisienne et où naît, dans la presse et l'opinion publique, le premier véritable débat autour de l'immigration, tout cela à la suite de l'émotion que suscita un drame à Aubervilliers : la mort, le soir de la Saint-Sylvestre, de quatre travailleurs africains, asphyxiés dans leur taudis. Le film prend la forme d'une enquête sur les conditions de vie des immigrés, construite classiquement. La caméra nous plonge tout d'abord dans la nuit de la gare d'Austerlitz où arrivent des Portugais, accueillis par quelques compatriotes et surtout des policiers. Ensuite, nous serons menés de chantiers en foyers, de bidonvilles en taudis, pour finir aux côtés d'ouvriers maghrébins poussés à la grève.</p> <p style="text-align: justify;">Sont donc mises en lumière (parfois au sens propre, lorsqu'il s'agit de descendre dans les caves), par les réalisateurs, les conditions de vie déplorables de ces travailleurs que l'on ne veut pas voir. Parallèlement, sont enregistrés les fantasmes xénophobes d'une partie de la population française (les violences racistes se multiplieront dans les années 70) et les tensions que provoquent l'omniprésence de la police et le cynisme des patrons.</p> <p style="text-align: justify;">Le style du film est celui du cinéma direct. Les réalisateurs gardent au montage les présentations faites lorsqu'ils arrivent dans un foyer ou sur un chantier, ne gomment pas les difficultés d'approches de certains travailleurs, les refus et les échecs, passent outre les brèves défaillances sonores ou lumineuses (ce qui ne nous renvoie nullement vers l'amateurisme). Cette méthode de travail, le passage du temps aidant, nous vaut une belle piqûre de rappel, coincés que nous sommes dans notre époque moderne où la télévision (et parfois le cinéma) nous abreuve de reportages mensongers, faussement empathiques, mis en scène grossièrement sous le prétexte du "refus de l'ennui du documentaire". Notre télévision transpire la peur du réel.</p> <p style="text-align: justify;">Dans <i>Étranges étrangers</i>, le réel est bien là, dans toute sa brutalité et sa complexité. Il affleure essentiellement grâce au déploiement d'une parole, celle des immigrés, qui peut prendre possession du large espace qui lui est laissé. Cette parole, que l'on ne comprend pas toujours très bien, se présente dans toute sa singularité. Nous sommes devant l'évidence de l'altérité et au-delà du jugement puisque le regard n'est pas dirigé pour encadrer ou pour classifier, seulement pour rendre compte d'une certaine réalité.</p> <p style="text-align: justify;">La forme de l'enquête éloigne des tentations du film-tract. Si la parole des immigrés est mise en avant, s'entendent également celle des syndicalistes accompagnant les luttes de ces travailleurs invisibles, celle des maires communistes de Seine-Saint-Denis confrontés à la concentration forcée, sur leurs communes, de cette population et celle des passants compatissants ou au contraire, dédaignant ces indigènes bien heureux de s'entasser dans des caves insalubres. La séquence la plus forte rendant le point de vue de "l'autre bord" est sans aucun doute l'enregistrement d'un entretien avec Francis Bouygues. Bousculé par les questions faussement ingénues de Marcel Trillat, celui qui dit vivre "au milieu des étrangers" et donc les connaître parfaitement (88% de ses ouvriers étant des immigrés), ne met pas longtemps à lâcher de longues jérémiades sur l'instabilité de cette main d'oeuvre qui cause bien des soucis à son groupe.</p> <p align="justify">Tout en affirmant sa démarche militante, il s'agit de débusquer plutôt qu'asséner et cette façon de procéder - faire tomber les masques des adversaires ou pousser les opprimés à témoigner - permet au film de préserver aujourd'hui encore toute sa force. L'implication des auteurs est évidente et leur volonté de montrer des immigrés en lutte arrache ces derniers à leur éternelle image de victime. <i>Étranges étrangers</i> est un film éloquent et clair. Les qualités d'interviewer de Marcel Trillat, qui sait, à la manière de Marcel Ophuls, provoquer des blancs très parlants dans le discours de Mr Bouygues, et qui enregistre, comme Raymond Depardon, aussi bien la parole que son refus, achèvent de convaincre de l'importance de cette oeuvre de témoignage.</p> <p style="text-align: justify;">(Chronique dvd pour <a href="http://www.arkepix.com/kinok/index.html">Kinok</a>)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlJuste avant la nuittag:nightswimming.hautetfort.com,2009-06-25:22589152009-06-25T23:11:00+02:002009-06-25T23:11:00+02:00 (Claude Chabrol / France / 1971) ■■□□ [Seconde contribution...
<p style="text-align: justify;">(Claude Chabrol / France / 1971)</p> <p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">■■□□</span></p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/02/767503594.jpg" id="media-1843776" alt="justeavantlanuit.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" />[Seconde contribution personnelle au <a href="http://flickhead.blogspot.com/2009/02/claude-chabrol-blogathon.html">"Claude Chabrol Blogathon"</a>, après ma note sur <a href="http://nightswimming.hautetfort.com/archive/2009/06/23/le-boucher.html"><i>Le boucher</i></a>]</p> <p style="text-align: justify;">Charles Masson, père de famille bourgeois travaillant dans la publicité, tue sa maîtresse, la femme de son meilleur ami François. Rongé par le remords, il ne pense plus qu'à avouer son crime à son épouse Hélène, à François et à la police.</p> <p style="text-align: justify;">Éminemment chabrolien par les thèmes abordés, par le milieu dépeint et par sa morale (ainsi que par l'équipe convoquée, Michel Bouquet et Stéphane Audran en tête), <b><i>Juste avant la nuit</i></b> surprend par son ton. En prenant pour cible ces nouveaux bourgeois férus de modernité ("<i>un peu d'avant-garde pour éviter la sclérose</i>", comme le dit Charles), le cinéaste s'exerce à nouveau à dévoiler le vide abyssal derrière les apparences. La fable est pessimiste mais un parfum de comique surnage de temps à autre. A l'époque de la sortie en salles du film, le goût de la famille Masson paraissait-il déjà ahurissant ? Aujourd'hui, le vieillissement accéléré auquel a été soumis toute l'esthétique moderne (technique, architecturale ou vestimentaire) du début des années 70 participe sans doute encore à alourdissement de la charge. La clarté des intérieurs, l'étalement de grands volumes, l'épure de la mise en scène et l'amplification de certains sons du quotidien (bruits des talons, des verres...) fait étrangement penser au cinéma de Tati.</p> <p style="text-align: justify;">De plus, si l'ironie est toujours présente, le regard est ici biaisé par la tentation du fantastique. Le parcours de Charles a semble-t-il été souvent analysé du point de vue de la culpabilité chrétienne, Chabrol, dans ses propos, encourageant plus ou moins ce type d'interprétation (la recherche perpétuelle d'un confesseur qui libèrerait le poids du péché). Malgré la présence de quelques signes, notamment la médaille de communiante autour du cou de la victime, ce n'est pas la voie qui m'est apparu la plus évidente à suivre. A mon sens, bien plus affirmée est la piste du cauchemar éveillé. Les outils du basculement sont régulièrement convoqués : miroirs, alcool, flacon de laudanum. Il est impossible de pointer le moment précis où se réaliserait le passage d'un état à l'autre, sinon à considérer comme tel le geste fatal de l'étranglement. Le pressentiment de l'onirisme est en effet stimulé dès que Charles quitte le lieu du crime : long échange de regard avec un inconnu dans la rue et rencontre fortuite avec François dans un bar désert et inhabituel. Autant que l'étonnement devant ce type d'évènements ou l'illogisme de certaines alternances entre le jour et la nuit, l'étrangeté naît de la neutralité absolue des dialogues. Le refus (ou l'incapacité) des personnages de laisser transparaître la moindre émotion nous entraîne vers l'absurde.</p> <p style="text-align: justify;">Ce choix n'est pas sans risque. La distance imposée ainsi par Chabrol rend difficile un attachement réel au couple formé par Charles et Hélène (Michel Bouquet est, logiquement, de presque toutes les scènes mais Stéphane Audran en est un peu sacrifiée, son personnage se réduisant trop à sa fonction). Pure et élégante, la mise en scène laisse parfois traîner les choses en longueur, l'usage du plan-séquence enserrant dans ses griffes deux protagonistes étant systématique. Le récit principal avance à très petits pas et celui qui lui est parallèle n'est pas très palpitant. Ce dernier a cependant une très grande importance, apportant un contrepoint aux malheurs de Charles : son comptable l'escroque, filant avec l'argent de l'agence et, après son arrestation, révèle sa double vie avec une jeune maîtresse. Ce petit employé, devant son ex-patron, n'aura aucun remords et lui lancera sans état d'âme un "<i>je vous emmerde</i>" pour toute réponse à ses demandes d'explications compatissantes. Sans doute a-t-on là l'une des clés possibles de cette oeuvre déconcertante : quand la classe inférieure assume ses actes, le bourgeois est condamné à la léthargie, à la vaine recherche de l'absolution et à la mort.</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlLe bouchertag:nightswimming.hautetfort.com,2009-06-23:22559842009-06-23T23:39:00+02:002009-06-23T23:39:00+02:00 (Claude Chabrol / France / 1970) ■■■■ Présenter de manière...
<p style="text-align: justify;">(Claude Chabrol / France / 1970)<br /> <br /> <span style="font-size: medium;">■■■■</span></p> <p style="text-align: justify;">Présenter de manière publicitaire <b><i>Le boucher</i></b> comme étant un "film criminel campagnard" pourrait faire sourire si Claude Chabrol lui-même ne prenait un malin plaisir à y glisser quelques séquences jouant sur cette apparente incongruité. Il en va ainsi des plans décrivant l'arrivée des gendarmes dans le village : la camionnette des fonctionnaires se glisse dans le décor, entre les poules du premier plan et le bâtiment municipal du fond, puis les képis traversent le champ dans le dos des enfants occupés à jouer dans la cour de l'école. Plus tard, de façon moins appuyée, le va-et-vient des véhicules à gyrophares dans la rue donnera son rythme à la scène se déroulant à l'intérieur de la boucherie de Popaul : au premier plan, la comédie villageoise, à l'arrière-plan, le drame criminel.</p> <p style="text-align: justify;">Cette légère ironie ne retombe pas cependant sur les personnages, quelque soit leur importance. Au cours du bal de mariage, on remarque cet homme dansant si bizarrement, celui que l'on pourrait décrire comme "le simplet du village". Or, sa silhouette reviendra plus tard, lors de l'enterrement de la mariée, pour porter la croix du début de cortège. Chabrol le filme en plan large, ne le désigne pas. C'est assez long pour permettre la reconnaissance mais trop court pour faire afficher un sourire en coin. Nul pittoresque donc, dans ce tableau de la "France profonde" (c'est plutôt l'officier de police dépêché par Bordeaux qui affiche les signes les plus risibles : blouson et chapeau de flic), mais bien le maintien d'une attention réaliste, se déployant à l'intérieur de l'une des plus belles et des plus limpides mises en scène de Claude Chabrol.</p> <div style="text-align: center"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/00/261006339.jpg" id="media-1839819" alt="boucher1.jpg" style="border-width: 0; margin: 0.7em 0;" /></div> <p style="text-align: justify;">A la sortie du bal, un plan-séquence en traveling arrière accompagne Melle Hélène et Popaul de la salle des fêtes jusqu'à la place de l'école (la musique de la fête se laisse entendre tout du long, jusqu'à l'arrivée près de l'église, où les cloches prennent le relais). Ensuite, nous parcourons l'appartement d'Hélène en la suivant dans ses occupations. La séquence, non dramatique, prolonge rythmiquement celle de la promenade et prépare la scénographie des futures visites de Popaul. Chabrol trouve dans <i>Le boucher</i> un équilibre parfait dans ses effets de mise en scène, jamais ostentatoires ni répétés. De très beaux zooms parsèment la séquence du bal, une légère plongée coince un instant Hélène dans son appartement, un écran noir suspend le temps lors de l'ultime visite, une série de magnifiques plans fixes du visage de Stéphane Audran intriguent fortement sur la fin... La fluidité de l'ensemble empêche de ne voir là que des trucs de technicien. Chabrol prend soin de varier les ambiances, dénouant le drame dans la nuit alors que son film était jusque là très solaire. Il boucle également son récit, en écho à la promenade du début, par une course en voiture vers l'hôpital le plus proche. Au pas de deux tranquille dans la rue du village, rendu en plan-séquence, répond cette précipitation, ciselée par un découpage vif et des gros plans déformant le visage de Popaul.</p> <p style="text-align: justify;">Le temps du film, notre regard évolue : il se fait d'abord surplombant, lointain (les premiers plans balayant la vallée de la Dordogne puis ceux embrassant toute la salle des fêtes...) avant d'épouser progressivement celui d'Hélène. Cette proximité qui nous est accordée nous fait accepter, autant qu'elle, le baiser final. Hélène est un ange (ou tout comme : une institutrice). Gentillesse, blondeur, chasteté... Quoique, ce maquillage, cette cigarette... Ramasser en une fraction de seconde un briquet oublié, l'allumer comme on signe un pacte, s'affoler de son propre comportement, se sentir soulager. La femme est changeante. L'homme aussi : Popaul est délicat et horrible. La folie du <i>Boucher</i> n'est pas brouillage mais coexistence. L'astuce du briquet n'engage pas sur la voie de la dissimulation mais sur celle de la prise de conscience de deux états successifs, dont l'un découle de la permanence du mal dans la nature humaine (depuis la nuit des temps bien sûr).</p> <div style="text-align: center"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/02/1211031251.jpg" id="media-1839820" alt="boucher2.jpg" style="border-width: 0; margin: 0.7em 0;" /></div> <p style="text-align: justify;">Ceci étant, il serait vain de tenter de comprendre les raisons profondes des atrocités perpétrées. L'extraordinaire travail d'écriture de Chabrol permet, dans le naturel du dialogue, d'avancer quelques données (la haine du père, la violence militaire) qui ne se transforment jamais en explications suffisantes. Hélène se penche au bord du gouffre et observe. Comme nous, elle ne peut s'empêcher d'éprouver au moins de la sympathie pour Popaul (que l'on ne voit jamais sous un mauvais jour) puis de l'apaiser.</p> <p style="text-align: justify;">Au final, la voiture d'Hélène éclaire par ses phares les arbres penchés vers la route comme le faisait celle du <i>Dr Mabuse</i>, mais c'est plutôt son <i>M le Maudit</i> que Chabrol a réalisé là.</p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;">Ma nouvelle visite au <i>Boucher</i> s'est faite à l'occasion du "Claude Chabrol Blogathon" lancé par le cinéphile américain <a href="http://flickhead.blogspot.com/2009/02/claude-chabrol-blogathon.html">Flickhead</a> et relayé chez nous par <a href="http://inisfree.hautetfort.com/">Vincent</a>.</p> <p style="text-align: justify;">Photos : capture dvd Artedis</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlLes visiteurstag:nightswimming.hautetfort.com,2009-06-10:22273872009-06-10T19:18:34+02:002009-06-10T19:18:34+02:00 (Elia Kazan / Etats-Unis / 1972) ■■■□ L'histoire de la production...
<p style="text-align: justify;">(Elia Kazan / Etats-Unis / 1972)</p> <p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">■■■□</span></p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/01/1745875923.jpg" id="media-1808929" alt="Visiteurs 07.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" />L'histoire de la production des <i>Visiteurs</i> (<i>The visitors</i>) est relativement connue. En ce début de décennie 70, Elia Kazan se remet difficilement des échecs publics successifs d'<i>America America</i> (1963) et de <i>L'arrangement</i> (1969), deux de ses films les plus personnels et les plus ambitieux. Il décide alors de se lancer dans une aventure plus modeste, s'appuyant sur un scénario de son fils Chris, tournant en 16 mm avec une équipe réduite dans sa propriété du Connecticut et engageant des interprètes peu expérimentés, dont le jeune James Woods. A cette nouvelle approche, il est d'autant mieux préparé qu'il est marié à l'époque à Barbara Loden, actrice et réalisatrice d'un unique long-métrage, <i>Wanda</i> (1970), titre mythique du cinéma indépendant américain.</p> <p style="text-align: justify;">De fait, pour <i>Les visiteurs</i>, Kazan l'expressionniste renouvelle radicalement son style. Frappent en effet la mobilité d'une caméra portée, le naturel de la photographie et la parcimonie des éclairages intérieurs. Dans ce cadre ne dépassant pas les limites de la propriété du vieux Harry Wayne, le regard se focalise essentiellement sur des gestes sans importance et, à rebours des règles de l'efficacité hollywoodienne, le récit épouse la trivialité et l'arythmie du quotidien y compris lorsqu'une intrusion potentiellement menaçante se manifeste. La tension narrative n'est pas pour autant absente. La science du découpage, l'usage d'ellipses déstabilisantes et la maîtrise du temps jusque dans sa suspension maintiennent l'intérêt.</p> <p style="text-align: justify;">La tranquilité du couple formé par Bill et Martha, hébergé par Harry, le père de cette dernière, est donc troublée par l'arrivée inattendue de deux anciens soldats revenus du Vietnam. Ils ont été traduits en justice, devant une cour martiale, pour le viol et le meurtre d'une vietnamienne, suite à une dénonciation de Bill. La force du film est d'être bâti non sur l'incertitude de l'identité ou du statut des deux intrus mais sur leur propre indécision quant au but de leur visite. Simple provocation, désir d'humiliation ou froide vengeance, le hasard seul semble devoir décider du cours des événements. Les présentations sont rapidement faîtes, le problème moral est posé et tout le monde attend l'étincelle qui dénouera la situation d'une façon ou d'une autre. Dans la maison, une ronde pleine de tension est orchestrée magistralement par Kazan à travers les déplacements des personnages, leurs frôlements et leurs regards.</p> <p style="text-align: justify;">Le déclenchement de la violence se fera par une agression des sens, soulignée par une bande son soudain envahie par des pleurs de bébé et surtout par trois longues plages musicales, alors que cette absence de musique se remarquait dès le générique de début. L'inéluctable se produit alors et les personnages se révèlent incapables de s'affranchir de leur déterminisme. Comme l'affirme Tony, les règles ne peuvent pas être changées. L'incertitude débouche sur le redouté.</p> <p style="text-align: justify;">Compte tenu de leurs thématiques, les films de Kazan peuvent régulièrement être vu à travers le prisme du choix que le cinéaste fit dans les années 50 devant la commission des activités anti-américaines, celui de citer les noms de ses anciens camarades communistes. <i>Les visiteurs</i>, plus que tout autre, invite à ce type de mise en perspective. On y trouvera cependant ni justification ni remords. Les raisons des deux camps sont exposées équitablement mais alors que l'on s'attend à ce que les lignes bougent, les arguments contradictoires s'épuisent mutuellement. Pessimiste, la réflexion paraît sans issue. La seule leçon semble être que la dénonciation ne sert pas à grand chose car elle arrive toujours trop tard. Si action il doit y avoir, elle doit se faire en amont.</p> <p style="text-align: justify;">Annonciateur d'un nouveau départ pour Elia Kazan, le geste artistique audacieux des <i>Visiteurs</i> s'avèrera sans lendemain, le cinéaste ne revenant par la suite qu'en 1976 pour tourner l'ultime <i>Dernier nabab</i>. Reste donc un film unique dans sa filmographie mais aussi un film qui s'intègre à un groupe d'oeuvres contemporaines très violentes auscultant la chute abyssale des sociétés occidentales du début des années 70 comme <i>Délivrance</i>, <i>Les chiens de paille</i> ou <i>Orange mécanique</i>. Enfin, de manière plus surprenante, il peut se voir comme un cousin des films de genre horrifiques extrêmes apparus à la suite de <i>La dernière maison sur la gauche</i> de Wes Craven (sorti la même année). Il va sans dire, toutefois, que ces <i>Visiteurs</i> font preuve d'une tenue et d'une profondeur qui leur est incomparable.</p> <p style="text-align: justify;">(Chronique DVD pour <i><a href="http://www.arkepix.com/kinok/index.html">Kinok</a></i>)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlJoris Ivens (coffret dvd 2 : 1946-1988)tag:nightswimming.hautetfort.com,2009-04-24:21561852009-04-24T23:54:39+02:002009-04-24T23:54:39+02:00 L'Indonésie appelle ( Indonesia calling ) ( Joris Ivens / Australie...
<p style="text-align: justify;"><b><i>L'Indonésie appelle</i></b> (<i>Indonesia calling</i><span>) (<span>Joris</span> <span>Ivens</span> / Australie / 1946)</span> <span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">□</span><span style="font-size: medium;">□□</span></p> <p style="text-align: justify;"><b><i>La Seine a rencontré Paris</i></b> <span>(<span>Joris</span> <span>Ivens</span> / France / 1957)</span> <span style="font-size: medium;">■■</span><span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">□</span></p> <p style="text-align: justify;"><b><i>... A Valparaiso</i></b> <span>(<span>Joris</span> <span>Ivens</span> / Chili - France / 1963)</span> <span style="font-size: medium;">■■</span><span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">□</span></p> <p style="text-align: justify;"><b><i><span><span>Rotterdam - Europort</span></span></i></b> (<i>Rotterdam - Europoort</i><span>) (<span>Joris</span> <span>Ivens</span> / Pays-Bas - France / 1966)</span> <span style="font-size: medium;">■■□□</span></p> <p style="text-align: justify;"><b><i>Pour le mistral</i></b> <span>(<span>Joris</span> <span>Ivens</span> / France / 1966)</span> <span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">□</span><span style="font-size: medium;">□□</span></p> <p style="text-align: justify;"><b><i><span><span>Le 17ème parallèle</span></span></i></b> <span>(<span>Joris</span> <span>Ivens</span> / <span>France</span> / 1968)</span> <span style="font-size: medium;">■■</span><span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">□</span></p> <p style="text-align: justify;"><b><i><span>Comment Yukong déplaça les montagnes : Une histoire de ballon</span></i></b> <span>(<span>Joris</span> <span>Ivens et Marceline Loridan</span> / <span>France</span> / 1976)</span> <span style="font-size: medium;">■■</span><span style="font-size: medium;">□</span><span style="font-size: medium;">□</span></p> <p style="text-align: justify;"><b><i><span>Comment Yukong déplaça les montagnes : La pharmacie n°3</span></i></b> <span>(<span>Joris</span> <span>Ivens et Marceline Loridan</span> / <span>France</span> / 1976)</span> <span style="font-size: medium;">■■</span><span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">□</span></p> <p style="text-align: justify;"><b><i><span>Une histoire de vent</span></i></b> <span>(<span>Joris</span> <span>Ivens et Marceline Loridan</span> / <span>France</span> / 1988)</span> <span style="font-size: medium;">■■</span><span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">□</span></p> <p style="margin-bottom: 0cm;" align="justify">Le deuxième volume du coffret Joris Ivens couvre 40 ans de travail au service du documentaire et nous fait voyager aux quatre coins du monde, jamais en touriste mais toujours en témoin (pour le 1er coffret, voir <a href="http://nightswimming.hautetfort.com/archive/2009/03/18/joris-ivens-coffret-dvd-1-1912-1940.html">ici</a>).</p> <p style="margin-bottom: 0cm;" align="justify"><b>Du tract au poème</b></p> <p style="margin-bottom: 0cm;" align="justify"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/02/149777827.jpg" id="media-1717560" alt="Ivens2 02.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" name="media-1717560" />Nous retrouvons Ivens à la sortie de la guerre aux Antipodes. <b><i>L'Indonésie appelle</i></b> est un court film-tract relatant la lutte des dockers indonésiens travaillant dans les ports australiens et organisant le blocage des navires hollandais. L'Indonésie avait profité de la fin du conflit mondial pour proclamer son indépendance. Pour les natifs de l'archipel, il était donc primordial de contrer toute tentative de reprise en main militaire pas les anciens colonisateurs. Ivens nous montre le rassemblement des forces ouvrières, l'organisation du blocus et l'aide internationale apportée par les syndicats. Les informations sont classiquement amenées par un commentaire, qui laisse cependant la place à des discours enregistrés sur place ou à la post-synchronisation pour certaines séquences. Ce nouvel usage de la parole apporte un surcroît de réalisme, bien que celui-ci soit d'un autre côté entamé par d'évidentes reconstitutions. L'efficacité du film est quelque peu lénifiante et son esthétique ne l'élève guère au-dessus du simple reportage.</p> <p style="margin-bottom: 0cm;" align="justify">Avec <b><i>La Seine a rencontré Paris</i></b>, le militantisme est mis en veilleuse pour se tourner vers la pure poésie du réel. Cette ode fluviale est un régal pour les yeux puisque bénéficiant d'une magnifique photographie et d'un sens très sûr du cadrage, jusque dans les captations à l'improviste de ces trains et autres voitures croisant sur les ponts la ligne tracée par le bâteau-caméra. Quoi de plus fluide qu'un travelling glissant sur l'eau, qu'il soit avant ou latéral, captant la vie des berges ? Exerçant son oeil de peintre et d'architecte, Ivens double le plaisir de la composition plastique par celui du mouvement. Mouvements d'appareils et mouvements des corps. Car tout autant que le fleuve, c'est l'activité humaine qui se développe autour qui intéresse le documentariste. Les instants volés aux passants ou aux travailleurs peuvent passer parfois pour du pittoresque, mais il faut voir comment la vie s'y glisse, grâce à ces brefs regards-caméra, ces discussions que l'on devine animées, ce labeur lesté tant de noblesse que de pénibilité. La narration se cale sur une journée, d'une aube à l'autre, comme le poème de Prévert, lu par Serge Reggiani, englobe toute une vie. Ivens s'accorde avec le poète pour célébrer les enfants, les travailleurs, les vieillards, les pêcheurs, les clochards et surtout les amoureux. Charmant, drôle et inventif, <i>La Seine a rencontré Paris</i> a reçu le Grand Prix du court-métrage à Cannes en 1958.</p> <p style="margin-bottom: 0cm;" align="justify"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/02/2134727860.jpg" id="media-1717562" alt="Ivens2 09.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" name="media-1717562" />Plus admirable encore, <b><i>...A Valparaiso</i></b> est la pépite de ce deuxième coffret. Valparaiso, ville du Chili, coincée entre la mer et les collines : Ivens a une nouvelle fois le génie du lieu et tire toutes les possibilités de cette cité verticale où tout s'organise en va-et-vient entre haut et bas, via les multiples escaliers et ascenseurs téléphériques. Ce portrait d'une ville et de ses habitants, il le trace au rythme d'un montage d'une grande modernité (jouant du coq à l'âne, libérant quelques notations humoristiques...) et l'encadre comme à son habitude par un commentaire. Mais le ton a évolué. Nous sommes en 1963 et les cinémas de Resnais et de Marker sont bien passés par là, se dit-on, jusqu'à ce que le générique de fin nous confirme la participation de ce dernier. Le texte est en effet signé par l'auteur de <i>La jetée</i>, qui apporte son regard en apparence plus détaché mais pas moins intense ni pertinent et qui permet à Ivens de mêler idéalement au sein d'une même oeuvre la démarche militante et l'ambition poétique. Le discours se fait ainsi moins directif et, sans perdre ses qualités d'organisation, la mise en scène est elle aussi plus libre, le tout rendant possible le maintien d'une force de conviction sans les oeillères de la propagande. Ce très grand documentaire se charge de plus, dans sa dernière partie, d'une certaine émotion lorsque l'on voit le cinéaste passer sous nos yeux, pour la première fois et à l'intérieur même de son film, à la couleur, au moment d'aborder l'histoire de ce peuple chilien, par le biais de l'art.</p> <p style="margin-bottom: 0cm;" align="justify">La collaboration avec Chris Marker s'est poursuie avec <b><i>Rotterdam-Europort</i></b>, essai-filmé sur la grande cité industrielle hollandaise. Le rythme du documentaire se calque sur celui de la ville : constamment en mouvement, bruyante, envahie par les fumées des cheminées d'usine. Les changements de plans sont brusques et rapides, le texte (dit par Yves Montand) relativement obscur. L'aspect décousu est également accentué par l'intrusion de la fiction (l'apparition du Hollandais volant, personnage mythique), contaminant le regard porté sur la réalité et complexifiant encore une oeuvre assez ardue.</p> <p style="margin-bottom: 0cm;" align="justify">Avec <b><i>Pour le mistral</i></b>, Ivens continue dans cette voie de l'essai. Survolant la Provence, il tente de filmer le vent, sa trace et ses effets. Le commentaire, poétique, climatique et géographique est l'un des moins heureux de l'oeuvre d'Ivens, par sa tendance à alourdir les images. Les paysages défilent et l'ennui pointe son nez. C'est la présence humaine qui réhausse l'intérêt : quelques paysans au travail et des passants luttant chacun à leur manière contre les bourrasques balayant les rues lors d'une délicieuse séquence. Au deux tiers de ces trente minutes un peu longues, le cinéaste nous refait le passage à la couleur. Dans <i>...A Valparaiso</i>, le basculement esthétique était lié à l'arrivée du thème du sang alors qu'il manque ici une justification.</p> <p style="margin-bottom: 0cm;" align="justify"><b>Du témoignage au testament</b></p> <p style="margin-bottom: 0cm;" align="justify"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/00/189870456.jpg" id="media-1717566" alt="Ivens2 17.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" name="media-1717566" />Ces diverses expériences cinématographiques n'empèchent pas Joris Ivens de continuer à combattre par caméra interposée. Réalisé en 1968, <b><i>Le</i></b> <b><i>17ème parallèle</i></b> est un document essentiel sur la guerre du Vietnam par l'immersion à laquelle s'est adonné le cinéaste, pendant deux mois, au sein de la population de Vinh Linh, petite ville du Nord située tout près de la ligne de démarcation et donc des bases américaines. Les bombardements incessants détruisent les habitations, les rizières et les routes, qui sont aussitôt remises en état. Un impressionnant réseau souterrain est construit, le plus souvent par les femmes. Minh, la responsable locale de la sécurité est d'ailleurs la figure principale du film. Ivens décrit patiemment tous les faits et gestes de cette population de paysans et de défenseurs (râteau à la main et fusil en bandoulière), des plus anodins aux plus engagés. De la durée et de la répétition naît la vision précise d'un peuple en résistance : <i>Le 17ème parallèle</i> montre ainsi parfaitement ce sur quoi la puissance américaine se casse les dents. Sans musique, la bande-son est saturée du bruit des avions yankees, le danger venant du ciel. On trouve dans le film peu d'images spectaculaires, noyées qu'elles sont dans celles consacrées à l'attente ou au travail quotidien d'une vie en temps de guerre et le commentaire est parcimonieux, s'équilibrant avec le son enregistré sur place. Ivens tient l'émotion à distance avant un finale (capture d'un soldat US, mots d'enfants) relayant la promesse calme mais ferme qui émane d'un peuple debout.</p> <p style="margin-bottom: 0cm;" align="justify">Après plusieurs documentaires vietnamiens, Joris Ivens et sa compagne Marceline Loridan se lancent au début des années 70 dans un projet ambitieux, celui de <b><i>Comment Yukong déplaça les montagnes</i></b>, soit 12 films de durées variables (de 15 minutes à 2 heures) consacrés à la société chinoise contemporaine. Deux épisodes sont proposés dans ce coffret. Sur un plan technique, on note tout d'abord la révolution qu'apporte l'usage du son direct. Bien sûr, cadrage et montage résultent toujours d'un choix mais la synchronisation de l'image et du son sur toute la durée semble permettre d'atteindre un niveau supérieur du réel. Suivant l'évolution logique, le commentaire n'est plus surplombant mais se fait personnel (employant le "<i>nous</i>" du couple de réalisateurs) et accompagne le spectateur plus qu'il ne le guide. Ce dernier se sent donc plus libre, impression redoublée par le calme du montage et cela malgré le cadre idéologique. Car l'idéologie est ici comme mise à nu. Devant ce peuple chinois sortant de la Révolution Culturelle, plus que la reprise régulière et naturelle de slogans politiques, le plus surprenant pour nous est cette tendance irrépressible à l'auto-critique en public. Que la caméra soit braquée sur une salle de classe, une pharmacie ou vers la rue, il y a dans <i>Yukong</i> une dimension d'exemplarité qui se développe sous le regard bienveillant d'Ivens et Loridan. Les contradictions ne sont pas extirpées par les auteurs, elles sortent d'elles-mêmes de la bouche des hommes et femmes cotoyés. Le nez sur le quotidien, il n'y a certes pas de "recul" politique ici. Mais cette écoute attentive permet de saisir sur la durée l'âme d'un peuple et de comprendre bien des rouages d'une société mal connue.</p> <p style="margin-bottom: 0cm;" align="justify"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/02/261477385.jpg" id="media-1717568" alt="Ivens2 28.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" name="media-1717568" />A la fin des années 80, très diminué, Joris Ivens arrive au bout du voyage. Marceline Loridan le fait passer de l'autre côté de la caméra : un vieil homme de 90 ans repart en Chine afin de filmer (à nouveau) le vent. Entre imagerie de contes et extraits d'anciens films, entre captations documentaires et petites fictions, entre symphonie de paysages et décors de carton-pâte, <b><i>Une histoire de vent</i></b> est un patchwork avançant par associations d'idées. Si le fil conducteur est bien celui du vent (donnant d'ailleurs prétexte à de superbes vues, magnifiées par la belle musique de Michel Portal), le périple est autant géographique qu'autobiographique et offre à Ivens l'occasion de réfléchir sur son propre cinéma. A cet égard, la plus belle scène du film nous le montre, tenant une perche et un micro, en train d'enregistrer le vent et de capter, en même temps, des bribes de conversations dans toutes les langues possibles, métaphore parfaite de son travail et du but qu'il a poursuivi pendant cinquante ans. Plus étonnant encore, cet essai kaléidoscopique, inégal mais émouvant, est réalisé avec humour, en particulier lorsqu'il s'agit de revenir sur la <i>méthode</i> Ivens et ses petits arrangements possibles avec la réalité. Il faut certes connaître suffisamment son oeuvre pour goûter pleinement la saveur de ce dernier fruit, faute de quoi quelques séquences paraîtront particulièrement incongrues (telle cette reconstitution kitch et théatrâle des grandes heures de la Révolution Culturelle). Toutefois, lorsque l'on a suivi le parcours de l'homme, on ne peut que se réjouir de cette malice de vieux sage qui, sans renier ses engagements passés, montrant avec humour l'envers des choses, semble nous dire que la transparence n'est jamais totale mais aussi que sous la propagande peut cheminer la vérité.</p> <p style="margin-bottom: 0cm;" align="justify"><i>Une histoire de vent</i> est donc une oeuvre singulière et un testament idéal car tendu vers la vie. Ses facettes en sont multiples, à l'image de l'oeuvre entière de Joris Ivens, trop souvent réduite au reportage. Une carrière exemplaire, voilà ce qui se dégage du panorama. Non dans le sens d'une qualité supérieure de chaque opus, mais bien dans celui de l'accompagnement de l'histoire du documentaire sur plus d'un demi-siècle, épousant son évolution formelle, la devançant parfois.</p> <p style="margin-bottom: 0cm;" align="justify">(Chronique DVD pour <i><a href="http://www.arkepix.com/kinok/index.html">Kinok</a></i>)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlO' Cangaçeirotag:nightswimming.hautetfort.com,2009-03-14:20860222009-03-14T21:33:49+01:002009-03-14T21:33:49+01:00 (Giovanni Fago / Italie / 1970) ■□□□ " Faisons feu de tout bois "...
<p style="text-align: justify;">(Giovanni Fago / Italie / 1970)</p> <p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">■□□□</span></p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/1619204946.jpg" id="media-1637042" alt="Cangaceiro 07.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" />"<i>Faisons feu de tout bois</i>" semble être la devise de Giovanni Fago. En 1970, le cinéaste profite de la déferlante du western italien pour tenter une nouvelle hybridation avec le film de cangaço brésilien. Ce genre s'attachait là-bas à décrire les aventures des bandits du Nordeste au tournant du XXe siècle. Ces histoires, aux dimensions mythologiques, firent en effet les beaux jours d'un cinéma brésilien en plein essor dans les années 50 et 60. Lima Barreto contribua à lancer véritablement le genre en 1953 en présentant avec succès à Cannes son film <i>O' Cangaçeiro</i>, dont celui de Fago est le remake. Quantité de productions similaires suivirent dans la foulée, la figure de proue du Cinema Novo, Glauber Rocha, consacrant lui-même deux films au thème (<i>Le Dieu noir et le Diable blond</i>, 1964 et <i>Antonio das Mortes</i>, 1969).</p> <p style="text-align: justify;">Fago n'est pas Rocha et l'on cherchera vainement chez lui lyrisme et exaltation politique. Il y a en revanche bien d'autres choses dans ce capharnaüm qui prend la forme générale d'une fable mais qui est constitué d'une succession de séquences pouvant chacune être affiliées à un genre cinématographique différent : guerre, western, spiritualité, farce, politique et, pour finir, film noir. Ce qui unifie tout d'abord, tant bien que mal, cet improbable édifice, c'est l'évidence de la parenté avec le western italien, par l'économie (la co-production avec l'Espagne), les thèmes (la vengeance, la vénalité), le ton (l'humour cynique et agressif des personnages qui se lancent entre eux d'inévitables mais affectueux "<i>Fils de pute</i>") et accessoirement, l'absence des femmes (ou quand elles passent, elles prennent vite une balle dans le corps). La mise en scène s'autorise à peu près tout et n'importe quoi. Se côtoient donc les audaces les plus ridicules et les intuitions plastiques les plus foudroyantes, organisées par un montage à la serpe provoquant quelques raccords vertigineux. Il suffit parfois qu'un personnage soit nommé en plein milieu d'une scène pour qu'il surgisse à l'écran sans autre avertissement.</p> <p style="text-align: justify;">La première demi-heure donne plutôt raison au cinéaste. Ses effets percutants, son trait caricatural et l'élimination de toute séquence transitoire s'accordent bien avec le registre légendaire attaché aux histoires de cangaçeiros. Mais passées la conversion mystique et politique du héros, Espedito, dit le Rédempteur, et ses premiers exploits de bandit populaire, le film commence à lasser quelque peu. Une longue séquence centrale de dîner chez le gouverneur (habile calculateur décidé à se servir d'Espedito pour faire régner l'ordre dans le Sertao avant de s'en débarrasser) tire les plus grossiers effets comiques de l'opposition entre notables distingués et rustres brigands. Plus tard, un duel entre chefs de bandes se révèle d'autant plus décevant qu'il est <i>mis en espace</i> de belle manière et enfin, une douteuse intervention de gangsters américains finit par nous achever.</p> <p style="text-align: justify;">Le plaisir d'un récit au premier degré ne dure donc qu'un temps car l'innocence du regard est perturbée par la volonté de faire passer en parallèle une réflexion politique. Mais ce second fil est tissé bien maladroitement. Le peuple dont il est pourtant beaucoup question, n'est même pas métaphorisé, il est absent. Nous devons donc croire Espedito sur parole et non sur ses actes, d'ailleurs contradictoires. Les personnages ne servent que de véhicule à des idées scénaristiques. Devant <b><i>O' Cangaçeiro</i></b>, la question se pose alors en ces termes : le geste de Giovanni Fago est-il le résultat d'une grande croyance dans le cinéma ou d'un calcul commercial ? La réponse est certainement entre les deux. Et chacun est libre de placer le curseur où il veut.</p> <p style="text-align: justify;">(Chronique DVD pour <i><a href="http://www.arkepix.com/kinok/index.html">Kinok</a></i>)</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlThe grandmothertag:nightswimming.hautetfort.com,2008-12-03:19289022008-12-03T22:20:00+01:002008-12-03T22:20:00+01:00 (David Lynch / Etats-Unis / 1970) ■■■□ The grandmother est...
<p style="text-align: justify;">(David Lynch / Etats-Unis / 1970)</p> <p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">■■■□</span> </p> <p style="text-align: justify;"><em><strong><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/01/502723220.jpg" alt="grandmother.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" id="media-1432907" />The grandmother</strong></em>est le premier ouvrage conséquent de David Lynch, un film de 34 minutes réalisé en 1970, après deux très courts métrages (<em>Six figures</em>, 1967, 1', animation et <em>The alphabet</em>, 1968, 4', animation et prises de vues réelles) et avant l'entrée dans l'aventure du tournage de <em>Eraserhead</em>.</p> <p style="text-align: justify;">J'ai essayé de voir ce coup d'essai avec les yeux de l'innocence, en tentant de faire abstraction de ma connaissance de la suite du parcours de l'Américain. Autant l'avouer tout de suite, c'est mission impossible. Tout d'abord, l'univers de Lynch est si singulier, son imaginaire tellement fort, que le moindre signe renvoie fatalement à l'ensemble de l'oeuvre. Ensuite, <em>The grandmother</em> pose clairement les bases de la plupart des figures, des thèmes et des obsessions lynchiennes.</p> <p style="text-align: justify;">Mike est un petit garçon né "végétalement" d'un couple perturbé. Maltraité par son père et mal aimé par sa mère, il aime se réfugier dans son grenier, là où il a découvert un sac de graines. L'une d'elles, suite à ses soins, a germé, grandi en prenant une forme indéfinissable, pour finalement donner naissance à une vieille dame. Auprès de cette grand-mère, Mike apprend la tendresse et parvient à s'émanciper, du moins par l'imaginaire, de ses parents. Cette femme mourra, probablement, mais laissera le garçon définitivement changé.</p> <p style="text-align: justify;">David Lynch crée pour la première fois l'un de ses étonnants monde parallèle à l'intérieur même de la maison familiale. Toutes les pièces baignent dans le noir, seuls quelques éléments du décor et les visages pâles des personnages se détachent du fond obscur. Des touches plus colorées dénotent ici ou là. Ce film est-il en noir et blanc ou en couleurs ? A l'instar de la lumière, Lynch triture également les vitesses de défilement et multiplie les gros plans déformants, faisant sentir ainsi toute la monstruosité de ces êtres et ajoutant encore une couche d'angoisse. Il alterne aussi, comme dans <em>The alphabet</em>, prises de vues réelles et séquences d'animation primitives, entre schémas scientifiques enfantins et peintures de théâtre grand-guignol.</p> <p style="text-align: justify;">L'expérimentation porte également sur la texture sonore. Les coupes brutales dans la bande-son déstabilisent d'autant plus qu'elles ne coïncident pas forcément avec un changement de plan. Entre les personnages, pas un mot n'est échangé. Les parents se contentent d'aboyer "<em>Mike ! Mike !</em>". A la musique originale (signée d'un certain groupe (?) Tractor) ne manque même pas, vers la fin, le moment d'apaisement apporté par une ballade chantée d'une voix féminine éthérée à la Julee Cruise.</p> <p style="text-align: justify;">Avec trois fois rien, Lynch nous fait basculer dans son cerveau brousailleux, là où la distinction entre végétal et animal n'a plus lieu d'être, là où la surface de la cellule familiale semble toujours prête à se fissurer et laisser remonter les pires horreurs. Sur-évaluation et sur-interprétation que tout cela ? En tous cas, vous ne pourrez pas dire que je ne vous avais pas prévénu dès le début...</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlParade & Forza Bastia 78tag:nightswimming.hautetfort.com,2008-12-03:19228172008-12-03T13:25:00+01:002008-12-03T13:25:00+01:00 (Jacques Tati / Suède - France / 1974 & Jacques Tati et Sophie...
<p style="text-align: justify;">(Jacques Tati / Suède - France / 1974 & Jacques Tati et Sophie Tatischeff / France / 1978-2000)</p> <p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">■□□□</span> /<span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">■</span><span style="font-size: medium;">□□</span></p> <p style="text-align: justify;">Pour finir notre mini-cycle Tati, jetons un coup d'oeil sur les deux points de suspension qui clôturent l'oeuvre après <i>Trafic</i> (1971).</p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/02/1499723982.jpg" alt="parade.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" id="media-1428861" />Bien que le dernier long-métrage de Jacques Tati ait été distribué dans les salles françaises à la fin de l'année 1974, <b><i>Parade</i></b> n'est pas un film de cinéma. Il s'agit d'une commande passée par la télévision publique suédoise, consistant à capter en vidéo un spectacle de cirque.</p> <p style="text-align: justify;">Il y a deux façons de juger l'oeuvre. Si l'on opte pour la plus bienveillante, on insistera sur la singularité du projet. Tati, filmant avec quatre caméras pendant trois jours, rend hommage aux spectacles vivants (cirque, music-hall, concerts). A la représentation classique, il intègre pleinement le public, abolissant les frontières entre gradins, scène et coulisses et montrant que des spectateurs ou des ouvriers peuvent devenir tout naturellement des artistes, magiciens ou acrobates. Plusieurs plans sont d'ailleurs cadrés depuis le fond du décor, de manière à avoir le public à l'image. A côté de cette perméabilité des univers qui permet un spectacle total, on retrouve un autre thème récurrent : l'enfance. Une petit garçon et une petite fille dans le public sont deux des "héros" du film. Après le spectacle, une fois les gradins et la piste désertés, Tati les laisse prendre possession des lieux, assurant ainsi le passage de témoin. Voilà pour la politique de l'auteur.</p> <p style="text-align: justify;">Si l'on s'attache maintenant à ce qui se passe réellement sur l'écran pendant 1h25, le résultat n'est pas très captivant. Tati-acteur est dans la peau du Monsieur Loyal. Il n'est cependant au centre que d'une poignée de séquences, toutes de mime sportif (gardien de but, tennisman, boxeur...), exercice qui fit sa réputation à ses débuts au music-hall. La succession des numéros des autres artistes n'échappe pas à la règle du genre : l'inégalité. De jongles impressionnants, on passe à un pénible rodéo avec une mule et avant un savoureux concerto burlesque par trois vieux musiciens, on supporte un languissant intermède musical.</p> <p style="text-align: justify;">Dans l'esprit du cinéaste, ce spectacle se veut démocratique, au sens où tout le monde peut en être l'un des acteurs. Louable intention, contredite cependant par plusieurs choses. D'une part c'est bien lui Tati, le metteur en scène, le Mr Loyal et la star du show, que l'on vient voir. D'autre part, les intervenants descendant des gradins sont de manière bien trop évidente des professionnels. Que l'on ne s'y trompe pas, même avec tous ces jeunes spectateurs suédois <i>peace and love</i>, <i>Parade</i> n'est pas un <i>happening</i>.</p> <p style="text-align: justify;">Pressé par le temps et serré par son budget, Tati ne peut pas peaufiner tous les gags comme à son habitude et certains sont mal mis en valeur par le cadre et la photo. Le son, si important ailleurs, se réduit le plus souvent à quelques bruitages et au vacarme de l'audience. Le film n'est donc ni très rigoureux, ni très naturel.</p> <p style="text-align: justify;"><i>Parade</i> était sans doute en 1974 une bonne émission de télévision. Mais même à l'époque, cela ne suffisait certainement pas à en faire un bon film.</p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/01/1053718771.jpg" alt="forzabastia.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" id="media-1428882" />Plus intéressant est le documentaire tourné en 1978, à la demande de Gilbert Trigano. Celui-ci proposa à Tati d'immortaliser la journée du 26 avril où Bastia affrontait les Hollandais du PSV Eindhoven, en match aller de la finale de coupe de l'UEFA. Oubliées dans une cave pendant des années, les bobines du film furent restaurées et montées par Sophie Tatischeff, fille du réalisateur, en 2000, pour aboutir à ce <b><i>Forza Bastia</i></b> de 26 minutes.</p> <p style="text-align: justify;">On suit d'abord les préparatifs de la fête, les déambulations des supporters et la transformation de toute une ville en blanc et bleu. Les images d'une population en liesse sont des plus classiques mais elles sont rendues assez touchantes par le passage du temps et réhaussées par le regard légèrement décalé de Tati qui, de façon impressionniste, aime s'attarder sur une vieille dame, une petite fille ou un chien. Pour que le film décolle véritablement, il faut un coup de pouce du destin. Il arrive sous la forme d'un violent orage. Un déluge s'abat sur Bastia, douchant l'enthousiasme des supporters dans le stade et rendant le terrain impraticable.</p> <p style="text-align: justify;">Tout le film semble alors suivre les hauts et les bas par lesquels passe le public : l'inquiétude, les encouragements et les silences. Armé de balais, de seaux ou de sacs de sable, on tente désespérément de redonner à la mare aux canards l'allure d'un terrain de foot. Après de longues discussions entre officiels, le coup d'envoi peut finalement être donné (la télévision, déjà en 1978, semble dicter ses impératifs), mais la fête commence à avoir un drôle de goût. Du match, nous ne voyons que des jambes pataugeant dans la boue. Tati préfère braquer ses caméras sur les supporters, filmer les réactions d'un public de plus en plus stressé. Au bout de 90 minutes dantesques, les locaux ne pourront faire mieux qu'un frustrant 0-0.</p> <p style="text-align: justify;">De la matinée joyeuse et ensoleillée, nous sommes passé à la tristesse d'une nuit humide. Le film n'a pas besoin de dire la suite : quinze jours plus tard, Eindhoven gagnait le match retour 3-0 et brisait les espoirs français de sacre européen.</p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;">P.S. 1 : Merci beaucoup à Michèle et à Joachim pour les prêts de dvd.</p> <p style="text-align: justify;">P.S. 2 : Après avoir vu les quatre longs-métrages avec lui (j'ai volontairement évité, je le rappelle, <i>Playtime</i> et <i>Trafic</i>), voici les préférences de mon fiston de 6 ans, "<i>du plus rigolo au moins drôle</i>" : 1- <i>Jour de fête</i>, 2- <i>Les vacances de Mr Hulot</i>, 3- <i>Parade</i>, 4- <i>Mon oncle</i>. Si vous êtes parents, vous savez maintenant ce qu'il vous reste à faire...</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlCasanovatag:nightswimming.hautetfort.com,2008-11-28:19170662008-11-28T00:21:00+01:002008-11-28T00:21:00+01:00 (Federico Fellini / Italie / 1976) ■■■■ Casanova ( Il Casanova di...
<p style="text-align: justify;">(Federico Fellini / Italie / 1976)</p> <p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">■■■■</span></p> <p style="text-align: justify;"><b><i>Casanova</i></b> (<i>Il Casanova di Fellini</i>) ou un film comme un rêve.</p> <p style="text-align: justify;">Ce chef d'oeuvre du <i>Maestro</i> Federico est une adaptation ("<i>libre</i>" croit devoir nous prévenir le générique) des mémoires de Giacomo Casanova (1725-1798). On ne parlera pas ici de biographie, le film n'obéissant à aucune règle narrative classique, ni dramatique, ni psychologique. Non pas que la construction soit embrouillée (elle est au contraire rigoureuse et limpide), mais le récit ne semble obéir qu'à une seule logique : celle de l'esprit de Casanova et donc, de Fellini. Une structure en flash-backs, organisée à partir de l'épisode de l'emprisonnement du héros, soutient d'abord l'édifice, mais elle est vite abandonnée ; la voix du héros-narrateur qui nous accompagne de temps à autre ne nous provient finalement de nulle part. Nous voyons bien, après les années de pleine santé, le corps se fatiguer, les rides se creuser, jusqu'à dessiner ce portrait de vieillard aigri. La progression est donc en apparence chronologique mais les sauts d'un souvenir à l'autre ("<i>Je voudrais vous parler maintenant de ma rencontre avec...</i>") nous placent toujours volontairement hors du temps.</p> <div style="text-align: center"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/02/501165882.jpg" id="media-1421406" alt="casanova1.jpg" style="border-width: 0; margin: 0.7em 0;" /></div> <p style="text-align: justify;">Casanova vit pourtant bel et bien dans ce XVIIIe siècle, celui des Lumières, celui des salons et des dîners, celui des voyages des élites de cour en cour, à travers l'Europe, à la recherche des faveurs de monarques plus ou moins éclairés. Ce monde est ré-inventé par Fellini (quels décors, quels costumes !!!). L'époque revit. Mais si l'archéologue a exhumé l'environnement, il n'a pas ressuscité les hommes : nous ne croisons que des spectres. Dès sa première apparition, au milieu de la nuit et de la brume, au bord d'une mer de plastique des plus inquiétantes, Casanova glisse déjà au milieu du royaume des morts. Plus tard, lorsqu'il approchera la petite couturière Anna-Maria, au visage fantomatique, ce sera dans un jardin aux allures de cimetière. L'une des femmes qu'il courtisera en Suisse le plaindra ainsi : "<i>Vous ne pouvez parler d'amour sans être funèbre</i>". Il n'y a pas ici une seule séquence qui ne se leste d'une certaine morbidité.</p> <p style="text-align: justify;">Le mythe de Casanova est celui de l'homme aux trois-cents femmes. Fellini le ridiculise. Non en le niant, mais en le poussant vers le mécanique et le vide. En filmant les ébats de son héros, il ne détourne pas les yeux devant le sexe et le graveleux mais il ne fait rien non plus pour atténuer l'impression perpétuelle de simulacre. Lorsque Casanova chevauche une partenaire, la caméra prend régulièrement la place de la femme ou inversement et ces champs-contrechamps d'accouplement semblent repousser les partenaires à distance. Les rares moments de réelle intimité, de fusion sincère, sont laissés hors-champ ou tout simplement refusés au séducteur (les femmes qui le <i>touchent</i> vraiment restent inaccessibles). Casanova s'épuise dans sa recherche de la Femme : il veut la plus belle ou la plus forte ou la plus vieille ou la plus parfaite. Tout le ramène à son désir, comme lorsqu'il entre dans la baleine (séquence admirable où l'on peut voir, sous forme de lanterne magique, une série de dessins érotiques de Topor). Et ce désir est vu comme une maladie. Il se dessèche au fur et à mesure qu'il monte vers le Nord de l'Europe, en passant par des villes (Venise, Paris, Londres, Dresde...) qui, par la magie de Cinecitta, sont dans le même espace trouble. Arrivé au terme de sa vie, Casanova aura eu beau se courber devant les puissants, offrir ses services en tant que savant ou bibliothécaire, revendiquer le statut d'écrivain et de grand témoin de son temps, il restera, aux yeux des nouveaux courtisans imperméables à l'Art (ceux qui transforment un opéra en cacophonie orgiaque et vulgaire), l'<i>aventurier</i>, le symbole flétri d'un monde qui se meurt.</p> <div style="text-align: center"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/02/1518294506.jpg" id="media-1421409" alt="casanova2.jpg" style="border-width: 0; margin: 0.7em 0;" /></div> <p style="text-align: justify;">Le <i>Casanova</i> de Fellini est un film monstrueux et désespéré, mais fascinant et revigorant. Il y a le regard de Donald Sutherland, prodigieux. L'acteur se laisse faire, impassible. Fellini a modelé son image et l'a dirigé comme une marionnette (les plans où il prend des postures de pantin sont innombrables). Le cinéaste a souvent déclaré que le personnage lui donnait la nausée, mais le glissement qui s'opère vers le pathétique et vers la mort ne peut qu'émouvoir. Il y a aussi de la chair. Devant les situations scabreuses et les <i>inventions</i> de casting felliniennes, on se dit que l'outrance peut passer décidemment à merveille lorsqu'il s'agit de recréer un passé fantasmé. Il y a enfin du foisonnement. Comme il agence parfaitement son récit, Fellini organise son chaos en allant chercher le hors-champ, en détournant abruptement une conversation ou un spectacle en cours. Puis, il isole, par les plus beaux artifices de mise en scène qui soient, ses personnages, concentre son regard et peut laisser aboutir l'épisode avant de passer à un autre. Son film avance par blocs. Par tableaux, dirait-on, pensant parfois au cinéma de Peter Greenaway, à ceci près que l'on ne sent pas de dispositif ni de théâtre. Chez l'Italien, les angles sont moins coupants, les bords du cadre sont moins rigides que chez le Britannique (l'un de ses descendants possibles ; à l'autre bout du spectre, nous aurions Kusturica).</p> <p style="text-align: justify;">La marche funèbre de Casanova par Fellini (au son d'une géniale partition de Nino Rota) est une promenade somptueuse avec l'amour et la mort dont chaque instant devrait être raconté, de la tête géante du début, (presque) hissée hors de l'eau en plein carnaval, au ballet mécanique rêvé d'un finale mélancolique. Voici le plus beau : en un plan, la salle de théâtre se vide, laissant Casanova seul, de profil. De gigantesques candélabres descendent lentement du plafond. Et on vient les éteindre à l'aide de grands évantails.</p> <p style="text-align: justify;">Depuis plusieurs années je voulais revoir ce Fellini-là, histoire d'être sûr de ne pas avoir rêvé la première fois. Finalement, j'ai rêvé une deuxième...</p> <p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;">Photos : allocine.fr</p>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlResté sans voix...tag:nightswimming.hautetfort.com,2008-11-25:19152512008-11-25T12:13:00+01:002008-11-25T12:13:00+01:00 ... devant ce film hier soir (et pourtant déjà vu) : Je...
<p style="text-align: center;">... devant ce film hier soir (et pourtant déjà vu) :</p> <div style="text-align: center"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/02/02/606617791.jpg" alt="casanova.jpg" style="border-width: 0; margin: 0.7em 0;" id="media-1415804" /></div> <div style="text-align: center"></div> <div style="text-align: center"></div> <div style="text-align: center">Je tenterai tout de même d'en dire deux mots d'ici peu.</div>
Edouard S.http://nightswimming.hautetfort.com/about.htmlLe Malin & Au-dessous du volcantag:nightswimming.hautetfort.com,2008-10-27:18570252008-10-27T13:27:49+01:002008-10-27T13:27:49+01:00 (John Huston / Etats-Unis / 1979 & 1984) ■■■□ / ■■ □ □ S'il y...
<p style="text-align: justify;">(John Huston / Etats-Unis / 1979 & 1984)</p> <p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;">■■■□</span> / <span style="font-size: medium;">■■</span><span style="font-size: medium;">□</span><span style="font-size: medium;">□</span></p> <p style="text-align: justify;">S'il y a un cinéaste qui a tenté de prouver pendant toute sa carrière que, malgré l'adage, un grand livre pouvait donner naissance à un grand film, c'est bien John Huston. Démarrant en 1941 avec un classique du film noir tiré de Dashiell Hammett (<i>Le faucon maltais</i>) et finissant quarante-six ans plus tard par un ultime chef d'oeuvre trouvant son origine dans une nouvelle de James Joyce (<i>Gens de Dublin</i>), sa filmographie n'a cessé de s'enrichir de travaux d'adaptations ambitieuses. Huston a mis ainsi en images les mots, entre autres, de Herman Melville (<i>Moby Dick</i>), Romain Gary (<i>Les racines du ciel</i>), Tennesse Williams (<i>La nuit de l'iguane</i>), Carson McCullers (<i>Reflets dans un oeil d'or</i>), Rudyard Kipling (<i>L'homme qui voulut être roi</i>). Les résultats à l'écran furent plus ou moins probants mais toujours, au minimum, intéressants. Le coffret de Carlotta offre deux autres exemples de cet exercice hustonien avec <i>Le Malin</i> et <i>Au-dessous du volcan</i>.</p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/00/01/352054512.jpg" alt="Malin 01.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" id="media-1348155" name="media-1348155" /><i><b>Le Malin</b></i> (<i>Wise blood</i>), que John Huston réalise en 79, est une oeuvre très étonnante, virulente et inspirée. A cent lieues d'un ouvrage routinier signé par un vieux maître, ce film est en fait plus proche des chemins de traverses empruntés par Rafelson ou Altman à la même époque. Tourné de manière indépendante, loin de Hollywood, <i>Le Malin</i> dépeint une Amérique des campagnes et des petites villes grouillant de marginaux, asociaux et autres illuminés, et si le récit reste simple, il peut laisser en suspens certains éléments, abandonner certaines destinées, en allant à rebours de certaines habitudes narratives.</p> <p style="text-align: justify;">Car tout tourne ici autour d'un seul homme : Hazel Motes, jeune homme étrange qui, de retour de la guerre, veut enfin faire "<i>des choses qu'il n'a jamais fait avant</i>". Avec l'énergie des grands obsessionnels, il tentera de prêcher et de fonder l'Eglise de la Vérité, une église du Christ sans le Christ. Mais Hazel ne semble attirer que des <i>freaks</i> aussi dérangés que lui. Pire : ces rencontres n'aboutissent à rien de bon. Les différents personnages du <i>Malin</i> semblent tous enfermés dans leur monde, donnant à voir une somme de solitudes et des cellules autarciques qui ne communiquent pas. Les divers partenariats possibles sont immédiatement voués à l'échec, à moins qu'ils ne reposent sur une filiation (et dans ce cas-là, l'aliénation est totale : le grand-père prédicateur de Hazel est responsable du traumatisme de son petit-fils et Sabbath semble s'enfoncer dans la même folie que son père, faux-prophète aveugle). Les couples ne se forment que pour un instant, le temps d'assouvir quelques pulsions naturelles. Ce décalage constant, Huston arrive à le faire sentir parfaitement dans les dialogues qui, le plus souvent, n'avancent pas par questions-réponses mais plutôt comme des monologues sourds, exactement parallèles.</p> <p style="text-align: justify;">Ces gens-là sont tellement hors du commun, leurs actions et leurs propos nous mènent si près de l'absurde que le cinéaste n'a pas besoin d'en rajouter dans la bizarrerie par sa mise en scène. Le filmage est donc simple, très libre, à l'image de ces déambulations urbaines que la caméra capte en de longs plans-séquences.</p> <p style="text-align: justify;">La charge contre les prédicateurs est féroce : menteurs, avides, racistes... Tous semblent au bord de la caricature. Pourtant, Huston parvient à donner à chacun une réelle épaisseur et à garder pour son guide dans ce monde-là, Hazel, une sympathie évidente. Brad Dourif est ici prodigieux d'un bout à l'autre. Et parmi les excellents seconds rôles, on ne peut que s'enthousiasmer devant la performance de Harry Dean Stanton en aveugle douteux et celle d'un irrésistible Ned Beatty en prédicateur country et opportuniste.</p> <p style="text-align: justify;">Tendresse pour les paumés qui n'exclue pas, bien au contraire, une progression vers la noirceur totale, humour décalé et provincial : <i>Le Malin</i> annonce par bien des points le cinéma des frères Coen.</p> <p style="text-align: justify;"><img src="http://nightswimming.hautetfort.com/media/01/02/240691540.jpg" alt="Volcan 06.jpg" style="border-width: 0; float: left; margin: 0.2em 1.4em 0.7em 0;" id="media-1348157" name="media-1348157" />Cinq ans plus tard, Huston s'attaque à nouveau à un gros morceau, en l'occurrence le roman de Malcolm Lowry, paru en 1947 et, comme tous les grands livres, réputé inadaptable. Le récit se concentre sur deux jours, les deux derniers de Geoffrey Firmin, consul britannique de la ville mexicaine de Cuernavaca. Le magnifique générique (une danse de mobiles et figurines squelettiques) et un effet visuel dès les premières minutes, reflétant des cranes dans les lunettes du protagoniste, nous préviennent en effet que le film sera bien la chronique d'une mort annoncée. Mort, remords et ivresse sont les grands thèmes d'<b><i>Au-dessous du volcan</i></b> (<i>Under the volcano</i>).</p> <p style="text-align: justify;">Obliger le spectateur à côtoyer pendant deux heures un alcoolique est une sacrée gageure et nécessite d'être particulièrement sûr de sa direction d'acteur et de son choix de casting. Albert Finney s'en sort avec les honneurs, surtout lorsqu'il est en mouvement, adoptant une démarche exagérément raide et un port régulier de lunettes noires. De même, c'est lorsque Huston filme ses comédiens au milieu du peuple mexicain qu'il tient le mieux son pari, plutôt que dans le cadre de l'hacienda du consul. Là se joue une pièce de théâtre douloureuse à trois personnages. Jacqueline Bisset et Anthony Andrews peinent à s'imposer face à Finney : Yvonne, la femme aimante mais incertaine reste évanescente, et Hugh, le demi-frère, revendique un engagement journalistique qui cadre mal avec sa manière d'être.</p> <p style="text-align: justify;">En ce mois de Novembre 1938, nombreux sont les signes d'une explosion imminente du monde. Hugh revient d'Espagne où les Républicains sont en train de perdre la guerre civile; les miliciens mexicains, financés par les nazis, imposent leur loi dans les campagnes; Munich vient d'être signé. Tout semble déjà trop tard. Trop tard pour la paix, pour le consul et pour son couple. Ne reste plus alors qu'à aller se perdre au Farolito, bar-bordel sordide.</p> <p style="text-align: justify;">Nous nous sommes promenés en plein soleil, au milieu de festivités colorées. Toujours dans les pas du consul titubant, nous passons maintenant, aux dernières lueurs du jour (et par un pont suspendu), à un univers plus inquiétant. L'obscurité aidant, la cruauté et la violence pointent leur nez. Huston termine son film sur cette lente et inéluctable dérive, dans une remarquable progression dramatique. Vers la nuit, la pluie, la boue, le néant. Firmin avait prévenu : "<i>L'enfer a ma préférence</i>".</p> <p align="justify">(Chronique dvd pour <a href="http://www.arkepix.com/kinok/index.html"><i>Kinok</i></a>)</p>